• "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

    Lors du festival "Musiques en Voûtes" qui s'est déroulé toute la journée du 7 septembre 2013, nous avons pu visiter le Musée du Pays Châtillonnais-Trésor de Vix, assister à une visite de l'abbaye Notre-Dame par Dominique Masson, écouter une conférence magistrale de Françoise Vignier sur l'histoire de l'abbaye Notre-Dame de Châtillon sur Seine, et bien entendu assister aux merveilleux concerts de Ré Mi La et du Quatuor Manfred.

    A la fin de la Conférence de Françoise Vignier, je lui ai demandé de me confier le texte de sa conférence, ce qu'elle a accepté avec une grande générosité. Merci mille fois à elle..

    Ce texte est passionnant, mais très long (il y en avait 11 pages !), je l'illustrerai donc, pour plus de légèreté, par des photographies et des documents, certains de ces documents sont ceux que Dominique Masson a exposé dans l'église Saint-Pierre (nouveau nom de l'église Notre-Dame), merci donc aussi à lui.

      L’abbaye Notre-Dame de Châtillon sur Seine

    (Châtillon, Musiques en voûtes, 7 septembre 2013)

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

     En ouvrant ce propos, je vous dois un aveu : je ne m’étais jamais véritablement intéressée à l’abbaye de Châtillon avant que madame Estrat ne me demande avec insistance de venir en parler ici ce soir… M’étant finalement laissée convaincre et faute de pouvoir, en l’absence d’une documentation rapidement accessible, répondre positivement à sa requête de traiter de ces bâtiments dont vous venez d’avoir un aperçu au cours de la visite de l’église faite sous la conduite éclairée de M Dominique Masson, je vais tenter de vous en narrer l’histoire. Pour ce faire, j’ai eu recours à deux publications : le mémoire consacré à la constitution et à la gestion de son domaine au Moyen-Âge par Michel Petot, Vice Président de la Société archéologique et Historique du Châtillonnais, qui aurait été beaucoup plus qualifié que moi pour le faire, et la belle histoire de Châtillon due à Michel Belotte, historien scrupuleux auquel aucun document, aucune publication n’a échappé. Tout ce que je vais vous dire vient de ces deux ouvrages.

                                    PLAN

    Histoire de l’abbaye :

    -Les origines du chapitre (IXème –XIème siècles

    -La réforme de saint Bernard et l’affiliation de l’abbaye à la congrégation de d’Arrouaise (XIème-XIIIème siècles)

    -Décadence (XIIIème-XVIème siècles)

    -Le temps des réformes (XVIIème-XVIIIème siècles)

    Le domaine 

    -sa  vie dans une relative aisance durant six siècles et demi et rayonnement dans la région

    -sa constitution du Xème au XVème siècles

    -Sa consistance : églises paroissiales, biens et droits

                             HISTOIRE                                      

     -Les origines du chapitre (IXème –XIème siècles)

    Pour comprendre les caractéristiques de l’histoire de cette abbaye, qui fut en fait un chapitre de chanoines placé sous la règle de Saint Augustin, il faut remonter aux premiers temps du christianisme à Châtillon et à l’implantation sur la colline dominant le cours de la Seine et la résurgence de la Douix, d’un modeste village, doté, semble-t-il, dès le IVème siècle, d’un oratoire dédié à la Vierge, puis au Vème siècle d’une église placée sous le vocable de Saint Martin et enfin, au VIIIème siècle d’une seconde église vouée, elle, à Saint Mammès, patron de la cathédrale de Langres, chef lieu du diocèse aux lisières duquel était situé l’endroit.

    Le 28 mai 868, pour les mettre à l’abri des invasions normandes…et peut-être aussi pour donner plus d’assise à son pouvoir spirituel et temporel dans cette région où s’entremêlaient les frontières des grands domaines laïcs et religieux, l’évêque de Langres Isaac (39ème évêque) fit apporter de Marcenay à Châtillon le corps de saint Vorles. Comme le savent tous les châtillonnais, Vorles est l’un des premiers prêtres dont la présence soit attestée dans la région. Sa sainteté avait été spontanément reconnue après qu’il ait vécu à Marcenay même le miracle de la bilocation : alors qu’il y célébrait la messe en présence du roi Gontran, il s’était immobilisé quelques instants tandis que, simultanément il sauvait un enfant d’une maison en flammes à Plaines-Saint-Lange, village situé à une vingtaine de kilomètres de là.

