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"Tout va bien", Jamait chante Guidoni, au Théâtre Gaston Bernard de Châtillon sur Seine...
« Tout va bien »
Yves Jamait chante Guidoni
Jean Guidoni est un interprète exceptionnel, qui a mis son talent à chanter les réprouvés, la beauté des bas-fonds, l’éclat des vies brisées, sur les mots de Pierre Philippe, poète à poigne. Benoît Lambert, directeur du TDB, a eu l’idée géniale de proposer à Yves Jamait d’apporter sa virilité populaire dans l’univers dandy de Guidoni. Le chanteur dijonnais a relevé le pari avec un talent extraordinaire, donnant à l’ombre et la lumière de Guidoni une chair et une force bluffantes. La vingtaine de chansons savamment emballées par le trio exceptionnel qui se partage la scène entraîne le public au bout de la nuit, le faisant passer du rire aux larmes sans jamais baisser d’un iota la pression de l’émotion. Le choc.
Jamait apparaît sur scène, dans un cône de lumière violette, couleur qui correspond à merveille à l'univers trouble et violent des chansons qu'il interprète..
Car les chansons de Jean Guidoni, dont les textes magnifiques sont de lui, mais le plus souvent du poète Pierre Philippe, sont empreintes de noirceur et d'angoisse. Jean Guidoni, dans les années 80, nous a surpris tant il était subversif, je me souviens de son maquillage outrancier, maquillage repris un peu par Yves Jamait dans ce spectacle, mais sur un ton un peu différent, style "mort-vivant". La mort, la vie, mais aussi heureusement l'amour, ce sont justement les thèmes des chansons de Jean Guidoni...
Tout va bien
Je n´étais pas sorti depuis le grand labour
J´attendais que les cris s´espacent et cessent enfin
Entre mourir de peur ou bien mourir de faim
J´ai pris tout mon courage et rampé vers le jour
Tu sais, j´ai survécu dans un endroit bizarre
Au fond d´une ambulance à moitié calcinée
Vivant parmi les morts et comme halluciné
Au coin de ce que fut notre gare Saint-Lazare
Je respire un grand coup et voilà que revient
Le soleil espéré et que cesse la bruine
Je trouve ce papier qui volait dans les ruines
Et j´écris cette lettre pour te dire : Tout va bien
Tout va bien
Ici
Tout va bien
On sent
A des riens
Que la
Vie revient
Tout va bien
Mais oui
Tout va bien
Et le
Quotidien
Le dit
Le maintient
Tout va bien
Amour
Pour ton chien
Pour les
Parisiens
Pour moi
Et les tiens
Tout va bien
Crois-le
Tout va bien
Bonjour
Tout va bien
Je t´aime
Tout va bienYves Jamait est non seulement un chanteur surdoué dont la voix a pris de l'ampleur, mais aussi un comédien qui vit ce qu'il interprète. Son visage reflète ses émotions...
Les textes s'enchaînent sans interruption, pas le temps d'applaudir, la salle est tétanisée par cet artiste fabuleux, ses mots, sa voix nous pénètrent et nous électrisent... (c'est ce que j'ai ressenti !)
Quel artiste exceptionnel....
Le pianiste Samuel Garcia a accompagné divinement les chansons d'Yves Jamait, avec le son fabuleux de son piano à queue...quelle différence avec les claviers habituels... Mais Samuel Garcia joue aussi de l'accordéon magnifiquement.
Il apparaît sur scène , grimé, accompagné de Didier Grebot le percussionniste, lui aussi maquillé, entourant Yves Jamait...trois marionnettes époustouflantes, chantant "le bon berger", une chanson qui a fait scandale à l'époque !
Une mise en scène de théâtre vraiment étonnante, bien loin des concerts habituels d'Yves Jamait, du grand art...
