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La porte peinte du couvent des carmélites de Châtillon sur Seine
Le jeudi 18 août,madame Catherine Monnet, Conservatrice du Musée du Pays Châtillonnais a présenté aux Amis du Musée, après la "triade", sculpture gallo-romaine
un autre objet d'Art, situé dans la salle Renaissance du Musée.
Il s'agit d'un vantail de porte peint du XVIème-XVIIIème siècle, provenant du couvent des Carmélites de Châtillon sur Seine.
http://www.christaldesaintmarc.com/l-ancien-couvent-des-carmelites-a504056
Ecoutons madame Monnet qui a étudié toutes les caractéristiques de cette porte et nous les a présentées.
Ce vantail est en bois de chêne, il mesure 1,76m de hauteur, 76cm de largeur et 2cm d'épaisseur.
Il est constitué par l’assemblage de trois panneaux/ planches (dont la plus large au centre s’est fendue) maintenues ensemble par deux emboîtures[1] en parties haute et basse.
[1]Pièce de bois destinée à recevoir, dans une rainure, les extrémités des planches formant le panneau.
Trois utilisations successives de ce vantail
L’observation des traces et de leur superposition permet d’affirmer que ce vantail a connu au moins trois utilisations successives. Les éléments de serrurerie constituent les meilleurs indices de ces utilisations.
Du plus ancien au plus récent, nous découvrons :
-Les trous de fixation d’une penture (1) comblés, et dont le comblement lui-même est recouvert par la couche picturale
[1] Bandes de fer clouées et boulonnées aux vantaux des portes, munies d’un œil entrant dans un gond, destinées à suspendre ces vantaux et à permettre de les faire pivoter facilement sur ces gonds.
-Un loquet et un trou de serrure en losange fixé à l’aide de quatre clous, non peints, donc postérieur à la couche picturale correspondant à sa dernière utilisation (porte d’un escalier conduisant dans les combles des anciens bâtiments du couvent des carmélites ?).
-Une surface endommagée que le peintre tente de dissimuler
Ces observations « stratigraphiques » permettent aussi de découvrir des traces qui marquent profondément le bois de ce vantail, recouvertes par la couche picturale, et qui lui sont, par là même, antérieures.
Le peintre n’a pas cherché à obtenir une surface plane par ponçage et/ou comblement (en plâtre par exemple) des anfractuosités. Faut-il y voir un signe de pauvreté des commanditaires (couvent des carmélites ou autre) à cette époque, c’est vraisemblable.
L’une de ces traces, de profonds sillons, est particulièrement importante dans le cadre de cette étude, car le peintre cale dessus un des murs portiques de la piscine de Béthesda.
Description de la peinture
Le jaunissement d’un vernis qui recouvre cette huile sur panneau, les multiples lacunes de la couche picturale et la décontextualisation du vantail lui-même, altèrent la perception qu’on peut en avoir aujourd’hui, certainement fort éloignée de celle qui était ressentie alors qu’elle venait d’être peinte, et qui plus est, insérée dans une pièce ou une armoire.
Le paysage est traité dans des tons de brun et de vert dont les nuances d’origines sont atténuées par ce vieillissement du vernis.
Le peintre construit une perspective qui se veut illusionniste et dans laquelle doit prend place le spectateur invité à observer le lointain.
Pour construire sa perspective paysagère, le peintre recourt à différents artifices :
-Effets de lumière, bandes de couleur et lignes horizontales étagées, oppositions de couleurs et de formes, lignes de fuite…
-Une succession de plans, très rapprochés au-devant et plus distendus au-delà, compose la vue d’ensemble.
Ces plans successifs donnent de la profondeur à la scène figurée, le peintre mettant tout en œuvre pour créer l’illusion de la profondeur. L’espace représenté ne commence pas aux limites du vantail, mais semble se poursuivre au-delà.
-Le premier plan est constitué par une architecture feinte, une balustrade de bois,du type des clôtures d’autel ou de chœur par exemple,afin de séparer le spectateur du paysage.
Le spectateur perçoit entre les balustres, sur les deux tiers de leur hauteur, un pavement de carreaux, posés à joints contrariés. Ce pavement conduit le spectateur, mais qu’en partie, vers l’extérieur.
Ces carreaux correspondent à des carreaux de faïence à décor peint vert et brun. Les recherches sont à poursuivre pour trouver des comparaisons des motifs et tenter de les dater.
Plusieurs de ces carreaux ont pour motif le sceau de la Compagnie de Jésus : le christogramme IHS entouré de rayons de gloire, surmonté d’une croix pattée, coiffant trois clous placés en éventail symbole, à l’origine, de la crucifixion et ultérieurement rappel des trois vœux, pauvreté, chasteté et obéissance.Un motif végétal à trois feuilles se répète aux quatre angles du carreau.
D’autres motifs, autres que végétaux, sont visibles sur plusieurs carreaux : un écu du type que l’on retrouve sur les carreaux de pavement médiévaux figurant des blasons, et une mandorle, enfermant peut-être la Vierge. Ils restent à les déterminer précisément.
-Au-delà est peint un massif végétal sombre qui, placé à cheval derrière et au-dessus de la balustrade, conduit astucieusement le regard par-dessus la balustrade.
-Le sol de terre, animé par quelques végétaux, sert à la construction d’un plan qui se dédouble avec, à gauche, un groupe d’hommes et, à droite, constituant un plan supplémentaire, un vaste bassin rectangulaire mis en valeur par des portiques surmontés d’une balustrade
Afin d’attirer le regard vers la scène principale, le peintre joue sur le contraste provoqué entre les couleurs ternes du paysage et les couleurs vives et claires des vêtements de trois protagonistes
Le peintre construit habilement ce groupe d’hommes en jouant sur la netteté et le flou des personnages, mais aussi sur le rouge de la tunique de deux d’entre eux. L’importance du groupe et la profondeur de la scène reposent sur l’utilisation conjointe de ces deux procédés.