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    (Vitrail moderne de l'église de Marcenay, représentant la "bilocation" de saint Vorles)

     Après sa mort, en 591, des guérisons avaient été constatées auprès de son tombeau, suscitant un discret mouvement de pèlerinage, que l’évêque souhaitait peut-être détourner vers la ville naissante de Châtillon dont les premiers habitats étaient déjà entourés de murailles.

    A Châtillon, les reliques furent déposées dans l’église Notre-Dame et Saint-Martin auprès de laquelle se constitua un groupe de prêtres chargés d’assurer le service de la liturgie et d’accueillir les pèlerins.

    Devant leur afflux et pour donner aux reliques un cadre digne d’elles en ces temps qui étaient à la fois ceux du développement du culte des reliques et ceux d’une première ébauche de réforme de l’Eglise, l’évêque Brun de Roucy va ériger dès 991, le groupe de prêtres en chapitre de chanoines séculiers, à l’image des chapitres assurant les services religieux dans les cathédrales auprès des évêques. Puis, aux alentours de l’an mil, il engagera pour abriter les reliques, la construction d’une grande église, qui sera achevée vers 1025 : l’église Saint-Vorles.

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     (Translation des reliques de saint Vorles dans l'église qui portera son nom)

    Dans le temps même où s’élevait cette église et où était créée une école, tenue par les chanoines dont la renommée rapidement s’étendit, l’un des dits chanoines, du nom d’Aganon, rédigeait en 1020 une vie de saint Vorles qui reste la source principale de l’histoire du saint et du développement de son culte.

    Avant d’aller plus loin, je m’arrêterai un instant pour mieux comprendre l’importance de son rôle, sur la personnalité de ce Brun de Roucy, évêque de Langres de 981 à 1016. C’était un grand personnage : d’origine normande, il était le fils d’une demi-sœur du roi de France, le filleul de l’archevêque de Cologne et avait été à Reims le disciple fervent de Gerbert, célèbre érudit devenu pape en 999 sous le nom de Sylvestre II. Proche des derniers rois carolingiens, il était lié par le sang aux plus grandes familles du royaume.

    Son œuvre à Châtillon était donc fondée sur de solides appuis, tant spirituels qu’intellectuels et matériels.

     -La réforme de saint Bernard et l’affiliation à la congrégation d’Arrouaise (XIème –XIIIème siècles).

    Un siècle après l’achèvement de l’Eglise, saint Bernard, qui, à l’initiative de sa mère, avait , durant huit années, été élève de l’école des chanoines, voulut, dans son zèle réformateur, transformer le chapitre en abbaye. Le projet semble en être né dès 1129, mais avoir rencontré quelques réticences auprès d’une partie au moins des chanoines, si bien que c’est seulement en 1138, que le statut de chanoines réguliers leur fut enfin reconnu. Statut de chanoines réguliers…Vous avez bien compris que ce n’est pas la règle cistercienne qui fut adoptée, mais celle de saint Augustin presque aussi rigoureuse (pauvreté, vie en commun, possession commune des biens, journées rythmées par la prière, travail manuel ou intellectuel…) mais qui laissait à chaque monastère plus d’indépendance et était mieux adaptée à une communauté vivant en milieu urbain, puisqu’elle prévoyait que les chanoines puissent assumer le soin des âmes. Encore cette règle fut-elle appliquée avec modération : les chanoines qui la refusèrent demeurèrent là jusqu’à leur décès, les nouveaux chanoines s’engageant seuls à la respecter.

