• "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique "

    Georges Sand et le parfum

    Nous avons assisté, jeudi 10 avril, à une merveilleuse conférence "parfumée" présentée par Annick Le Guérer, chercheur, commissaire d’expositions, anthropologue et philosophe : "George Sand, écrivain olfactif à la croisée du parfum et de la musique" , une très belle évocation de la vie de cet  écrivain hors du commun.

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

    George Sand, dans tous ses romans, a célèbré "les chemins fleuris", son jardin de Nohant où elle recevait, était organisé comme un nid parfumé,. Elle ne pouvait vivre sans les parfums et son style utilisait des métaphores odorantes.

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    George Sand vivait sous le signe des odeurs,  elle ne pouvait vivre sans elles . Elle avait  un nez un peu long, et elle se surnomma elle-même ironiquement "Pifoël"
    Cette particularité physique est mise en évidence dans cette caricature faite par son fils , Maurice Sand. Il l'a croquée écoutant Franz Liszt au piano.

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

    En 1808, à quatre ans , Aurore Dupin de Francueil (c'est son vrai nom) quitta Paris avec sa mère pour aller voir son père à Madrid, celui-ci ayant été nommé aide de camp de Murat.

    Dans les montagnes espagnoles des Asturies, sa mère cueillit des liserons et les lui fit sentir en lui disant:

    "Respire-les, cela sent le bon miel, et ne les oublie pas". C’est donc la première révélation de l’odorat que je me rappelle, et par un lien de souvenirs et de sensations que tout le monde connaît sans pouvoir l’expliquer, je ne respire jamais des fleurs de liseron-vrille sans voir l’endroit des montagnes espagnoles et le bord du chemin où j’en cueillis pour la première fois .

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    Portrait de son père Maurice Dupin de Francueil :

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    Aurore passa avec sa mère six semaines de rêve dans un palais, mais voilà que la guerre se déchaîna, il fallut rentrer en France . Hélas le voyage de retour fut atroce car il y avait des cadavres partout...

    La bataille de Somosierra :

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    Les routes étaient jonchées de cadavres, victimes de la guerre mais aussi victimes de la famine et des épidémies.

    Peinture de Goya :

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    Pour protéger sa petite fille des épidémies, sa mère la traita d’une façon très particulière : elle enduisit Aurore de soufre après chaque bain et lui fit ensuite avaler des boulettes de soufre dans du beurre, pour la protéger justement des mauvaises odeurs .

    Car, à cette époque, on était persuadé  qu’on attrapait le choléra ou la peste en respirant les miasmes dégagés par les cadavres.


    Ma mère me soignait à sa manière, et au sortir du bain, elle m’enduisait de soufre de la tête aux pieds, puis elle me faisait avaler des boulettes de soufre dans du beurre et du sucre. Ce goût et cette odeur, dont je fus imprégnée pendant deux mois, m’ont laissé une grande répugnance pour tout ce qui me les rappelle.


    Et pour arriver à supporter cette odeur de soufre qu'elle trouvait atroce, Aurore pressait contre sa poitrine un bouquet de roses .

    Dès l'âge de quatre ans, le destin olfactif d'Aurore Dupin est scellé, il  tiendra de la rose et du soufre.

    On dira d'ailleurs d'elle, beaucoup plus tard, pour d'autres raisons, qu'elle était "sulfureuse" !!

    Annick le Guerer nous révèle que cette expérience fut  marquante pour la future George Sand. En effet, par la suite , elle ne pourra plus jamais sentir le liseron  sans se remémorer les montagnes espagnoles et le bord du chemin ou elle en cueillit pour la première fois.

    Plus tard , elle comparera le "souvenir" à un parfum subtil dans un flacon scellé , le souvenir est le parfum de l'âme disait-elle.
    Cette relation privilégiée que l’odorat entretient avec la mémoire , et qu’avait bien vue Georges Sand, sera célébrée aussi par un contemporain de Georges Sand, Charles Baudelaire  (qui la détestait d'ailleurs !)
    Dans les Fleurs du Mal, il évoque les souvenirs qui jaillissent d’un flacon de parfum

    Dans une maison déserte quelques armoires pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire, parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient, d’où jaillit, toute vive, une âme qui revient, voilà le souvenir enivrant qui voltige.

    Elle fréquenta plus tard le couvent des Dames  Augustines Anglaises où elle se fit remarquer pour son indiscipline, elle commençait vraiment à être...sulfureuse.

