• Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Dernièrement la France, mais aussi l'Espagne, le Canada, ont connu de terribles accidents de chemins de fer...

    Bruno Duval, propriétaire du château de Vannaire, près de Châtillon sur Seine, m'a adressé dernièrement un mail que je reproduis ci-après :

     Châtillonnais intermittent, je viens d’être mis au courant de l’existence de votre blog, dont l’envergure m’impressionne.
      J’en profite pour vous signaler l’existence d’une personnalité châtillonnaise du dix-neuvième siècle encore méconnue aujourd’hui, à laquelle les récents accidents de chemin de fer à Brétigny et surtout à Saint-Jacques de Compostelle devraient procurer un malheureux regain d’actualité. Dès le milieu du siècle avant-dernier, Antoine Madrolle – c’est son nom – avait en effet publié une Théologie des chemins de fer, de la vapeur et du feu, qu’en 2003, il y a tout juste dix ans de cela j’ai fait rééditer aux Éditions des Cendres, et dont le texte intégral est aujourd’hui accessible sur le Net. Suite à la parution du livre, j’avais donné, au château de Vannaire, sur ce théologien en son temps réputé, une conférence dont a rendu compte à l’époque le Bulletin des Amis du Châtillonnais, avec une illustration inédite : il faut vous dire que c’est en m’installant moi-même, avec Béatrice Dunner, au château de Vannaire, que j’y ai , providentiellement, retrouvé la trace de cet ancien propriétaire des lieux, où, selon René Paris, “il montait dans les arbres pour écrire plus près de Dieu” : à la Bibliothèque nationale, il est, à tort ou à raison, classé dans la rubrique des “Fous littéraires”, où l’avait, dès les années trente, déniché Raymond Queneau, son continuateur André Blavier, auteur d’un important Dictionnaire ne mentionnant, à son nom, qu’un seul titre sur une bonne centaine publiés en librairie : la Théologie des chemins de fer...Faisant suite, dans la bibliographie de l’auteur, à Dieu devant le siècle, l’ouvrage aurait , en principe, dû s’intituler Dieu devant les chemins de fer, mais “Il” aurait alors risqué de se faire écraser...
      Blasphème !
      Aujourd’hui, les pèlerins de Saint-Jacques connaissent leur douleur.
      Est-ce parce que, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, un pape a osé, comme le commun des mortels, “donner sa démission”? N’étant pas moi-même théologien, je me garderai bien de souscrire à une telle interprétation, que je n’en viens pas moins de formuler malgré moi (la folie, c’est contagieux).
      Pour ma modeste part, je regrette seulement que le “Châtillonnais” Madrolle n’ait pas “prévu” la tornade qui, voici un mois à peine, dévastait les environs de Vannaire, épargnant miraculeusement son ancien château...

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Il est vrai qu’avant de mourir en 1860, Madrolle avait définitivement quitté Vannaire pour Paris.
     Puisse cette redoutable éventualité me rester définitivement étrangère.
     À vous aussi, bien sûr !
     Bruno Duval

    J'avais entendu parler, par Michel Diey, de cet étrange personnage qui grimpait dans les arbres du parc de Vannaire, pour écrire des livres étranges et un peu fous. 

    Pourquoi ne pas évoquer Antoine Madrolle, il mérite autant que d'autres d'avoir sa petite biographie ici...

    Grâce à Bruno Duval et à ses notes biographiques, j'ai pu la réaliser, merci à lui..

    Merci aussi à Michel Diey, sur lequel je peux toujours compter, pour m'avoir prêté des documents.

    Qui était donc Antoine Madrolle, dont voici le portrait  :

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Antoine Madrolle naquit le 29 mai 1791 à Chanceaux. Il était  le petit-fils d’un maître de Poste et fils d’un épicier en gros qui fut plusieurs fois maire du village.

    Antoine fit ses humanités à Châtillon sur Seine, au Collège Impérial, où il eut pour condisciples  les trois frères Nisard, dont l’aîné, Désiré, devint académicien.

    Notre héros monta  à Paris pour y faire son droit.

    Il y fit la connaissance d’Adélaïde Thoureau, fille d’un maître de forges de Larrey qu’il épousa en 1812.

    Il s’inscrivit ensuite au barreau de Dijon, mais il y rongea son frein en attendant le client.

    Pour se distraire il écrivit des vers, il publia en 1814, un « Dithyrambe sur la nouvelle Révolution Française ».

    Il remonta à Paris en 1820, pour y briguer une chaire de Droit Criminel. Il remporta le concours…mais la chaire fut attribuée à un autre.

    A partir de là, aigri pour la vie, il vit  le « crime » partout. Ce fut, là, la première manifestation de l’hypertrophie de son moi.

    Il délaissa alors la magistrature pour se consacrer à la littérature.

    Il publia en 1830, un « mémoire au Conseil du Roi » où  s’en prenait nommément à certains magistrats républicains.

     Cet ouvrage le fit tomber sous le coup d’une inculpation judiciaire.