    Le respect des choix individuels n’excluait pas la méfiance : pour consolider cette réforme Bernard jugea opportun de rattacher le chapitre de Châtillon à un groupement de chapitres implanté dans le diocèse d’Arras : la congrégation d’Arrouaise, dont le prieur était l’un de ses amis. Quelques chanoines d’Arrouaise semblent d’ailleurs être venus à Châtillon pour assister leurs confrères dans la mutation de leur vie. Dès 1257, les chanoines de Châtillon, avec l’appui de l’évêque, allaient s’affranchir de cette tutelle, pourtant légère.

    Très vite, les chanoines, leurs serviteurs et leurs convers, se trouvèrent à l’étroit sur l’esplanade de saint Vorles , où ils étaient en outre sous le contrôle un peu trop direct de l’évêque qui y avait une résidence. Ils s’établirent donc au hameau de Courcelles-Prévoires, entre la Seine et la Douix, en terrain neutre en quelque sorte, puisque situé entre la seigneurie ducale et épiscopale du Bourg et la seigneurie ducale de Chaumont. Cette translation intervint sans doute avant même l’adoption définitive de la réforme, en 1138 : l’église comme vous avez pu le constater, est de même plan et même système de voûtement que celle de l’abbaye de Fontenay, construite entre 1139 et 1147. Elle lui est  donc peut-être légèrement antérieure.

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

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     Cette nouvelle église, dont le construction semble avoir précédé celle des bâtiments conventuels, fut placée non pas sous le vocable de saint Vorles, mais sous celui de Notre-Dame, sur décision, vraisemblablement de saint Bernard, qui avait une grande dévotion pour la Vierge, dont il développa le culte, repoussant dans l’ombre celui des saints et de leurs reliques, y compris celui de Vorles.

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     En outre, la règle prévoyant l’admission de femmes dans l’enceinte du monastère comme converses ou oblates, mais avec résidence à l’extérieur, fut alors construit à peu de distance un petit couvent de femmes, pourvu d’une chapelle. Il disparut très vite, au plus tard au XVème siècle. Son emplacement est connu sous le nom de « Dames brûlées », en souvenir, sans doute de l’incendie qui mit un terme à son existence, alors que les moniales l’avaient déjà déserté. Ce petit couvent éphémère eut néanmoins un rôle matériel non négligeable : de nombreuses donations furent faites à l’abbaye par des familles dont les filles y furent admises comme oblates aux XIIème et XIIIème siècles. Il contribua donc ainsi à la constitution du domaine de l’abbaye.

    Quelques chanoines restèrent près de l’église Saint-Vorles, devenue en 1139, église paroissiale de la ville, qu’ils desservaient en vertu de la règle qui leur accordait le soin des âmes.

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     -Décadence (XIIIème-XVIème siècle)

    Bien installés dans ces bâtiments neufs et bientôt dégagés de liens avec la congrégation d’Arrouaise, nos chanoines ne vont pas tarder à prendre des libertés avec la règle établie avec tant de diplomatie.Scrutant les documents avec attention, Michel Petot a noté quelques étapes de cette décadence.

    En 1212, premier témoignage de l’abandon de la propriété commune de biens, un chanoine ayant hérité à titre personnel d’une vigne à Beaune.

    En 1257, à Châtillon comme ailleurs, autorisation est donnée de consommer de la viande trois fois par semaine, une fois par jour…à l’abri du regard des laïcs (il s’agissait en fait d’institutionnaliser une pratique déjà ancienne)

    En 1320, coup fatal porté à la vie communautaire : l’abbé fait désormais table à part, ce qui entraîne un partage des biens entre manse abbatiale et manse conventuelle, avec une disproportion telle entre les deux, à l’avantage de l’abbé, qu’elle devait engendrer d’interminables procédures, closes par une transaction intervenue à la fin du XVIème siècle seulement, bien après que la commende, qui entraînait ce type de partage ait été instituée en 1494. Simultanément les offices claustraux (prieur, sacristain, aumônier, chantre, infirmier, pitancier) cessaient d’être pourvus par élection leur titulaire étant nommé à vie.

