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"Les mémoires de Sir Edward Blount" une conférence de Robert Fries..
Robert Fries, historien qui réside en Châtillonnais, a présenté le 16 janvier 2012, devant un public très intéressé, celui de l'Association Culturelle Châtillonnaise, son livre relatant les mémoires de Sir Edward Blount, mémoires traduites de l'anglais et annotées par ses soins.
Un livre extrêmement intéressant qu'on ne lâche pas avant d'avoir parcouru la dernière page...En effet ces mémoires écrites par Edward Blount, lorsqu'il était âgé de plus de 90 ans, nous offrent une vision passionnante de l'Angleterre du XIXème siècle, de la construction des premiers chemins de fer en France, de l'évolution de la Banque en Angleterre et en France, et surtout des réflexions de l'auteur sur la révolution de 1848 et de la Commune de Paris qu'il a vécues lors de ses séjours à Paris.
On trouve également dans le récit de la vie d'Edward Blount, de beaux portraits pleins de finesse de personnages célèbres tant anglais que français.
Robert Fries nous a fait découvrir les mémoires de Sir Edward Blount, à l'aide d'une promenade dans le temps (de 1830 à 1900), dans l'espace (en Angleterre, en France, en Italie).
Une promenade qu'il faut absolument compléter par la lecture de son ouvrage. Les mémoires si vivantes d'Edward Blount sont en effet annotées par Robert Fries, avec un luxe de détails historiques passionnants.
Le conférencier a complété son exposé avec la lecture de passages des mémoires d'Edward Blount...(j'indiquerai ces passages par leur foliotage)
Voici le portrait d'Edward Blount qui naquit en 1809 à Rugely, dans le Staffordshire, dans une famille catholique , qui pratiquait donc "l'ancienne religion", puisque l'Angleterre est surtout anglicane. Edward milita d'ailleurs pour "l'émancipation" , c'est à dire le droit pour les catholiques d'accéder aux mêmes fonctions que les anglicans
Edward Blount fit ses études à Oscott, université catholique, où la vie était très dure, ses descriptions de la vie des élèves et de leur alimentation font froid dans le dos ! (p.90)
Sortant d'Oscott, il fit des "stages" à la banque irlandaise, au Home Office, à l'Ambassade de Paris et au Consulat à Rome. Il fréquenta les Salons où il rencontra des femmes de grand entregent, comme Lady Granville, Lady Holland et la Reine Hortense , mère de Napoléon III.
(Lady Holland)
(La Reine Hortense)
La vie d'Edward Blount fut bien remplie, il fit carrière dans la Banque, les chemins de fer, l'industrie et la Chambre de Commerce.
Il participa par exemple à la construction de la ligne de chemin de fer Paris-Rouen, première ligne française à grande distance.(p.103) Il s'agissait alors de rattraper le retard de la France sur l'Angleterre au sujet du rail.
Ci-dessous les deux tracés envisagés, c'est le second, qui suivait la vallée de la Seine qui fut retenu car il desservait de nombreuses villes.
Le financement de cette ligne fut celui-ci :
1/3 de capitaux anglais
1/3 de capitaux français
1/3 fournis par l'Etat Français.
C'est son ami Joseph Locke, ingénieur en chef , qui dirigea les travaux , il fit travailler dix mille ouvriers , des "navvies".(p.109 à 110)
(Joseph Locke)
Ci-dessous une locomotive Buddicom.
L'aventure du chemin de fer ne fut pas sans risques, un accident terrible, suivi d'un incendie, se produisit à Meudon le 8 mai 1842 , accident qui vit périr cinquante cinq personnes dont, entre autres, l'explorateur Jules Dumont d'Urville et sa famille ..Les wagons étaient à l'époque en bois et fermés ..de l'extérieur !
(L'accident ferroviaire de Meudon)
Les écrivains et les peintres , comme ci-dessous Monet,célébrèrent ce nouveau moyen de transport: Victor Hugo fut enthousiaste, Alfred de Vigny..un peu moins.
(La gare Saint-Lazare par Monet)
On baptisait les locomotives, comme ici au départ de l'inauguration de la ligne Paris-Le Hâvre, c'était, nous dit malicieusement Robert Fries, la réunion du piston et du goupillon !
Edward Blount fut aussi banquier.
Dans la banque de l'époque il y eut des visionnaires comme les frères Pereire, mais aussi des spéculateurs comme des Rothschild.
