• L'histoire du moulin de Gomméville par Jean Verniquet (2)

    Le Moulin Gautherot

     En 1909, la famille Maître décide de vendre le moulin. Arsène Verniquet, régisseur, n’a aucune difficulté pour trouver un acquéreur. Son filleul, Georges Gautherot (1883-1939) habite en face du moulin.Ce dernier se sent à l’étroit dans la petite polyculture de ses parents. Entreprenant et dynamique, il reprend l’affaire à l’âge de 26 ans, puis il épouse Louise Gillon (1885-1980) ;

    Deux filles vont naître de cette union : Lucie (1912-1993) et Rose (1915-2010)

    L'histoire du moulin de Gomméville par Jean Verniquet (2)

    (Georges Gautherot et ses deux filles sur le bief en 1933)

    Georges ne se doute pas que 27 ans plus tard, en 1937, il accueillerait dans son moulin, pendant trois jours les 120 joyeux convives d’un double mariage, celui de ses deux filles : Lucie avec Marius Verniquet, le petit-fils d’Arsène, et Rose avec Georges Ducharme, fils d’un boucher de Châtillon.

    Quant à moi, comment aurais-je pu imaginer que Lucie et Marius allaient me mettre au monde ?

    Mon arrière-grand-père Arsène doit bien rire dans sa tombe, je me demande s’il n’a pas manigancé tout cela pour que le moulin retrouve son paronyme ancestral.

    Georges Gautherot a tout juste le temps de prendre en main son moulin et c’est la guerre.Il est mobilisé dans l’artillerie.

    Pendant plus de quatre ans, avec deux jeunes enfants à charge, ma grand-mère Louise fait tourner le moulin, aidée par les habitants du village. Il en était ainsi dans la plupart des familles de mobilisés.

    Quel courage et quelles forces il a fallu à ces femmes qui tenaient à l’arrière pendant que les hommes étaient au front. Et quelle chance que Georges ait pu rentrer en pleine forme au début de 1919 !

    La paix est revenue. Il a deux employés au moulin-scierie et deux à la ferme. Il y a tant à faire : le moulin, les champs,la vigne, les vaches, les chevaux qui servent aussi aux livraisons de farine en les attelant à des voitures bâchées semblables à celles des immigrants du Far-West.

    Louise, la « patronne » est levée la première et couchée la dernière.

    Elle assure l’intendance de toute la maisonnée : fabriquer les fromages, tuer les poules et les lapins, s’occuper des jardins, de la basse-cour, préparer les repas pour des tablées de 8 ou 10 personnes chaque jour, la couture (elle fabrique même des chaussons et des pèlerines dans des pièces de drap bleu-horizon, récupérées sur les vêtements rapportés par les soldats).

    On fait appel à elle pour faire les piqures aux malades ou poser des ventouses…

    Les activités sont multiples, les allées et venues continuelles, et ceci d’autant plus que Georges Gautherot vient d’être élu maire du village.
    En1932, il entreprend une modernisation du moulin en faisant installer une chambre-mélangeuse de 80 quintaux pour stocker et brasser la farine, afin de prévenir toute fermentation.

     Il achète une boulangerie à Mussy , pour s’assurer un débouché stable à l’abri de la concurrence  qui commence déjà à se manifester.

    Sur la rive gauche du bief, la roue à aubes de l‘ancienne huilerie est octogénaire. Elle actionne encore de vieilles machines à pointes, d’où le nom de « pointerie » que porte cette annexe.
    Un ouvrier vient de Mussy pour fabriquer des pointes de qualité spéciale (fines et rigides, piquantes, elles ne fendaient pas le bois, j’en utilise encore. Il en faisait aussi en laiton et même dans un alliage d’argent pour la tapisserie)

    En 1935, un camion Berliet tout neuf de 3,5 t vient remplacer les voitures à chevaux. Georges Gautherot a besoin d’un chauffeur : il embauche son futur gendre Marius Verniquet.

    Pendant la guerre et l’après-guerre

    Mon grand-père Gautherot décède subitement d’une crise cardiaque en août 1939, tout juste deux semaines avant la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne.

    Marius Verniquet est mobilisé avec le camion du moulin, réquisitionné par l’Intendance Militaire pour transporter le ravitaillement des artilleurs du 104ème R.A. de Dijon.

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    (Marius part à la guerre avec son camion en 1939)

    En mai 1940 il se trouve piégé comme tant d’autres dans le désastre de Dunkerque où il reçoit l’ordre de détruire son Berliet avant d’être embarqué de justesse sur un navire anglais.

    Pendant ces quelques jours, Châtillon est bombardé. La grand-mère Louise, Lucie, Rose évacuent en Corrèze avec leurs jeunes enfants (mon frère Luc et moi, mon cousin Paul, ma cousine Marie-Rose est aussi du voyage, bien au chaud en attendant de naître quelques mois plus tard). A leur retour, en septembre 1940, elles retrouvent le moulin saccagé et pillé.

    L'histoire du moulin de Gomméville par Jean Verniquet (2)

     (Sur le pont du bief (1975) reconstitution d’un poste allemand pour le tournage du film « le bon et les méchants » de Claude Lelouch, avec J Dutronc, J.Villeret, M. Jobert)

    On entre alors dans la sombre période de l’occupation allemande et de la Résistance.
    J’étais trop jeune pour être conscient du danger, je me souviens es soldats allemands qui entraient en réclamant de la farine, ils ouvraient les placards, cherchant des armes>.Mon père allait secacher dans la chambre d’eau de la turbine. J’ai su plus tard que des maquisards venaient parfois la nuit pour se ravitailler.
    En septembre1944, une escarmouche au carrefour devant la maison fait un mort parmi eux (un jeune de vingt ans). Puis c’est la Libération, les convois américains se succèdent pendant des jours… C’est une aubaine pour nous, les gosses :il suffisait d’agiter la main en formant le V des deux doigts et les chocolats, les chewing gums pleuvaient. C’est ainsi que j’ai reçu ma première orange.
    En novembre 1945, un camion plateau-cabine Citroën P 45 destiné à l’armée, eint en kaki, est attribué au titre des dommages de guerre en remplacement du Berliet. Marius va le chercher à Paris, quai de Javel, à la sortie de la chaîne de montage. Raymond Loiselet, charron-forgeron à Gomméville, fabrique des arceaux pour le couvrir avec les bâches des anciennes voitures à chevaux que  l’on avait précieusement conservées depuis 10 &ans, en cas de besoin.

    Mon père était bien sûr très sollicité avec son camion par les uns ou les autres pour des transports occasionnels qui n’avaient rien à voir avec sa profession, par exemple transporter les habitants du village à Châtillon pour aller au cirque Pinder, ou la fanfare de Mussy et ses flons-flons à la fête de Gomméville.

    Mes actuels réflexes me font frémir quand je songe à sa propre responsabilité en cas d’accident. Mais on sortait d’une guerre de quatre ans, cette notion n’effleurait personne, et personne n’aurait songé à exercer le moindre recours à son encontre. L’entraide était de rigueur.


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