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Le château de Maulnes à Cruzy-le-Chatel (Yonne)
Sur la commune de Cruzy le Chatel (89), se dresse un château très original, d'une beauté étrange, le château de Maulnes.
Depuis le parking on ne voit pas le château, il faut gravir ce sentier abrupt et ombragé, mais lorsqu'on arrive au sommet...
C'est l'éblouissement : on reste surpris par la beauté de ce château fascinant, comme on n'en voit nulle part ailleurs...
Maulnes a la forme d'un pentagone, dont les façades mesurent 17 mètres de côté.
Les angles du pentagone sont occupés par des tours, dont trois comportent un escalier, prévu sans doute pour les domestiques afin de réserver l'escalier central aux maîtres des lieux. Quatre tours sont de forme pentagonale .
La cinquième tour, celle du nord, n'est pas pentagonale, mais arrondie..Elle a été ajoutée une fois l'édifice terminé.
C'est par cette tour nord que l'on accède au château.
En haut du château, court une corniche à modillons, ornée de têtes de chiens et de lions (aujourd'hui la plupart sont des copies).
Maulnes se dresse actuellement sur une butte dénudée, or il n'en était pas ainsi autrefois. Ce château était un relais de chasse et il était entouré de forêts.
Un peu d'histoire :
Une maison-forte, connue sous le nom de "motte de Maulnes", avait été édifiée par les comtes de Tonnerre dans une clairière de la forêt de Maulnes, certainement au XIIIème siècle. On en trouve la trace dans les écrits de l'époque ainsi que sur les photos aériennes. Elle permettait aux comtes de s'adonner à la chasse, parfois en compagnie d'invités de marque, tel le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, qui vint chasser en 1366 et 1374.
À la suite d'une querelle entre le comte de Tonnerre Louis II de Chalon et le duc Jean-sans-Peur, les troupes bourguignonnes envahissent le comté en 1411. En 1414, elles détruisent les châteaux du Tonnerrois, dont ceux de Tonnerre, Tanlay et Maulnes.Un siècle et demi plus tard, la comtesse de Tonnerre, Louise de Clermont, et son époux Antoine de Crussol, duc d'Uzès, sont des personnages importants, proches de la cour de France et de la reine Catherine de Médicis. C'est en 1556 que Louise de Clermont, veuve de François du Bellay, avait épousé Antoine de Crussol.
Antoine de Crussol, duc d'Uzès:
Louise de Clermont :
En 1566, le couple décide la construction d'un château dans la forêt de Maulnes. Louise a alors 62 ans, c'est une femme intelligente et cultivée, formée à la cour de François Ier, roi féru d'architecture. Son propre frère, Antoine III de Clermont, a confié en 1541 à l'architecte Sebastiano Serlio la construction d'un château à Ancy-le-Franc, non loin de Maulnes.
C'est le 7 mai 1566 qu'Antoine de Crussol signe devant notaire les contrats qui le lient à un maître maçon et à un maître charpentier. Il leur fournit des plans détaillés du bâtiment à construire. Jean Cosquino, seigneur de Fulvy et témoin de la signature, se voit confier la gestion du chantier, avec le titre de Gouverneur du château de Maulnes.
En septembre 1569, Louise de Clermont s'installe à Maulnes, qu'elle fait meubler. Elle est rejointe par Antoine de Crussol en janvier 1570. Le logis est alors terminé, mais pas les bâtiments annexes. Le second chantier pourrait avoir commencé en août 1570, après le départ des Crussol qui ont rejoint la cour dans sa vie itinérante.En 1572, Antoine de Crussol est fait pair de France, pour son duché d'Uzès. De janvier à juillet 1573, il participe au siège de La Rochelle. Mais il en revient épuisé et malade. Il meurt le 14 août 1573.
Veuve pour la seconde fois, Louise de Clermont poursuit sa vie itinérante entre Paris, Tonnerre, Ancy-le-Franc et Maulnes, dont le chantier est désormais abandonné.