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    Après quelques années de mariage avec le baron Casimir Dudevant, dont elle eut deux enfants, elle décida de se séparer de son mari et de mener une vie hors du commun, en s'habillant en homme, et en fumant la pipe et le cigare.

    Voulant écrire, elle changea de nom et se fit appeler George Sand, contraction du nom d'un de ses amants Jules Sandeau.

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    George  qui fumait la pipe, fit réaliser pour elle un parfum mêlant le tabac et la rose !

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    L'époux d'Annick le Guérer avait apporté, pour la conférence, des flacons de parfums qu'il nous a  fait respirer sur des mouillettes. Le premier parfum  que nous avons senti fut celui de l'alliance du tabac et de la rose, une fragrance surprenante mais finalement très agréable....

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

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    A Nohant, où George vivait tous les étés, les parfums étaient rois. Elle adorait celui de sa grand-mère à base de benjoin, mêlé aux odeurs des confitures que celle-ci faisait confectionner.

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    Voici la grand-mère de George Sand, Marie-Aurore Dupin de Francueil qui vivait à Nohant, avant de léguer le domaine à sa petite fille :

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    Le parfum de Marie-Aurore Dupin de Francueil, à base de benjoin était élaboré par la parfumerie Lubin, qui a disparu aujourd'hui.

    Nous avons pu le humer sur une mouillette....délicieux lui aussi.

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    George adorait son jardin de Nohant, elle y fit planter des orangers, des citronniers qui sentent si bon,  elle avait une passion pour les roses qu'elle respirait voluptueusement et qu'elle aimait pour "leur courageuse beauté". Personne n'avait le droit de les cueillir, elle en recevait seulement un bouquet le jour de sa fête, c'était, disait-elle, la "redevance de son jardin".

    Elle disait que, même en hiver, elle pouvait s'enivrer de leur parfum, puisque certaines roses s'épanouissaient à ce moment là.

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    Sa rose préférée c'était la "rose-thé"....

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    Théophile Gautier, lui aussi, aimait la "rose-thé"....

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    La rose-thé

    La plus délicate des roses
    Est, à coup sûr, la rose-thé.
    Son bouton aux feuilles mi-closes
    De carmin à peine est teinté.

    On dirait une rose blanche
    Qu'aurait fait rougir de pudeur,
    En la lutinant sur la branche,
    Un papillon trop plein d'ardeur.

    George Sand aimait les parfums, s'en faisait confectionner. Hélas les archives des parfumeurs de l'époque ont disparu, mais on sait qu'ils étaient créés avec des substances animales comme le musc qui vient d'une poche que le chevrotin de l'Himalaya possède sous le ventre.

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    L'ambre gris qui est une sécrétion du cachalot , après son ingestion de calamars géants...

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    La sécrétion malodorante du chat civette (nous l'avons sentie, nature,  sur une mouillette, pouah !!), jointe à d'autres produits permettaient, chose étrange, à d'autres parfums d'être exaltés.

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    George Sand eut une relation passionnée avec Alfred de Musset, durant laquelle elle porta du "patchouli".

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    Tous deux partirent à Venise et logèrent au palais Danielli. George tomba malade et, durant sa maladie, Alfred fréquenta les maisons closes. Lorsqu'à son tour, ce fut lui qui tomba malade, George le fit soigner par un beau médecin vénitien, le docteur Pagello, dont elle tomba amoureuse, belle vengeance.

    Musset partit seul pour Paris, George en souffrit, se promenant près du grand Canal, elle respirait les parfums de Venise en pensant que "l'affection d'un absent est un parfum"

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    Plus tard, en 1836, elle s'éprit de Frédéric Chopin et partit avec lui à Palma de Majorque, réputée pour le parfum de ses grenadiers, délicieux à la belle saison.

    Mais Chopin, phtisique, avait une hypersensibilité olfactive, il en souffrait beaucoup, et l'hiver il ne put supporter l'odeur de bois brûlé des cheminées de Majorque.

    Il détestait ses odeurs corporelles et avait peur d'indisposer son entourage avec l'odeur de sa transpiration, aussi il s'inondait d'eau de Cologne, que nous avons sentie sur une mouillette, pas de différence avec nos eaux de Cologne modernes : légèreté, finesse ...