    A  partir de  1830, il se retira tous les étés au château de Vannaire, maison forte du XVème siècle, au pied du Mont Lassois. ( C’est au Mont Lassois qu’on découvrira un siècle plus tard, à Vix, le plus grand vase de bronze de l’Antiquité)

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Dans le parc du château de Vannaire, Madrolle grimpait dans un arbre , où il avait fait aménager une cabane, pour écrire plus près de Dieu…

    C’est le point de départ de la légende locale d’Antoine Madrolle, prophète douteux, mais fou littéraire certain.

    Antoine Madrolle eut vent des apparitions d’un certain Vintras,  à Tilly, en Normandie.

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Cliquez sur ce lien pour découvrir qui était ce personnage trouble :

    Vintras, escroc et mystificateur

    Antoine Madrolle, subjugué par le « Pape-Tier(s) », (Vintras dirigeait un moulin à papier !), correspondit avec lui  et le rencontra à Tilly.

    Il se rendit à Sion-Vaudémont pour assister à l’intronisation ecclésiastique de Vintras par les frères Baillard.

    Maurice Barrès, dans son roman la Colline inspirée , décrit longuement l’influence que Vintras, dépeint comme un mystificateur, exerça notamment sur les trois frères Baillard, ecclésiastiques non fictifs, responsables du sanctuaire lorrain de Notre-Dame de Sion.

    Il y deux ans, je m'étais rendue à Sion-Vaudémont sans savoir qu'un Châtillonnais de Vannaire s'y était rendu !

    http://www.christaldesaintmarc.com/sion-la-colline-inspiree-a46924947

    Vintras fut incarcéré pendant six ans pour escroquerie. Ayant repris sa prédication en 1848, il fut, cette fois exilé à Londres par le Second Empire. Madrolle lui rendit visite à Londres, tous les deux faisaient tourner les tables, ce qui inspira un ouvrage à notre héros:  « L’Esprit Saint des tables animées »

    Antoine Madrolle se rendit à Alger , envisageant de refonder le « Carmel » en terre de mission.

    Mais c’est à Paris qu’il mourut, le 14 avril 1861. Son corps fut ramené à Larrey où l’Abbé Duquesnay, dans son éloge funèbre loua sa « candeur ». Est-ce ainsi que l’on désignait pudiquement à l’époque, l’aliénation mentale ?

    En tout cas, il faisait preuve d'un "mysticisme exalté", bien  proche de la folie.

    J’ai retrouvé sa tombe au cimetière de Larrey, au pied de l’église saint Germain, elle se trouve près de celles des Thoureau.

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Sur la dalle, sa famille fit graver cette épitaphe « SCIENTIA ET FIDE CLARUIT », qui signifie « IL ECLAIRA PAR LA FOI ET LA SCIENCE »… hélas je n’ai pu la lire. Bruno Duval me suggère de passer un peu de poudre colorée sur les lettres, ce que je ferai peut-être prochainement !

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Les tombes de la famille Thoureau :

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Un des ouvrages d'Antoine Madrolle a été réédité par Bruno Duval, il s'agit de la "Théologie des chemins de fer, de la vapeur et du feu", publié en 1842, et sous-titré:

    "Le Voile levé et Avertissements aux Chambres et à la France sur les Volcans qu'elles appellent et à la Chrétienté sur ses malheurs futurs"

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Le 8 mai 1842, le train Versailles-Paris, bondé, déraille à la hauteur de Meudon. Les wagons de bois flambent comme bouchons de paille. Il n'y aura pas de survivants.

    Hypnotisé par l'ampleur de la catastrophe, le prophète de malheur Antoine Madrolle prétendit lever le voile sur les implications «théologiques» du sinistre. Juriste sans chaire, publiciste sans tribune, sectaire sans aveu, Madrolle (1792-1860) fut lui-même en toutes circonstances la première victime de son propre zèle apologétique.

    (Bruno Duval)

    Bruno Duval que j'ai rencontré à Vannaire, m'a montré quelques livres d'Antoine Madrolle, qui sont en sa possession, j'ai pu en photographier quelques pages, les voici :

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

    Et un échantillon de son écriture :

    Antoine Madrolle, fou littéraire ou prophète en Châtillonnais ?

     


  • Commentaires

    7
    de Jessey
    Jeudi 26 Septembre 2013 à 17:56

    Je viens de voir votre article sur Antoine Madrolle.


    Je suis un descendant en ligne directe d'Antoine Madrolle par sa fille Ursule, épouse de mon arrière-arrière-grand-Père Jules de Jessey et ai fait acte de propriété auprès de la mairie sur les tombes Madrolle de Larrey.


     


    Je suis à votre disposition pour faire votre connaissance.