Trois hommes sont figurés en pied, mais le peintre, pour donner de la profondeur au groupe, travaille sur un passage progressif du net au flou particulièrement visible sur leurs mains et leurs visages.
Par contre, l’utilisation du rouge pour les manteaux de deux d’entre eux permet au regard de passer du premier au dernier des personnages figurés en pied, puis de découvrir les têtes des autres personnes constituant le groupe
Le regard, attiré par les couleurs vives de ce groupe,est ensuite amené à glisser vers le bassin par l’intermédiaire de l’architecture originale des portiques.
Un rideau d’arbres sombres ferme le paysage.
À gauche, une trouée dans le rideau d’arbres laisse deviner un paysage urbain très lointain. On distingue vaguement une tour (?) circulaire et un pont de pierre enjambant une rivière. Le tracé du pont qui suit une anfractuosité dans le bois semble positionner de la sorte pour tenter de masquer la surface endommagée du panneau de bois.
Ce paysage ne serait pas complet sans un ciel nuageux s’ouvrant opportunément pour laisser apparaitre un ange baigné de soleil dans l’angle supérieur droit du vantail.
Interprétation
Le sujet principal est à relier à un épisode de la vie de Jésus, la Guérison du paralytique à la piscine de Béthesda à Jérusalem, miracle que l’évangile de Jean lui attribue.
Conception et réalisation
La conception de l’ensemble témoigne d’une bonne connaissance des « ficelles » du métier de peintre, mais la réalisation elle-même est de qualité moindre.
Le peintre construit une perspective qui se veut illusionniste, dans laquelle prend place le spectateur invité à observer un paysage extérieur. L’espace représenté ne commence plus aux limites du vantail, mais semble se poursuivre au-delà.
On y retrouve une fausse architecture (sol et balustrade) avec une imitation approximative des textures, un jardin et des scènes figuratives, mais irréalistes. Pour ce faire, il démultiplie des plans successifs donnant de la profondeur à la scène peinte.
Pour concevoir cet ensemble, le peintre s’appuie sur un procédé éprouvé de l’art baroque, une balustrade en trompe-l’œil, et des modèles iconographiques préexistants connus par la diffusion d’ouvrages toujours plus nombreux à l’époque grâce aux progrès de l’imprimerie.
Le paysage est en effet prétexte à figurer un épisode de la vie de Jésus que le peintre décompose en deux scènes. Pour ce faire, il mixe des éléments de2 des 153 eaux-fortes parues la première fois en 1593 dans l’Evangelicae historicae imagines : la Guérison du paralytique à la piscine de Bethesda et leTribut de César[1].
[1]Il s'agit de l'épisode au cours duquel le Christ préconise de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ». Cet épisode est raconté par trois évangélistes : Luc, 20, 20-26 ; Marc, 12, 13-17 ; Matthieu, 22, 15-22.
Une des particularités de ces planches est de faire souvent figurer plusieurs scènes distinctes, mais en les intégrant dans une seule image.
De la planche figurant la Guérison du paralytique, le peintre reprend l’architecture de la piscine de Bestheda, le personnage D, le cul-de-jatte s’aidant de ses béquilles et l’ange.
De la planche figurant le Tribut de César, il reprend le groupe de disciples figurant à droite.
Le peintre fait sienne la pratique adoptée pour les dessins originaux de l’Evangelicae historicae imagines qui consiste à placer sur une même image des scènes distinctes ; il représente tout à la fois la piscine où le miracle vient d’avoir lieu et un groupe de Disciples désignant Jésus peint certainement sur un autre panneau désolidarisé de celui-ci dont nous ignorons tout.
Fonction de ce vantail peint
L’épaisseur, deux centimètres, des planches constituant ce vantail ne correspond pas à une porte intérieure séparative, mais plutôt à celle d’une porte d’un placard.
Trois hypothèses sont envisagées. Ce vantail peut être celui d’une porte simple ou double (deux vantaux) d’un placard construit dans une pièce d’un des couvents de Châtillon-sur-Seine (carmélites peut-être, mais pas forcément), celui d’une porte d’une « armoire-reliquaire », placard creusé dans l’épaisseur d’un mur d’une église, par exemple, à l’instar de celui découvert dans la cathédrale de Rodez en 2015, ou encore celui d’une armoire reliquaire.
Trompe-l’œil à l’évidence, quadratura peut-être
Le terme quadratura a été introduit durant la période baroque pour décrire une architecture simulée.La quadratura est un genre pictural baroque basé sur le trompe-l’œil et la représentation d’architectures plus ou moins feintes.
Un jésuite serait-il l’auteur de cette peinture ?
Qui était le commanditaire de cette peinture ? Cela reste à découvrir. Est-ce vraiment un panneau fait pour le couvent des carmélites ? Les indices reliant ce panneau aux jésuites interrogent. La mise en évidence du seau de la Compagnie de Jésus sur les carreaux de pavement et l’origine des gravures dans un ouvrage destiné aux novices jésuites est certainement un indice pour découvrir le commanditaire, mais aussi le peintre.
( Catherine Monnet, le 28 août 2022)
Madame Monnet, joint à son étude sur ce vantail peint, un appel aux Châtillonnais car des fragments de boiserie ou le second vantail existent peut-être encore chez un particulier.
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