Le bon berger
Les caveaux de famille ont de pesants mystères
Qu´il vaut bien mieux parfois laisser dormir en paix
Il faut laisser le droit aux aïeux de se taire
Accepter leur baiser et leur silence épais
Car s´il vous prend l´envie de chercher vos racines
Dans les tiroirs secrets des buffets Henri III
Vous y découvrirez des photos qui fascinent
Mais aussi le parfum de l´an quarante-trois
Vous risquez de trouver au creux des ménagères
La francisque martiale sous les couverts d´argent
Et dans le cher album la figure étrangère
D´un noble et beau vieillard au sourire engageant
Tous les enfants de France
Ont un second papy
Couronné d´espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Francais, répète :
"Tu es notre berger"
Il n´est pas vraiment mort le maréchal aimable
Il juge vos actions, protège vos vertus
Et si son effigie ne trône plus à table
Elle veille encore au grain comme un vieillard têtu
Au moindre appel, voyez, les regards s´illuminent
Cerveaux au garde-à-vous et le cœur en gala
Les ancêtres oubliant le rock et l´albumine
Entonnant tous joyeux "Maréchal nous voilà"
Et chacun de conter comment de la défaite
Un berger consola tout un peuple vaincu
Et comment il sut faire d´un malheur une fête
Avec quelques discours et coups de pied au cul.
Orphelin de moitié quand mon papa d´OEdipe
Trimbalait le complexe plus qu´il n´est de raison
Un psychiatre apparut du prénom de Philippe
Et mamie s´écria : "Un homme à la maison"!
Alors mon cher papa fit couper ses anglaises
Qu´aux pieds du maréchal il s´en vint déposer
Petit short kaki et les genoux à l´aise
Jurant de féconder notre sexe opposé
Se gavant de Doriot plus que de vitamines
Il attendait le jour en relisant Péguy
Où lui aussi pourrait liquider la vermine
Et seconder tonton à traquer les maquisAu refrain
Tata Fernande avait encore sa chevelure
Ses coques étagées dont mon oncle était fat
Ce bon tonton Marcel, qu´il avait fière allure
Sous le béret viril marqué du signe alpha!
Ils veillaient tard le soir et peaufinaient les listes
Des amis et voisins qui dessinaient des V
Des plouto-francs-macons et des bolcho-gaullistes
Des anglo-communistes à jamais enjuivés
Et puis au petit jour songeant à la droiture
Du héros de Verdun, tonton s´assoupissait
Cependant que tata à la Kommandantur
Postait ce qu´ils savaient de ces mauvais Francais
Au refrain
Quand grand´mère finissait d´espionner les voisines
Derrière le frais voilage des rideaux de Vichy
Elle semblait inventer la nouvelle cuisine
Au mou de veau spongieux farcissant ses hachis
"J´aurais tant aimé que papy goûte ma recette"
Disait-elle en touillant l´exquis rutabaga
Mais grand-père est mort depuis mil neuf cent dix-sept
Quelque part sur le front et d´autres petits gars
Comme lui ne diront rien à celui qui contemple
Leurs noms bien alignés dont l´or déjà s´éteint
Car mon grand-père est mort fusillé pour l´exemple
Sur l´ordre du bon berger sur l´ordre de Pétain
Tous les enfants de France
Ont un second papy
Couronné d´espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Français, répète :
"Tu es notre berger"Parfois Jamait lit des poèmes, des textes de Pierre Philippe mais aussi de Berthold Brecht " Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde " tiré de "La résistible ascension d'Arturo Ui" (vu au palais de Chaillot interprété par Guy Bedos, quel souvenir !), et même des poèmes de Prévert...
Le rose, pour Jean Guidoni, ce n'est pas le rose des layettes...c'est un rose beaucoup plus dérangeant.
J'aime bien la couleur rose
C'est une couleur si triste
C'est la moindre des choses
Quand on a l'âme artisteDe quoi donc se compose
Ce ton intéressant ?