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     Cette décadence, il faut en convenir, fut largement favorisée par les évènements extérieurs, les conflits ayant, à plusieurs reprises, contraint les chanoines à abandonner leur monastère et à chercher refuge sur leurs domaines ou auprès de laïcs.

    C’est ainsi que, en 1475, les bâtiments seront en partie ruinés lors de la prise de Châtillon par les troupes de Louis XI, en conflit avec Charles le Téméraire. Pour obtenir le retrait des troupes royales, les habitants de Châtillon mirent alors en vente les cloches de l’abbaye…. puis acceptèrent en 1489,  que soit levée sur eux une taille dont le montant était destiné à dédommager les chanoines..Suivirent au XVIème siècle les Guerres de Religion : si les destructions semblent alors avoir été moindres, nos chanoines ne purent échapper aux impôts exigés par le roi pour combattre les protestants, ce qui les contraignit, entre 1567 et 1577 à vendre d’importants éléments de leur patrimoine ( j’y reviendrai dans un instant)

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     La paix n’était pas acquise que le coup de grâce était donné par l’abbé Garin de Montrigault, qui, sans respect pour l’accord de partage intervenu en 1585 (en règlement du conflit ouvert en 1320) se livra à un véritable pillage des domaines.

    Puis, en 1595, Châtillon, dont les habitants tenaient pour le parti catholique, devint un enjeu  entre les royalistes, attachés à Henri IV et les ligueurs. Alors furent rasés, à l’initiative du baron de Thénissey, gouverneur ligueur de la ville, successivement le faubourg du Temple (dont les pierres furent employées à renforcer le château), le couvent des Cordeliers, la vieille église Saint-Mammès et les maisons qui l’entouraient, et enfin le faubourg de Courcelles-Prévoires, y compris le monastère, mais en laissant subsister l’église Notre-Dame, très abimée et privée de sa toiture.

    Et pour couronner le tout, Henri IV fit bientôt don des revenus de l’abbaye à l’une de ses favorites, la belle Corisande d’Andouins, comtesse de Guiche, qui avait des liens familiaux avec les seigneurs de Larrey. La gestion en fut confiée à des laïcs que les scrupules n’étouffaient pas. Cet épisode fut heureusement bref, mais fut suivi en 1597 de l’autorisation donnée par le roi de vendre les domaines jusqu’à une somme de 6000 livres pour relever le monastère de ses ruines, somme qui fut utilisée en particulier pour rétablir en 1607 le toiture de l’église. Quelques années plus tard, ces 6000 livres n’ayant pas suffi à tout remettre en état, le roi Louis XIII donna en 1611,l’autorisation de vendre des bois pour achever la reconstruction.

    -Le temps des réformes (XVII et XVIIIème siècles)

    Cette reconstruction fut suivie d’une première tentative de restauration de la règle et d’application stricte du partage de 1585. L’artisan opiniâtre en fut, non pas l’abbé, mais l’infirmier, soutenu dans sa tentative par le roi et l’évêque de Langres. Il avait un nom quasiment prédestiné puisqu’il s’appelait Claude Esprit, ou Esperit. Mais les chanoines ne l’entendirent pas de cette oreille et le séquestrèrent lorsque, fort de ses appuis, il revint de Paris prêt à rétablir la règle originelle. Il parvint à s’échapper et, pas découragé, obtint en 1635, après le concile de Trente, pour réformer non seulement les monastères ayant, comme celui de Châtillon, adopté la règle de saint Augustin, mais aussi les monastères bénédictins et cisterciens.

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

     Dans le même temps, la reconstruction des bâtiments fut reprise et achevée.

    Ainsi réformée et reconstruite, l’abbaye eut alors le malheur d’être confiée en 1638, à un favori du cardinal de Richelieu qui l’appréciait pour sa culture, son humour et la vivacité de son esprit volontiers libertin : François Le Metel de Boisrobert, qui devait en rester abbé jusqu’à son décès intervenu en 1662.