La "Haute Banque" était celle du négoce international, son activité consistait en traites,escompte, change, gestion de fortune, placement des emprunts d'Etat (bons du Trésor), investissements.
Les principaux banquiers de l'époque furent Hottinguer, Mallet, Sellières, Laffitte, Rothschild.
Dans les banques de dépôts on utilisait l'épargne publique pour financer le commerce (exemple: le CNEP) ou financer des investissements (exemple: le Crédit Mobilier) ou les deux (exemples: le Crédit Lyonnais, le CIC, la Société Générale)
Mais les faillites furent fréquentes.
(les frères Pereire)
(Charles Laffitte)
La carrière de Sir Edward Blount commença par "la petite porte", sa famille n'étant pas fortunée.(p.95 et 96) Il créa sa première banque avec son père, puis sa deuxième avec Charles Laffitte pour Paris-Rouen, banque qui fit faillite en 1848, puis sa troisième avec des associés anglais. Cette dernière fusionnera d'ailleurs plus tard avec la Société Générale.
La Révolution de 1848 fut caractérisée par l'aveuglement des politiques français, tel Guizot qui ne vit rien venir.(p.163)
(Guizot)
Notre héros, Edward, assista aux scènes d'horreur du 23 février 1848 (p.167), puis aux combats devant le Louvre. Les 23-26 juin, l'insurrection fut matée.
(la nuit du 23 février 1848)
Vingt deux ans plus tard, en 1870, Edward Blount fut encore présent lors du siège de Paris, où il eut vraiment peur de la "populace".(p.233) Flourens avait envahi l'Hôtel de Ville, on ne pouvait plus communiquer avec l'extérieur, sauf par envoi de courrier en ballon, ou par pigeons voyageurs souvent abattus par l'ennemi.
Le ravitaillement était aussi problématique, le menu ci-dessous montre que les convives mangeaient les animaux du zoo du Jardin des Plantes: éléphant, kangourou etc....Les plus humbles se contentaient de rats ...
A Paris , lors du siège de la ville et de la Commune , de nombreux britanniques , comme par exemple des "nurses", se trouvèrent pris au piège , le consulat de Grande Bretagne les aida , ainsi que Richard Wallace , qui soulagea leur misère.
(Richard Wallace)
Edward Blount possédait de nombreux réseaux , il se rendait à des "cercles" comme le Jockey-Club, le Cercle des Chemins de Fer, le Reform-Club, le Cercle de la Rue Royale.
(Le Cercle de la Rue Royale)
Edward fréquentait le Haut Clergé Catholique, mais il aimait aussi les travailleurs. Il conduisit lui-même une locomotive pour se rendre compte des dangers qu'encouraient les employés du Chemin de Fer.
De nombreux avantages furent donnés aux cheminots tant leur métier était à risques, c'est incroyable de voir, pour l'époque, la générosité qui exista à leur endroit ( p.138)
Il se lia avec Thomas Brassey, un entrepreneur en Travaux Publics, un homme honnête, travailleur, humain.(p.147 et 151)
(Thomas Brassey)
Il eut une relation mondaine avec le général Marquis de Gallifet, qui était le gendre de son associé Charles Laffitte, un homme de cheval (Edward adorait les courses de chevaux), un homme du monde, un soldat courageux dit-il.
Gallifet fut néanmoins surnommé "le bourreau de la Commune", ministre de la guerre en 1899, il participa à la révision du procès d'Alfred Dreyfus.
(le général Gallifet)
Sir Edward Blount avait des valeurs victoriennes, il eut des aléas dans sa carrière de banquier, mais il avait l'art de côtoyer les grands tout en s'intéressant aux pauvres, il pratiquait l'indifférence devant la mauvaise foi, c'était un homme tolérant.
C'est pourquoi la lecture de ses mémoires est si intéressante..
Alors pour en savoir plus, procurez vous le livre de Robert Fries !
Roberty Fries nous a dédicacé son ouvrage.
Il nous a précisé que deux exemplaires de "Des chemins de fer à la haute banque" sont présents à la Bibliothèque Municipale de Châtillon sur Seine, où vous pourrez les consulter.
Pour le plaisir , le texte du si beau poème de Ruydard Kipling "If" présenté par Robert Fries en anglais, et traduit par nos deux britanniques châtillonnais..texte qui correspond si bien à la personnalité de Sir Edward..
Je le publie en français !
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
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