     


    Cordialement


     


    Bertrand de Jessey


    Le Chesnay

    6
    Bruno Duval
    Samedi 24 Août 2013 à 17:50

    "...j'aurais pu devenir écrivain, acteur ou, je ne sais pas...pasteur. J'ai eu ce genre d'idées vers 14 ans comme d'autres veulent conduire une locomotive". (interview du cinéaste Michael Haneke (re-)paru dans un journal de ce matin).   Si ce n'est pas une preuve de l'existence de Dieu selon Madrolle, c'est au moins une correspondance particulièrement significative, en ce jour anniversaire de la St-Barthélémy.

    5
    J.P.Gattegno
    Samedi 24 Août 2013 à 17:35

    Salut, Bruno
    merci pour ce mail où j'ai pu découvrir les photos des ouvrages d'Antoine Madrolle (et une autre de Vannaire)
    D'accord avec toi, "il ne  suffit pas de vouer aux gémonies, du haut d'une tribune présidentielle, la "spéculation financière" pour en conjurer le spectre". (Je garde cette citation pour un de mes bouquins, on ne sait jamais). Quant à La théologie des chemins de fer, quand on voit les dérives (et les déraillements) de la SNCF, elle doit constituer une saine lecture.

    4
    Simon C.
    Samedi 24 Août 2013 à 13:59

    J'avais justement parlé de la "Théologie des chemins de fer" à un
    de mes amis suisse, Fr. Friche, chercheur en lettres et spécialiste
    de théologie, qui l'a achetée pour un de ses amis. Celui-ci, après
    avoir soutenu une thèse brillante, avait en effet décidé de devenir
    conducteur de train, en Suisse.

    3
    Bruno Duval
    Vendredi 23 Août 2013 à 20:22

    La "folie littéraire" est encore d'actualité, Dieu merci !

    2
    Richard Sünder
    Vendredi 23 Août 2013 à 18:16

    Bien entendu, je connaissais l'ouvrage de Madrolle, préfacé par Bruno Duval, aux Editions des… Cendres. Il a une affection particulière pour les bûchers, celui de Girodano Bruno, et les cendres de Madrolle. Il m'en a offert un exemplaire. Je savais que Madrolle écrivait dans les arbres mais, s'il avait vécu plus longtemps, il aurait sûrement été plus proche de Dieu en haut de la Tour Eiffel. A défaut, la Tour Saint-Jacques et les donjons du château de Pierrefonds, restauré sous le Second Empire, par Viollet-le-Duc, aujourd'hui utilisés par l'enchanteur Merlin, dans un feuilleton américain, étaient aussi plus proches de Dieu.

    C'est en haut de la Tour Eiffel que Louis de Broglie, très proche des ondes électromagnétiques, eut l'idée que les photons étaient pilotés par ces ondes, résolvant l'énigme de la lumière (ondes ou corpuscules ?), qui a déchiré la physique de Newton à Huyghens, Malus et Fresnel. La lumière n'était pas faite d'ondes ou de corpuscules mais des deux à la fois. Louis de Broglie, que je croisais souvent, le matin sur la place Saint-Pierre, me fascinait, non pas parce qu'il était prince, puis duc à la mort de son frère, mais parce qu'il était le prince de la synthèse. Ce qui lui valut l'excommunication majeure de l'Université rationaliste !

    Raymond Queneau, que j'ai connu, m'avait déconseillé, non sans raison, de publier un mauvais roman de jeunesse. Au retour de mon service militaire, comme sous-lieutenant en Algérie, j'ai publié un roman sur la guerre, chez Albin Michel, qui avait été refusé par quatorze éditeurs.  Il ne faut donc jamais désespérer. D'autant qu'Albin Michel n'était pas le plus mauvais.

    En tout cas, je vous remercie pour les photos de Vannaire et de Madrolle. Son écriture — sans les ratures — me fait vaguement penser à celle de Proust. Mais Madrolle n'a pas su, comme Proust, approcher la définition du Bonheur que notre Constitution et celle des Etats-Unis  prétendent être la finalité de nos peuples ! Nous devrions sans doute réclamer, non pas des tickets-restaurant mais des tickets de bonheur au gouvernement.

    Proust dit que c'est le bonheur est la fusion du présent et du passé — la madeleine, la serviette empesée, le bal de Guermantes, où il croit voir les parents quand ce sont leurs enfants qui dansent, enfin la dénivelée des pavés de la cour de l'Hotel de Guermantes qui le projette dans le passé, à Venise, sur les dalles dénivelées du Bapstistère de… SAINT-MARC, fusionnant le présent et la passé .

    En cherchant à comprendre le genèse même du monde, je suis parvenu à conclure que le Bonheur, c'est l'abolition même du temps physique dans l'Eternité.

    Cordialement,

    Richard Sünder

    1
    Bruno Duval
    Vendredi 23 Août 2013 à 07:39

    Pour la VALLS des ministères, un siècle et demie plus tard, elle est encore d'actualité, pas seulement au sommet de la hiérarchie ecclésiastique. Peut-être ne suffit-il pas de vouer aux gémonies, du haut d'une tribune présidentielle, la "spéculation financière" pour en conjurer le spectre, c'est le cas de le dire.

    Bien à vous,

    B. Du...VAL(S)

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