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     Ce personnage n’avait aucune des qualités pour être abbé d’un monastère réformé, aux biens désormais soigneusement gérés. Né en Normandie d’une famille protestante, il s’était fait connaître dans les milieux lettrés de la capitale par des poésies libertines, avant de se rallier au groupe d’écrivains, réunis autour de Malherbe et de faire partie de ceux qui suggérèrent au cardinal de fonder l’Académie Française. Converti en 1621, tonsuré en 1623, il avait été pourvu d’un canonicat à Rouen en 1634, après un voyage à Rome, avant d’être nommé abbé de Châtillon. Plus souvent présent à Paris que dans son abbaye, où il se contenta de se réfugier durant les troubles de la Fronde, il remit en cause le partage de 1585, ce qui l’opposa aux chanoines dans un conflit réglé par l’évêque d’Auxerre. Jusqu’à sa dernière heure il ne cessa d’écrire poésie, pièces de théâtre et, sous un faux nom, des contes licencieux.

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     Lui succéda, en 1662, un homme beaucoup plus soucieux des intérêts de l’abbaye et de son insertion dans la ville : Henri Lenet, filleul du prince de Condé, membre d’une famille parlementaire bourguignonne qui venait d’acquérir le proche château de Larrey.

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     Nommé abbé à 19 ans, Lenet devait le rester jusqu’à son décès, en 1710 et même renoncer, par fidélité au châtillonnais, à un siège épiscopal. Ce long abbatiat (un demi siècle) fut marqué par la création, pour relier l’abbaye à l’une des portes de la ville, de la longue esplanade qui porte encore, de nos jours, le nom de « cours l’abbé ». Il engagea, à ses frais, de nouveaux travaux de restauration qui n’étaient pas achevés à sa mort. A cette campagne de restauration appartient le portique aveugle plaqué contre la façade occidentale de l’église, que l’un de ses successeurs devait compléter en 1727, par un portail couronné d’un fronton.

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

     Par son testament, rédigé en 1708, Lenet avait organisé ses funérailles de façon somptueuse : 200 pauvres, bénéficiaires chacun d’une modeste rémunération, devaient accompagner son corps. Il fondait en outre quatre chapellenies à Saint-Nicolas, léguait 400 livres aux chanoines, des sommes diverses à une douzaine d’établissements religieux et 400 livres aux pauvres.

    Hommage lui est rendu, dans l’église elle-même, par une plaque apposée sur le pilier situé à droite de l’autel :

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

     Non loin de sa pierre tombale située elle-même dans l’allée centrale.

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine

     (Pierre tombale d'Henri Lenet)

    Trois abbés allaient lui succéder jusqu’à la Révolution, qui tous appartenaient aux grandes familles de la noblesse de robe bourguignonne. Au cours de cette période de calme, le fonctionnement même de l’abbaye fut réorganisé par un chanoine, François Hocmelle, érudit qui procéda au classement des archives, et composa un cartulaire (c'est-à-dire un recueil de copies de chartes) et une histoire de l’abbaye restée manuscrite.

    Au moment de la Révolution, l’abbaye n’abritait plus que 10 chanoines, qui furent dispersés en 1791, malgré une pétition qui avait rassemblé 132 signatures en faveur de « ces dignes religieux qui dans les circonstances actuelles sont restés fidèles à leurs vœux et ont donné l’exemple de la plus parfaite soumission aux lois »

    Puis il fut procédé à la vente de leurs biens, la maison conventuelle elle-même, divisée en deux lots n’ayant trouvé preneur qu’en l’an V pour faire un hospice. C’est alors que l’église fut placée sous le vocable de saint Pierre.

                     LES DOMAINES                              

    Nous allons maintenant laisser ces dix derniers chanoines se disperser et tenter de comprendre comment s’est constitué ce patrimoine, vendu par morceaux, après leur départ, dont les revenus avaient permis à l’abbaye de vivre durant six siècles et demi.