De deux doigts de lactose
Et de trois doigts de sang
La nuance juxtapose
La grâce du flamant
Et la grasse ankylose
Du cochon infâmant
Elle est dans tant de choses
Dans le bonbon fondant
Bébé de cellulose
Et pâte pour les dents
Elle est couleur d'hypnose
Quand elle va triomphant
Et qu'elle métamorphose
Le gris des éléphantsC'est la teinte qui s'impose
Pour l'enfant dans son nid
Et celle qui dispose
A de menues manies
La veine qui arrose
Notre érotomanie
Bibliothèque rose
De Sophie Fichini
Ballets et chaussons roses
Divin Tchaïkovski
Baisers en overdose
Sur d'imberbes kikis
Ou gamme de névroses
Les plaies d'un rose exquis
Beaux bouquets d'ecchymoses
Sous le fouet du marquis
La meilleure des choses
Ou la pire il paraît
Exquise ou pas grand'chose
La langue est rose exprès
Pour l'ordure qu'elle propose
Bien loin des roseraies
Rose bouche qui cause
Muqueuse de goret
Et je sais des osmoses
Des images qu'effraient
Les prudes qui opposent
Le bon groin à l'ivraie
La rosette si rose
Soumise au dur foret
De la langue qui ose
La violer en secretIl y a rose grandiose
Il y a rose gnan-gnan
Quelques apothéoses
Et des inconvénients
Fleurs de pomme qui explosent
Aux joues des communiants
Et masques de cyrhose
Des vieillards répugnants
Et puis période rose
Pour Picasso peignant
Quand les paumés exposent
Leur triste coeur saignant
Arlequin-la-chlorose
Et Pierrot-le-poignant
La misère prend la pose
Dans la rue RavignanCouteau tuberculose
La rose immaculée
Rue Saint-Vincent éclose
A Montmartre immolée
Vaut la plus noble cause
Et de Malherbe les
Fleurs de métempsycose
Au pied d'un mausolée
Mais s'il faut qu'on arrose
De l'amour désolé
La fleur la plus morose
La rose inconsolée
Qu'on pense à la nécrose
Des deux corps enlacés
De deux triangles roses
Pendus aux barbelésLes applaudissements furent nombreux, les rappels aussi... Et c'était mérité tant ce concert théâtralisé était extraordinaire et d'une beauté incroyable.
Un seul regret : que le théâtre Gaston Bernard n'ait pas été bondé, quel dommage pour vous qui me lisez d'avoir manqué ce superbe récital !!
Vivement le jeudi 28 mai, pour le concert d'Yves Jamait au TGB, cette fois avec ses propres chansons poétiques et populaires dans "Amor Fati"
Et cette fois il faudra que la salle soit pleine !! Réservez donc dès maintenant...
En visionnant cette vidéo vous pourrez voir l'incroyable talent de notre chanteur dijonnais ...
Tout va bien
Un projet d’Yves Jamait et Benoît Lambert
Mise en scène : Benoît Lambert
Avec : Yves Jamait, chant
Didier Grebot : batterie, percussions
Samuel Garcia : accordéon, bandonéon, piano
Coproduction : Caramba, Théâtre Dijon Bourgogne
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Commentaires
2Viviane MartinSamedi 11 Octobre 2014 à 11:48Un magnifique spectacle , qui m'a emmené trés loin dans l'émotion. Bravo une fois de plus à Yves Jamait qui est bourré de talent et qui est comme une pépite dans le monde de la chanson française.
J'irai l'entendre chanter du Brel dans 15 jours avec le Grand Choral à Troyes ...et bien sûr j'ai ma place pour le 27 mai.
En tout cas , merci pour cette programmation exceptionnelle .
Et merci Christal pour votre reportage !!!
1Nadine 2152Samedi 11 Octobre 2014 à 07:19Le 28 mai, j'y serai. Pour avoir vu et écouté Yves Jamait au théâtre des Feuillants à Dijon, je suis devenue fan. Les textes, sa présence sur scène, tout est en accord, il vit ce qu'il interprète.........Bravo Monsieur Jamait.
Merci pour ce reportage à bientôt de vous lire à nouveau
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Tout à fait d'accord avec vous ; Jamait a pris une autre envergure avec ce cabaret-spectacle et bravo pour ce magnifique reportage...