Le château de Maulnes connaîtra bien des vicissitudes : vendu, revendu, négligé au cours des siècles, il tombera progressivement en ruines. Heureusement le Conseil Général de l'Yonne acquit Maulnes en 1997, après une procédure d'expropriation. Des travaux importants de réhabilitation sont en cours.
On peut visiter ce château étonnant depuis l'année 2005, je l'ai découvert durant l'été 2011, suivons donc le guide !
Le château est un ensemble de trois bâtiments. On entrait par des communs édifiés en demi-cercle, dont il ne reste qu'une partie. Puis on franchissait une galerie couverte qui a totalement disparu. Par un pont dormant , on accédait enfin au logis pentagonal.
En voici une maquette :
Nous rentrons dans le château par la porte d'une des cinq tours, celle de la tour nord.
En franchissant la porte intérieure ,nous nous trouvons dans un escalier hélicoïdal de 104 marches, qui monte au sommet du château, en entourant un puits circulaire magnifique.
La profondeur du puits est impressionnante, un miroir scintillant se laisse deviner au fond...c'est de l'eau ! En effet le château de Maulnes a été bâti sur une source.
L'eau de cette source était remontée dans des seaux. On voit encore la trace, sur une margelle, de l'usure de la pierre par la corde qui servait à remonter ces seaux .
La lumière vient d'en haut, de la terrasse du château.
L'oculus a été fermé en 2003 par une pyramide de verre pour éviter le ruissellement de l'eau de pluie et la dégradation du bâtiment.
Les cheminées visibles sont imposantes, il y en a cinq , une à chaque pointe du pentagone , mais d'autres existent, qui débouchent dans les souches d'angle de ce pentagone. Les hivers sont froids dans le Tonnerrois..en tout il n'y a pas moins de 21 cheminées ...
De la terrasse, on a une vue superbe sur le Tonnerrois.
On voit, en bas , ce qui reste des "communs", devenu maintenant le bâtiment d'accueil.
Nous redescendons l'escalier hélicoïdal , pour aller voir la source .
La source captée alimente une vasque, qui constitue la base du puits. Le trop-plein de la vasque, ainsi que deux autres sources, se déverse dans un bassin ou nymphée, pour partie intérieur et pour partie extérieur.
Voici l'intérieur:
L'extérieur du nymphée est actuellement en cours de restauration.
Nous remontons l'escalier , et pénétrons dans les appartements du Duc et de la Duchesse d'Uzès, car ici se trouve, au quatrième niveau, "l'étage noble"
Sur ce plan, on voit que malgré sa forme pentagonale, on trouve à Maulnes de vastes pièces rectangulaires, des pièces sans doute de réception. On suppose que les plus petites sont les appartements privés des châtelains...(chambre, cabinet et garde robe)
Voici l'une de ces pièces de réception dont le plafond a disparu.
Ce plafond possédait, d'après un écrivain de l'époque, des décors à caissons typiques de la Renaissance.
On voit ici les cheminées de l'étage supérieur...
Les belles moulures des plafonds subsistants..
Deux colonnes doriques au dessin très pur, se trouvent sur le palier des salles de réception, en voici une :
Les travaux de restauration du Château ont mis en évidence l'aménagement d'une pièce comme salle de bain, ainsi que d'une étuve, avec local de chauffe et hypocauste. Dans la salle de bain, on a retrouvé des fragments d'un décor mural peint, hélas bien dégradé.
On voit ici une étonnante baignoire... l'eau usée s'écoulait ensuite à l'extérieur par des orifices. Quel raffinement cet "appartement de bain" ! Il est tout à fait exceptionnel et constitue l'unique exemple connu d'un tel aménagement dans un château de chasse à cette époque.