    -Mode de formation

    Rappelons-nous en introduction que la règle faisait obligation aux chanoines de vivre exclusivement d’aumônes, les achats proprement dits n’intervenant que « ad necessitatem monasterii »

    Le noyau de ce patrimoine fut constitué, dès la fondation en 991 du chapitre de chanoines séculiers, par des donations de Brun de Roucy, qui entendait assurer à la nouvelle communauté des moyens d’existence. Ses successeurs suivirent son exemple, en particulier Robert de Bourgogne, évêque de Langres de 1085 à 1110. Ils donnèrent essentiellement des églises, accompagnées des droits en dépendants, mais aussi quelques terres.

    A partir de la régularisation du chapitre, donateurs et donations se diversifièrent : les ducs de Bourgogne, les comtes de Champagne, les familles de Grancey (à laquelle Bernard était apparenté), de Brémur ou de Bissey rivalisèrent de générosité, entraînant dans leur sillage de simples chevaliers, s’apprêtant parfois à partir pour la croisade ou préparant l’entrée au monastère d’un fils ou d’une fille, celle-ci comme oblate. S’y ajoutaient quelques clercs. Les donations portaient sur des terres (surtout des bois et des prés), des seigneuries et des droits d’usage (notamment les droits de pâturage), mais aussi des hommes, le tout en simple aumône, sans attendre aucune contrepartie.

    A partir du XIIIème siècle, donateurs et mode d’acquisition se modifièrent. Les grandes familles seigneuriales s’étaient divisées en de multiples branches ou s’étaient éteintes. D’autres s’étaient épuisées en générosités ou en participation aux croisades, dont beaucoup de membres n’étaient pas revenus. Beaucoup étaient désormais liées entre elles par les liens de la vassalité et les charges qu’ils entraînaient. D’autres enfin s’étaient mises au service des ducs qui, peu à peu, organisaient l’administration du duché , en particulier la justice, ou au service des évêques.

    Ces derniers, quant à eux, se contentaient désormais de confirmer périodiquement aux chanoines la possession de leurs domaines et droits.

    En revanche, une nouvelle génération de donateurs, liée au développement de la ville, était apparue : les bourgeois, enrichis dans le commerce, à qui l’abbaye dut alors la constitution de l’essentiel de son domaine urbain, tant au Bourg qu’à Chaumont.

    Enfin, d’autres communautés monastiques s’étaient installées dans la ville qui avaient suscité un réel engouement, en particulier les Cordeliers, arrivés en 1227 qui avaient immédiatement créé une véritable concurrence, en particulier pour les inhumations dont l’abbaye avait jusqu’alors l’exclusivité.

    Dans ce nouveau contexte social, les donations furent généralement accompagnées de conditions telles que célébration de messes en nombre défini, inhumation dans l’enclos de l’abbaye, voire dans l’église, entretien d’une lampe devant la statue de la Vierge, inscription dans l’obituaire (liste des personnes pour lesquelles les chanoines priaient à la date de leur décès) etc…

    A côté des donations proprement dites, se multiplièrent les testaments comportant dons et fondations.

    Puis se développèrent de nouveaux modes d’accroissement du domaine, à vrai dire peu conformes à la règle, puisqu’il ne s’agissait plus de dons plus ou moins gratuits, mais de véritables transactions. On vit alors apparaître des contrats d’engagements par lesquels les moines assuraient le règlement de dettes de laïcs, essentiellement celles de petits seigneurs, en échange de la jouissance de leurs biens, jusqu’à un remboursement…qui généralement n’intervenait pas, les biens ainsi engagés restant propriété de l’abbaye. Cette fiction de donation, qui ne trompait personne, fut bientôt abandonnée et se multiplièrent achats proprement dits, mais aussi échanges, dans beaucoup de cas avec des établissements religieux voisins, tels le grand prieuré du Val des Choux, ou les abbayes de Pothières, Molesme ou de Longuay, parfois pour mettre un terme à des conflits, mais beaucoup plus souvent dans un souci réciproque de bonne gestion.

    Enfin, se coulant dans le système juridique régissant la propriété, il leur arrivèrent de prendre des terres ou prairies en bail à cens, en se réservant toutefois le droit de préemption en cas de vente des biens accensés par les propriétaires.

