• "Le curieux précepteur du jeune Henri Lacordaire", un notule d'histoire de Dominique Masson

    Dominique Masson nous offre un notule sur l'enfance de Lacordaire, merci à lui !

    Notule d’histoire

    Le curieux précepteur du jeune Henri Lacordaire

    La famille Lacordaire a ses origines en Haute Marne, à Bussières-lès-Belmont  (intégré aujourd’hui à  la commune nouvelle de Champsevraine )

    "Le curieux précepteur du jeune Henri Lacordaire", un notule d'histoire de Dominique Masson

    figure 1 : la maison de la famille Lacordaire à Bussières (Haute Marne libérée du 16/01/1968)

    Jean-Baptiste Lacordaire (1686-1751) avait épousé Geneviève (1689-1757), fille d’André Clerget, intendant des salines royales à Salins, et de Magdeleine Charlot.

    Lui-même est chirurgien et il y aura une lignée de médecins ou de chirurgiens à Bussières; ce sera d’abord son fils, François (1717-1781), puis ses deux fils à lui, Jean François, qui reprit la succession de son père à Bussières, et Nicolas Alexandre (1760-1806) qui fut d’abord médecin de marine et participa à la guerre d’indépendance des Etats-Unis, puis continua ses études à Paris. 

     Ce dernier revint ensuite s’installer non loin de sa famille; il subit l’examen de maître-chirurgien à Châtillon en mars 1787 et acheta, à Recey, la maison du notaire royal.

    L’année suivante, il épousait le 7 avril 1788, à Voulaines, Jeanne Pétot, fille du notaire royal.

    Il était acquis aux idées libérales et fut le premier maire de Recey, du 15 février 1790 au 19 novembre 1791.

    Le 24 septembre 1791, il acquit, avec le notaire de Recey Claude Buretey et le laboureur Joseph-Valère Buzenet de Coulmiers-le-Bas, la maison conventuelle de Lugny, mais ils la revendirent le 26 octobre suivant au maître de forges à Bézouotte, M. Lagnier l’aîné; entre temps, ils firent déplacer vers l’église de Recey l’autel en marbre de la chapelle de Lugny et quelques tableaux.

    Ami du curé réfractaire de Recey, l’abbé Magnier, il le cacha lorsque celui-ci, revenu de Rome, tentait de revenir dans son ancienne paroisse; là, il put dire la messe secrètement pendant plusieurs mois.

    De son père Henri Lacordaire dira que sa conversation était agréable, pleine d'esprit et d'entrain, et la maison aux six fenêtres de façade et deux portes fenêtres, recevait souvent des amis de choix.

    Il se souvenait aussi de ce cercle autour de son père qui intéressait, passionnait par ses vues profondes, ses aperçus inattendus.

    Le docteur Nicolas Lacordaire était simple médecin du village de Recey-sur-Ource; sa famille l'avait vivement pressé de s'établir à la ville, où il n'aurait pas manqué de prendre, grâce à son mérite, un rang distingué ; mais il préférait par goût la vie des champs.

     Veuf de Jeanne Pétot en 1796, il se remarie quatre ans plus tard, le 21 mars 1800, à Recey, avec Anne Marie Dugied, dont le père avait été avocat au Parlement de Bourgogne.

    Un premier enfant naquit, le Ier février 1801, prénommé Théodore, puis ce fut, le 12 mai 1802, la naissance de Jean Baptiste Henri, le futur père Lacordaire, baptisé le lendemain (à Lucey ou à Recey, car l’acte, rédigé après coup, est sur une feuille volante.

    Lacordaire a toujours dit qu’il avait été baptisé à Recey) :

    Je suis né le 12 mai 1802 à Recey, dira-t-il, petit bourg des montagnes de la Bourgogne, assis sur le penchant d’une colline, au bord d’une rivière appelée l’Ource, qui est un des affluents de la Seine.

    De vastes forêts entourent ce village d’une ombre épaisse et en font une solitude sérieuse.

    L’abbaye du Val-des-Choux, la chartreuse de Lugny, un prieuré de Malte, le magnifique château de Grancey, étaient les plus proches voisins de mon lieu natal et lui donnaient le caractère d’une habitation plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui…

    "Le curieux précepteur du jeune Henri Lacordaire", un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 2 : Henri Lacordaire, avocat, dominicain, député, académicien (carte postale)

    Le jeune Henri fut mis alors en nourrice près d’une femme de Recey, Colette Marquet, et eut un frère de lait.

    Le couple accueillit un troisième garçon, le 15 mai 1803, baptisé Léon.

    Mais, au plein de l'hiver 1806, Nicolas prit un refroidissement qui augmenta sa maladie de poitrine, incurable à l'époque (ou une maladie d’estomac, elle aussi incurable); il alla prendre les eaux à Bourbonne, en Haute Marne, mais, sentant sa fin arriver, il s’en alla à Bussières, près de son frère, Jean François.

    Sa famille vint le rejoindre et le petit Henri fut repris à sa nourrice.

    C’est là que Nicolas mourut, le 3 août 1806.