L'étuve :
L'hypocauste qui servait à chauffer l'étuve:
Une autre salle de l'étage "noble"
La visite se termine par la vision de ce superbe tableau "paysage au château près de la rivière avec motif de ruines"( école vénitienne du XVIIIème siècle), inspiré par le château de Maulnes.
Un petit détail amusant :
En 1917, le général Pershing et l'Etat Major des Forces Américaines ont installé, un temps, leur quartier général dans le château de Maulnes.
Ce graffiti en témoigne :
Maulnes , je l'ai dit est un château fascinant...il a donné naissance à des légendes locales ..on a dit qu'il était le repaire d'une "vouivre", la fée Mélusine..
Parmi toute la phalange de fées, il en était une qui avait particulièrement le don de terroriser les gens de la région de Cruzy-le Châtel : c'était la fée Merlusine, ou Mée Lusigne, ou encore Mère Lusigne.
Mélusine habitait, jadis, sous l'aspect d'une noble dame, un château situé dans la forêt de Maulnes. Elle était très hautaine et si dure pour ses vassaux que ceux d'Arthonnay finirent par se révolter. Mélusine fit le siège du village, qu'elle dirigea elle-même. L'ayant emporté, elle réduisit le pays en cendres et fit passer les habitants au fil de l'épée. A son retour, tous les habitants du château s'empressèrent de la féliciter. Seule, une jeune fille du nom deSuzanne qu'elle avait prise en affection, resta silencieuse, ne pouvant même retenir ses larmes, au récit des horreurs dont les courtisans complimentaient la châtelaine.
Mélusine, furieuse de l'attitude de Suzanne, s'élance sur elle et la précipite dans le puits du château. Revenue à elle, elle veut faire retirer sa victime du puits, mais la jeune fille n'est plus qu'un cadavre. A cette vue, Mélusine, désespérée, entre dans un nouvel accès de fureur, pousse un cri déchirant et se jette à son tour dans le puits. Depuis là, Mélusine est inconsolable. Elle vient souvent errer autour de son ancien manoir, criant en sanglotant : « Maulnes ! Maulnes ! tant que Maulnes sera, malheureuse serai ! ».
Depuis ce temps aussi Mélusine a pris en haine les habitants de ces contrées. Point de malheurs, de tracas, de misères, qu'elle ne se plaise à leur causer. Celui-ci qu'elle rencontre à l'écart est roué de coups ; celui-là, frappé d'un sommeil irrésistible, est obligé de passer la nuit dans un fossé.
C'est aux enfants surtout qu'elle s'attaque, comme pour se venger particulièrement sur eux de la mort de leur chère victime. En saisit-elle un, elle l'emporte pour toujours dans l'antre inconnue qu'elle habite... ».
Charles MOISET
Patrice Chéreau y a tourné quelques scènes de "La Reine Margot", Karl Lagerfeld est hanté par l'architecture pentagonale de ce "Hurlevent Tonnerrois"..
Les anciens "Communs" accueillent maintenant une salle d'exposition et un écran sur lequel on peut visionner un film sur Maulnes autrefois et aujourd'hui.
Aux beaux jours, allez donc visiter ce superbe témoignage de l'architecture de la Renaissance, vous serez comme moi...conquis !
J'ajoute que l'église de Cruzy-le-Chatel , sur le territoire duquel est construit le château de Maulnes, est remarquable..
Cette église a été construite sur les plans de Nicolas Ledoux qui fut un génial architecte, créateur des merveilleuses salines d'Arc et Senans. Un architecte visionnaire, voir ce site :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Nicolas_Ledoux
Deux bonnes raisons de vous rendre à Cruzy-le-Chatel !
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Commentaires
merci pour ce beau " livre " d'images et le commentaire précis , ce château m'a toujours fascinée et je suis allée le voir avant même son ouverture au public . On reste sans voix devant sa silhouette imposante qui se détache en hauteur
5Raphael13Mardi 28 Juillet 2015 à 17:35Ce "château" est fascinant. La visite en a été passionnante et beaucoup trop courte. L'énigme demeure quant au parti-pris architectural.