    De ce souci de bonne gestion témoigne en particulier le mode de constitution du domaine de Chaume-les-Baigneux, autour d’un noyau primitif donné dès le XIIème siècle : il fallut en effet plus de deux cents ans aux moines pour, en usant de ces divers procédés d’acquisition (au total une quinzaine de donations, achats et engagements, souvent très importants ), éliminer du territoire de Chaume tous les seigneurs qui en possédaient une partie.

    Les accroissements cessèrent à la fin du XVème siècle, temps de l’établissement de la commende, seules de menues adaptations à l’évolution du statut de la terre et à celle de l’assiette et de l’existence même des droits, intervenant désormais. Notons à ce propos l’affranchissement tardif des habitants de Chaume, chèrement acquis en 1528 seulement par les habitants.

    S’il n’y eut plus d’accroissements, il y eut à la fin du XVIème siècle quelques aliénations justifiées, nous l’avons dit, par la nécessité de financer les combats des armées royales contre les réformés. Alors furent aliénés, en 1567, le moulin de Villotte, en 1569 des droits sur Chamesson, en 1574 et 1577 des terres, moulins et vignes à Courteron, Massingy et Poinçon-les Larrey. A Villotte, comme à Chamesson les acquéreurs furent les seigneurs des lieux. On était loin du temps des donations désintéressées.

    -Constitution

    L’élément premier, resté jusqu’au bout essentiel, de ce domaine, était les églises et les droits en dépendant,  donnés du Xème au  XIIème siècles par les évêques de Langres, de Brun de Roucy à Robert de Bourgogne et Godeffroy de Rochetaillée, ce dernier parent de saint Bernard.

    Il s’agissait des églises de Châtillon (Saint-Vorles dont relevaient depuis 1139 les églises et chapelles de la ville), Maisey et sa succursale de Villotte, Saint-Phal, Buncey, Coulmier et sa succursale de Chamesson,Gyé et ses succursales de Courteron et Neuville, Larrey (qui desservait Poinçon et Larrey), Balot, Prusly, Brion et ses succursales de Mosson et de Thoires, Saint-Germain-le-Rocheux qui toutes relevaient de l’évêché de Langres, et bien entendu Chaume, la plus éloignée, relevant de l’évêché d’Autun dont on ne sait quand ni comment elle fut donnée à l’abbaye, parmi les biens de laquelle elle figure dès 1150.

    La desserte des seules églises de Châtillon, Poinçon, Coulmier et Massingy était, au moins à l’origine, assurée par un chanoine, toutes les autres l’étant par un vicaire, désigné par l’abbé et étroitement surveillé par lui, avec qui le partage des biens et revenus n’était pas toujours exempt de difficultés.

    Quant aux biens et droits, dont l’élément le plus cohérent était Chaume, où les abbés faisaient accessoirement leur résidence, ils étaient tous regroupés à Châtillon même et à proximité de la ville, à l’exception de vignes à Chablis, d’une maison à Beaune, de quelques terres à Montbard et de cens à Troyes. L’important domaine de Chaume était le plus éloigné, tous les autres étant situés à un maximum de vingt kilomètres, entre Courteron au nord, Poinçon et Larrey à l’ouest, Maisey à l’est et, si l’on exclut Chaume, Brémur au sud.

    Ce regroupement, qui est la caractéristique principale de ce domaine, dont l’autre caractéristique est l’importance des propriétés urbaines, permettait à l’abbaye d’en assurer directement la gestion.

    Et voilà pourquoi ce chapitre de chanoines au rayonnement géographiquement limité dès son origine, a pu faire face durant plus de six siècles à toutes les adversités.

    "L'ancienne abbaye Notre-Dame", une superbe conférence de Françoise Vignier, lors de la venue de "Musiques en Voûtes" à Châtillon sur Seine


  • Commentaires

    1
    Jeudi 24 Octobre 2013 à 10:42

    Encore une fois tu as fais un travail magnifique. Comment fais-tu tout cela. Et en plus si vite? Merci pour tout, restons en contact et tiens moi au courant des événement de la vie châtillonnaise.

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