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Par Christaldesaintmarc le 3 Mars 2014 à 06:00
Michel Lagrange est l'auteur de deux très beaux ouvrages poétiques intitulés "Pleurants, deuillants et fraternels" et "L'ambiguïté de Champmol est partout et nulle part".
Pour écrire ses ouvrages, il s'est intéressé de très près aux règnes des Ducs de Bourgogne qui durèrent de 1364 à 1477, et en particulier à ceux de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, les deux Ducs qui firent construire les magnifiques tombeaux qui font l'admiration , encore aujourd'hui, du monde entier.
Le Duc de Bourgogne Philippe le Hardi était le fils du roi Jean II de France, dit Jean le Bon. Michel Lagrange nous rappelle que c'est lui qui , lors de la bataille de Poitiers, criait "père gardez vous à droite, père gardez vous à gauche".
Jean le Bon récompensa son fils de son courage, en lui faisant donation du Duché de Bourgogne, en 1364.
Par son mariage avec Marguerite de Flandres, Philippe le Hardi agrandit son duché par le nord, englobant par exemple des villes comme Bruges et Gand.
(Le duché s'agrandit, plus tard, encore, avec les terres que les Ducs, qui lui succédèrent, acquirent par mariage: Jean Sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire.)
Très pieux, Philippe le Hardi, protégeait l'ordre des Chartreux, en particulier la grande Chartreuse, fondée par Saint Bruno, mais aussi la Chartreuse de Lugny près de Châtillon sur Seine.
Il désira créer une Chartreuse près de Dijon, dans un endroit humide, longé par la rivière l'Ouche, d'où son nom de "Champmol". Le terrain fut acheté en 1348, les bâtiments furent terminés en 1385.
Le but de cette création était de fonder une nécropole, où tous les Ducs de Bourgogne pourraient être inhumés.
Ce plan, dessiné par Aimé Piron en 1686, montre un immense cloître entourant un espace où se dresse le "Puits de Moïse", dont Michel Lagrange nous parlera plus tard.
La Chartreuse de Champmol possédait, bien sûr, une église dont voici le portail .
Philippe le Hardi s'entoura d'artistes prestigieux comme Jean de Marville, Claus Sluter et Claus de Werve son neveu. Ce sont eux qui ont réalisé les si belles sculptures de ce portail.
Philippe le Hardi avec Saint Jean-Baptiste :
La Vierge du trumeau central :
Marguerite de Flandre, épouse de Philippe le Hardi avec Sainte Catherine d'Alexandrie :
Philippe le Hardi a servi de modèle au Jérémie du Puits de Moïse : même menton prognathe, même nez fort...
Philippe le Hardi mourut en 1404, en Flandres. Il fut éviscéré, son cœur fut déposé à Saint Denis, son corps fut ramené à Champmol, en parcourant ainsi 550 kilomètres ! Notons que sa dépouille fit une halte à Châtillon sur Seine le 26 mai. On lui célébra un service dans l'église Saint Nicolas.
A l'arrivée à Champmol, il fut inhumé, vêtu d'une robe de Chartreux, sous le magnifique tombeau qu'il avait fait réaliser.
C'est celui qui se trouve actuellement au Musée des Beaux Arts de Dijon :
Son fils, Jean sans Peur, fut aussi inhumé à Champmol, cette fois avec son épouse Marguerite de Bavière.
Ces splendides tombeaux sont l'œuvre de Jean de Marville, Claus Sluter et Claus de Werve pour Philippe le Hardi, Jean de la Huerta et Antoine le Moiturier pour Jean sans Peur.
Sous chaque dalle de marbre noir, soutenant les gisants, se promènent des pleurants d'albâtre... Ils ont fait dernièrement l'admiration des Etats-Unis, de l'Allemagne, ils sont sublimes et tous différents !
Dans l'église de la Charteuse de Champmol, se trouvaient des retables magnifiques, eux aussi visibles maintenant au Musée des Beaux Arts de Dijon, comme ce retable de la Crucifixion , dû à Jacques de Baerze (1391):
Portail de gauche :
portail de droite :
Le martyre de Sainte Catherine d'Alexandrie :
La décollation de Saint Jean-Baptiste :
Les retables de Melchior Broederlam d'Ypres:
L'annonciation :
Dieu en haut du retable de l'Annonciation :
La présentation de Jésus au Temple et la fuite en Egypte :
Voyez le regard surpris de l'enfant Jésus à sa mère...Il se demande ce qui va se passer, nous dit Michel Lagrange...quelle finesse et quelle émouvante beauté !
Le retable de Saint Georges :
D'autres œuvres qui appartenaient à la Chartreuse de Champmol se trouvent dans d'autres musées comme le retable de Saint Denis qui est au Louvre :
L'annonciation de Simone Martini qui se trouve au musée d'Anvers :
Les cellules des moines possédaient elles-aussi de très belles peintures médiévales comme celle-ci :
Mais au cours du temps, les goûts évoluèrent. Les chartreux vendirent ces magnifiques tableaux du XIVème pour acheter ce genre de peintures, hélas ...
La Chartreuse de Champmol échappa aux guerres de Religion. Tous les rois et les reines de France y vinrent en pélerinage.
Malheureusement, à la Révolution, la Chartreuse de Champmol fut profanée, son cloître démantelé (une partie, nous dit Michel Lagrange , se trouverait au jardin de l'Arquebuse à Dijon), ses œuvres picturales vendues à l'étranger, les Chartreux en furent chassés.