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    De retour à Nohant  après une difficile traversée de la Méditerranée avec cent cochons puants, Frédéric ne supporta pas l'odeur qui se dégageait de sa chambre qu'on venait de retapisser ! la colle qui avait été utilisée avait été fabriquée avec les os des cadavres de chevaux de l'équarissage de Montfaucon, pas étonnant .....

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    George Sand et Frédéric Chopin vécurent ensemble jusqu'en 1847, année  où ils se séparèrent, car Chopin  soutint les idées de la fille de George, Solange, contre celles de sa mère.

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    George, à Nohant, recevait beaucoup malgré  ses soucis pécuniers : Théophile Gautier, Jules et Edmond de Goncourt, Sainte-Beuve, Taine....

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    Quel parfum portait George Sand ?

    Un parfum capiteux qu'elle faisait confectionner par la maison de parfumerie Rafin. Cette maison, comme celle de Lubin, a disparu, ses archives aussi. Mais un petit miracle est récemment advenu : Annick Le Guérer a pu obtenir un flacon de parfum , non ouvert, qui avait appartenu à  George Sand.

    Ce flacon si précieux, lui a été remis par l' arrière-petite fille de George, Christiane Sand !!

    Impossible d'ouvrir le flacon, tant le bouchon était collé au verre... Dominique Ropion, le grand parfumeur auquel Annick Le Guérer a remis le flacon, a fait percer le fond pour en faire sortir le liquide, l'a analysé et, merveille, a pu le reconstituer !

    Nous avons pu le humer avec délice, j'y ai retrouvé le parfum de ma grand-mère, je l'ai revue se parfumant derrière l'oreille...George Sand avait bien raison d'associer le souvenir aux odeurs !

    C'est un parfum capiteux, certes, composé de bergamote, rose, jasmin, ylang, iris, vétiver, patchouli, labdanum, civette, benjoin, cannelle, santal, et castoreum.

    Ce parfum est déposé maintenant au Musée de la parfumerie.

    Le parfumeur est-il un artiste ? oui sans aucun doute, bien que la profession ne soit pas encore reconnue comme faisant partie du monde de "l'art". Dominique Ropion a été bien sûr décoré pour son travail, mais la parfumerie ne bénéficie pas encore de la "propriété intellectuelle" comme peuvent l'être la peinture et la musique. Un parfum peut être copié, sans que son créateur ne puisse y trouver à redire...

     Et pourtant ne parle-t-on pas, en parfumerie, de "notes florales" ? le parfumeur ne travaille-t-il pas sur un "orgue" pour mêler les différentes senteurs ?

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

    George Sand a joué un rôle essentiel dans l'association musique et parfum, la conférence d'Annick La Guérer nous a fait découvrir une facette étonnante de l'auteur de "la petite Fadette" et d'" Indiana", aussi la conférencière a été très applaudie pour cette magnifique évocation de la "dame de Nohant",

    Annick le Guérer a ensuite répondu aux questions de l'auditoire et a dédicacé ses ouvrages  "les pouvoirs de l'odeur" et "le parfum".

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

    Voici les mouillettes imprégnées des parfums que nous avons pu sentir. Encore aujourd'hui le parfum de George, reconstitué par Dominique Ropion, embaume mon bureau, je le sens délicieusement en écrivant cet article.

    Les parfums d'autrefois, élaborés avec musc et civette "tenaient" beaucoup, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui puisque les substances animales sont interdites.

    C'est bien dommage....

    "George Sand, écrivain olfactif, à la croisée du parfum et de la musique " une conférence de l' ACC

    A relire, le compte-rendu de la conférence d'Annick Le Guérer de l'an dernier sur la révolution de la synthèse et la naissance des grandes parfumeries :

    http://www.christaldesaintmarc.com/la-revolution-de-la-synthese-et-la-naissance-des-grandes-maisons-de-pa-a82119468


  • Commentaires

    2
    tiebo019
    Lundi 14 Avril 2014 à 10:05

    Petite précision sur les parfums Lubin après lecture de ce passionnant article. La marque est à nouveau distribuée dans une toute petite boutique du VIème arrondissement parisien (voir également le site web : http://www.lubin-parfum.fr/)

    1
    tiebo019
    Lundi 14 Avril 2014 à 10:02

    Bonjour, petite précision sur les parfums Lubin évoqués dans ce superbe article. La marque est à nouveau distribuée, les parfums se trouvent dans une toute petite boutique du VIème arrondissement parisien (21 rue des canettes).

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