Le site contribue grandement a l'impression que procure Maulnes.
Merci pour votre blog.
Robert et Chantal GUERIN
chere madame
j'ai découvert ce chateau il y a peu. L'auteur de la bourgogne pour les nuls avait présenté son livre à chateau chinon dans la Nièvre, 58, le cinq huit, et Meaulnes était dans la liste des 10...
Je suis un admirateur du maréchal Vauban, la citadelle de Lille un pentagone, lors de mon dernier séjour dans la Nièvre j'ai tenté l'expédition à Meaulnes le 30 juin le matin. Moulins Engilbert, Chateau Chinon, Lormes, Avallon, Ancy le Franc, Cruzy le Chatel...mais le chateau était fermé, je suis alors allé à Molesmes, puis à Chatillon sur seine où j'ai rencontré le grognard christian Carli. Au retour à nouveau Meaulnes puis Montbard, Semur en Auxois, Epoisses, Saint Leger Vauban pour une bonne discussion avec le président des amis de Vauban. Je n'ai vu Meaulnes que de loin. L'informaticien de formation mathématiques que je suis, voit en le Pentagone le nombre d'or et la suite de Fibonacci (1, 2, 3, 5, 8, (le cinq huit la Nièvre), 5+8, 21 cotes d'or, 34, 55, 89 Yonne. Christian vient de me signaler votre blog avec un grand plaisir je découvre les photos, l'histoire et l'intérieur de Meaulnes.
Grand merci
pierre simonnet
Très beau château ! Après avoir lu votre article, j'ai maintenant très envie d'aller visiter ce beau site touristique. De plus que je n'habite pas trop loin d'Yonne. Mais au moins si on ne peut pas y aller, on se fait déjà une grande idée du château grâce à votre article et vos photos. Merci.
2calypso21Vendredi 3 Février 2012 à 08:06Très belle balade en effet.
Merci pour votre blog, très interressant et très instructif. Toujours de belles photos.
Merci
encore une "nouveauté" à mettre à ton actif de chercheuses de vieilles pierres ce fut une belle promenade instructive merci.
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Bonjour,
Moi j'ai découvert ce château en 1968 et l'ai visité avec un copain en Aout vers 21h sous un ciel d'orage plombé. Nous voyagions en cyclomoteur et sommes arrivés par une route en contrebas surplombée par un château qui nous a semblé plus qu'étrange, voir menaçant.
Une fois sur place, nous voici devant un panneau "défense d'entrer travaux". Venus de Paris il nous a semblé difficile de renoncer à la visite, nous entrons et nous nous trouvons dans la salle basse face à une petite porte. Plutôt déconcertant pour un château, bref à la lueur des lampes électriques, nous empruntons l'escalier qui mène au sous sol pour voir la source ( je possédait un guide sur la France Inconnu, avec description du monument) Inutile de dire que dans le noir, cette eau souterraine qui sourd des entrailles du château vous a un côté impressionnant.
Puis nous gagnons le dernier niveau, qui existait encore à l'époque, nous franchissons le seuil de plusieurs pièces, certaines cloisonnées en pans de bois, admirons les cheminées, tout en faisant attention à l'endroit où nous mettions les pieds le plancher étant parfois en mauvais état. Puis nous passons à l'étage du dessous, remarquons quelques colonnes lorsque un bruit comme un fort ronflement nous parvient de l'étage du dessus qui était totalement vide. Loin de cesser le son se fait plus décidé et nous de sortir du château, d'abord lentement pour finir presque en courant.
Jamais nous n'avons su de quoi il pouvait bien s'agir...Mélusine ? Bref une bonne trouille ( je précise qu'il n'y avait pas une miette de vent qui aurait pu expliquer le phénomène) Voilà.
Gérard