En 1792, les tombeaux seront transférés à la Cathédrale Saint Bénigne de Dijon, sans destruction.
Les bâtiments furent achetés par un certain Emmanuel Cretet qui se fit nommer, par Bonaparte, comte de Champmol !!
Heureusement, dès 1792, François Devosge s'intéressa à la Chartreuse de Champmol, et fit l'inventaire de ce qui subsistait. En 1838 le site fut restauré et classé.
Mais plus tard, les bâtiments restants abritèrent (et abritent toujours) un asile d'aliénés.
Lors de ma petite enfance dijonnaise, avant, plus tard, de découvrir le Puits de Moïse et l'histoire des Ducs de Bourgogne, je croyais que le mot "Chartreuse" désignait uniquement un endroit où l'on enfermait les fous...
C'est cette ambiguïté qui a intéressé Michel Lagrange, la proximité de la folie et du spirituel qui existe en ce lieu.
Lieu magique, hors du commun, lieu mythique que transcende l'érosion du temps...
Michel Lagrange nous a lu quelques passages de son ouvrage.
Fidélité d'un lieu sans trahison,
Sans défaillance à son histoire.
Les imagiers venus des Flandres,
Et la réclusion des Chartreux
Ont libéré dans l'air un espace impatient,
Une émotion inachevable,
Une envie de dépassement
Qui ne peut retomber.
Rien n'est passé.
La terre a forcément gardé de l'ossuaire ancestral
Une énergie, plus haut tenue
Que les brouillards sanglants de la Révolution.
Le sol est le dépôt de la mémoire,
Un reliquaire.
Fil rouge et musical, grégorien quasiment,
Le temps qu'on a vandalisé jadis
Se recompose.
Il est de tous les âges,
Et nul ne peut le mesurer, le circonscrire,
Mais l'avenir est fécondé
Par cette basse continue....
Michel Lagrange nous a ensuite présenté le chef d'œuvre de l'art médiéval , l'œuvre admirable de Claus Sluter, qu'est le Puits de Moïse.
Le Puits de Moïse se trouvait au centre du cloître de la Chartreuse de Champmol, c'était la réserve d'eau des moines.
Claus Sluter l'édifia à partir de 1387. Au centre du réservoir, il dressa un socle hexagonal, et sur la plate-forme un calvaire , depuis détruit par un effondrement du plafond.
Six anges soutiennent la plate-forme, et dans les niches se dressent les six prophètes de l'Ancien Testament, statues qui magnifient les sentiments humains.
Moïse est le personnage le plus impressionnant. Il a le regard fixé sur l'immensité, et porte les tables de la Loi. C'est un personnage d'une puissance remarquable, de 1,70 de hauteur...
Le Moïse de Sluter est beaucoup plus impressionnant et moins "maniéré" que le Moïse de Michelangelo Buonarroti (dit Michel-Ange) dans son tombeau de Jules II (1542) :
Les autres prophètes portent des phylactères sur lesquels sont inscrites, en latin, des devises.
Daniel :
Isaïe :
David :
Jérémie :
Zacharie :
Les anges ont des attitudes liturgiques ou simplement humaines qui montrent qu'ils sont désespérés par la Crucifixion du Messie (je rappelle qu'un Golgotha existait autrefois au dessus du Puits de Moïse):
Michel Lagrange a été longuement applaudi, par la nombreuse assistance, pour cette magnifique conférence sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur.
Robert Fries, au nom des Amis du Musée du Pays Châtillonnais-Trésor de Vix, lui a remis un présent, un livre sans doute...
Michel Lagrange a répondu aux questions de l'assistance...puis a, à son tour, offert aux Amis du Musée un cadeau exceptionnel !
Un poème sur le trésor de Vix qui a enthousiasmé les auditeurs.
Merci à lui pour son exposé enrichi de très belles photos qui nous a fait découvrir une part de notre histoire bourguignonne, peut-être un peu méconnue, mais qu'il ne faut surtout pas oublier.
Le livre de Michel Lagrange, "Pleurants, deuillants et..éternels" a été présenté ici :
Ce livre a émerveillé le compositeur Jean-Louis Gand, qui en a tiré une merveilleuse cantate , "la Cantate des Pleurants", interprétée en automne dernier à Dijon, par le Quatuor Manfred.
3 commentaires -
Par Christaldesaintmarc le 2 Mars 2014 à 06:00
Des moulages des personnages figurant sur le Puits de Moïse ont été réalisés au XIXème siècle.
Ils sont exposés, depuis peu, dans une nouvelle salle du Musée des Beaux-Arts de Dijon, où je les ai photographiés.
Ici on voit la réduction du Puits de Moïse tel qu'il était au temps de Philippe le Hardi, avec le Golgotha qui le surplombait. Les couleurs d'origine ont été reconstituées. :
Les prophètes :
Moïse :
David :
Daniel :
Isaïe :
Jérémie :
Zacharie :
Les Anges :
Au Musée archéologique de Dijon, j'ai photographié ce magnifique Christ, qui, pense-t-on, était celui qui se trouvait crucifié sur la croix qui se trouvait autrefois au sommet du Puits de Moïse . Il est attribué à Claus de Werve.
Il a donc toute sa place dans cet article.
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