    Sa femme accoucha, 8 jours après, d’un fils posthume, Télèphe (né le 11 août 1806).                                                                   

    Je n’ai conservé aucune mémoire de mon père; il mourut en 1800, après six années de mariage, laissant à sa veuve quatre enfants mâles et une situation de fortune qui n’était ni l’aisance ni la pauvreté, mais tout juste le strict et honnête nécessaire.

    Ma mère vendit la maison où j’étais né et retourna immédiatement à Dijon, où étaient ses parents et les amis de sa jeunesse.

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    Figure 3 : la maison natale d'Henri Lacordaire à Recey sur Ource, occupée autrefois par une communauté religieuse (carte postale)

    La jeune veuve (elle n’avait que 31 ans et quatre enfants) dut prendre rapidement plusieurs décisions.

    Elle resta onze mois chez son beau-frère puis décida de repartir à Dijon et s’installa rue Jeannin, probablement grâce à la vente de la maison de Recey qui eut lieu en août 1807.

    Elle choisit d’emmener avec elle, en juillet 1807, ses deux plus jeunes fils; elle confia Théodore, âgé de cinq ans, à un prêtre qui tenait une petite école.

    Quant à Henri, il fut décidé qu’il resterait à Bussières, chez son oncle Jean François et sa tante, Geneviève, bonne et croyante.

    Sa mère lui rendait visite régulièrement et toute la famille se retrouvait là durant les vacances:

    C’est le seul lieu de mon enfance dont le souvenir ne m’apparaît jamais sans délices

    dira plus tard le père Lacordaire.

    A six ans, il se rend à l'école de Belmont, distante de trois kilomètres de Bussières, pour quelques leçons de latin.

    Celui qui l’accueille, c’est un parent éloigné, Pierre Liebaux.

    Celui-ci est né le 6 juin 1767 à Sionnes, dans les Vosges.

    Ordonné prêtre le 18 juin 1791 par monseigneur Wandelaincourt, évêque constitutionnel de la Haute Marne, il exerce pendant quelques semaines les fonctions de vicaire à la paroisse Saint-Martin de Langres puis est nommé à Bussières comme prêtre assermenté et devient le curé intrus, remplaçant l’ancien prêtre en place.

    Mais, le 6 avril 1794, il va déclarer cesser ses fonctions et se retire à Langres puis revient à Bussières pour se marier, le 11 septembre, à Marie-Anne Collin, âgée de 18 ans, fille de Gengoulph Collin, ex-seigneur de Pierrefaites-Montesson, et de Catherine Moris; c’est par elle que la famille Liebaux est apparentée à la famille Lacordaire.

    Le couple va demeurer longtemps à Belmont, dans une partie de l’ancien couvent des Bernardines qu’il a acheté.

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    Figure4 : Lien de parenté entre Lacordaire et Liebaux

    C’est là que le jeune Henri va recevoir ses premières leçons de latin, pendant environ dix mois.

    Mais, en 1809, madame Lacordaire rapatrie son fils à Dijon:

    ma mère m’introduisit alors dans une petite école pour y commencer mes études classiques.                                         

    Quant à Pierre Liebaux, il quittera Belmont pour Arc-en-Barrois, où il sera nommé maire en 1819 puis, après sa démission en 1824, juge de paix du canton d’Arc en 1830.

    Il eut huit enfants.

    Il décédera en 1847, confessé et administré, et sera inhumé au cimetière d’Arc.

    Le père Lacordaire regrettera la vente de la maison de Bussières, en 1858.Dans un de ses derniers voyages, il fit un assez long détour pour aller à Recey, s'agenouiller sur la tombe de son père.

    Il voulut revoir encore une fois la maison paternelle.

    Tous ces souvenirs d'alors lui revinrent.

    A cinquante ans d'intervalle, rien n'était changé. Il se retrouvait chez lui. C'était le même arrangement, les mêmes tapisseries aux murs. Il s'en étonnait auprès du propriétaire actuel:

    Ah  ! Mon Père ! Lui fut-il répondu, cette maison est sans prix à mes yeux à cause du nom qu'elle rappelle; tant que je vivrai, je ne permettrai pas de toucher à aucun de ces souvenirs !

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    Figure 5 : l'intérieur de la maison Lacordaire vers 1900 (carte postale)

    (Dominique Masson)

      Bibliographie :

    - Fourtier Gilles: les tribulations d’un abbé révolutionnaire; Les Cahiers Haut-Marnais; n° 295, 2019/4

    -Villard Henri: correspondance inédite du père Lacordaire –lettres à sa famille et à ses amis; Paris, Bruxelles, 1876

    - Chocarne B.R.P: le R.P.H Lacordairede l’ordre des frères prêcheurs, sa vie intime et religieuse ; Paris, 1866

    - Marteau de Langle de Cary Marie et Monneret Jean-Guy : prophète en son pays, Lacordaire; Paris, 1961

    -Philibert Anne: Henri Lacordaire; Editions du Cerf, Paris, 2016

    - Perrenet Pierre: Lugny; Dijon, 1971


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