• 1919-1939 : vingt ans de trêve en Europe . L’Europe démocratique : de l’affrontement à l’apaisement 1919-1929

    SEPTIÈME PARTIE

     La Tchécoslovaquie : le bon élève.

    Sous le régime de la double monarchie, les populations thèques de Bohême relevaient de l’Autriche et les habitants de Slovaquie de la Hongrie. 

    A la fin du XIXème siècle, Tchèques et Slovaques avaient obtenu une certaine autonomie, notamment en matière linguistique et religieuse.  C’était un équilibre précaire, notamment en Slovaquie où les Hongrois souhaitaient procéder à une magyarisation de la société. 

    La guerre de 1914 y mit fin.  Les principaux dirigeants nationalistes prirent le parti des Alliés et se réfugièrent aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France.

    En 1917, Thomas Masaryk [1] et Edouard Benès [2], pour les Tchèques, Milan Stefanik [3] pour les Slovaques, créent aux Etats-Unis le Conseil National Tchécoslovaque. 

    Son but est de faire reconnaitre par les Alliés le principe d’un Etat tchécoslovaque indépendant. 

      Avec la bénédiction de Wilson, les représentants tchèques et slovaques signent à Pittsburg un accord prévoyant pour les Slovaques une large autonomie dans le nouvel Etat. 

    Durant toute la guerre des milliers de Tchèques et de Slovaques passent dans les rangs alliés. 

    Plus de 90.000 volontaires tchèques ou slovaques forment les Légions tchécoslovaques.  Elles sont présentes sur tous les fronts.

     L’indépendance tchécoslovaque est proclamée à Prague le 28 octobre 1918.

    Une constitution temporaire est optée, puis confirmée plus tard en 1920 par une constitution s’inspirant de celle de la IIIème République. 

    Les députés sont élus à la proportionnelle ce qui a pour conséquence de multiplier les partis.  Aux divisions gauche droite s’ajoutent des divisions par origine linguistique.

      Mazaryk est le premier président de la République de Tchécoslovaquie :

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     et Benès le ministre des affaires étrangères :

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    Les traités de Versailles et du Trianon définissent les frontières du nouvel Etat. 

    Le pays comptait 7 millions de Tchèques, 2 millions de Slovaques, 3 millions d’Allemands des Sudètes, 700.000 Hongrois, 450.000 Ruthènes, soit 51% de Tchèques, 23,4% d’Allemands, 14% de Slovaques, 5,5% de Magyars, 3,4% de Ruthènes (Ukrainiens) . 

    La nouvelle république connait des débuts difficiles. 

    Le gouvernement de Prague ne réussit pas mieux que les gouvernements de Vienne ou de Budapest à gérer la coexistence de populations dont l’origine urbaine (Tchèques) ou rurale (Slovaque), le niveau d’éducation, les revenus varient considérablement. 

    Rapidement, dans l’Etat unitaire et non fédéral défini par la constitution de 1920, les Tchèques exercent une hégémonie mal ressentie par les autres populations.

    De plus des problèmes frontaliers avec la Pologne – région de Teschen en Silésie – sont à l’origine d’un conflit sanglant en janvier 1919.  La conférence de Spa apporte une solution en juillet 1920.

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    Le nouveau pays connait un développement remarquable entre les deux guerres. 

    En 1929, le PIB avait augmenté de 52% et la production industrielle de 41% par rapport à 1913.  En 1938, la Tchécoslovaquie est la 10ème puissance économique mondiale. 

    Démocratie parlementaire, la Tchécoslovaquie a d’abord un gouvernement socio-démocrate puis, à partir de 1922 un gouvernement agrarien plus conservateur.

    Redoutant ses voisins allemands et hongrois, la Tchécoslovaquie cherche des alliances du côté français (traité de 1924 [4]) et fait partie de la Petite Entente avec la Yougoslavie et la Roumanie.

      Cette entente – en fait trois traités séparés signée au cours des années 1921 et 1922 – est destinée à se protéger mutuellement contre les visées de la Hongrie entre les mains du régent Horty.

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    A la différence de ses voisins, la Tchécoslovaquie ne cède pas aux tentations de la dictature, avant l’annexion par le IIIème Reich.

    L'Italie : l’irrésistible percée du fascisme

     Retour sur le fascisme : « Tout dans l’Etat ; rien hors de l’Etat ; rien contre » (Mussolini)

    Le fascisme apparait comme la réunion de mouvements dirigés contre des idéologies qui, après la première Guerre Mondiale semblaient avoir fait faillite ou devoir mener à la ruine.

    • Contre le libéralisme économique responsable des dérives du capitalisme qui se manifestent notamment par des crises financières à répétition, enrichissant les riches et appauvrissant les pauvres
    • Contre le libéralisme politique qui prend la forme des démocraties représentatives incapables et instables. Ces régimes se sont discrédités par la confiscation du pouvoir par la classe bourgeoise et par l’incapacité des régimes parlementaires à résoudre les problèmes sociaux du moment 
    • Contre la lutte des classes contraire à l’unité de la nation, et le socialisme incarné par le régime bolchevik dont on craint à la fois la redistribution des richesses par des voies autoritaires et brutales et le caractère international, contraire au patriotisme émotionnel exacerbé par quatre années de guerre

    En conséquence, les fascistes prônent :

    • Un régime autoritaire cherchant à réunir le peuple autour d’un parti unique animé par un nationalisme militant et conquérant
    • La subordination du droit des individus à la réussite du groupe auquel il appartient. L’appartenance à un parti politique, un syndicat, une église, fondée sur une communauté de valeurs, est remplacée par l’appartenance à une unité de production ; c’est le retour des  
    • Des politiques économiques interventionnistes et protectionnistes, organisant la production, limitant la concurrence et s’opposant au libre-échange,
    • Dans la version germanique du fascisme, le nazisme, la croyance en une hiérarchie des races et des populations. Au sommet se trouvent les Aryens représentés par les Allemands blonds.

     A l’origine les chefs des partis fascistes venaient volontiers de partis socialistes (Mussolini, Laval). 

    Pour une bourgeoisie effrayée par la percée des bolcheviks, éphémère mais réelle dans certains pays (Hongrie, Italie, Allemagne), mais pérenne au sein des mouvements syndicaux des démocraties continentales, le fascisme apparaissait comme une planche de salut. 

    C’est ainsi qu’à leur début Mussolini d’abord, Hitler ensuite, furent financés par le grand capitalisme et soutenu par les partis de droite. 

    Ces derniers pensaient bien pouvoir se débarrasser de leurs encombrants alliés lorsque le danger bolchévik serait éliminé.

     La situation de crise et la montée du fascisme.

    En 1919 l’Italie est malheureuse : elle a perdu 700.000 de ses fils à la guerre, elle compte un million de blessés ou de mutilés. 

    La région nord est a été ravagée par la guerre. 

    Les soldats démobilisés ne retrouvent pas de travail. 

    Les prix augmentent.  Ils ont été multipliés par 4,5.

      Les classes moyennes sont appauvries et inquiètes.  En revanche les industries liées à l’équipement des armées se sont développées et ont enrichi leurs propriétaires de façon démesurée. 

    La révolte couve.  1919 et 1920 sont appelées « biennio rosso », les deux années rouges[5].  

    Les grèves se multiplient dans les usines avec parfois occupation d’usines et constitution de « conseils ouvriers » (août – septembre 1920) sur le modèle des soviets. 

    Dans les villes les magasins et les dépôts de ravitaillement sont pillés. 

    Une république des soviets est créée à Florence. 

    Elle dure trois jours.  En mars 1919, les Faisceaux italiens voient le jour.

    Avec les groupes paramilitaires des Arditi [6] ils seront le bras armé du futur parti fasciste de Mussolini.

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      Dans les campagnes du sud les paysans occupent les grands domaines et partagent les terres. 

    En septembre 1920, un mouvement important de grève s’étend dans toute la péninsule, notamment dans l’industrie sidérurgique.

      Le parti socialiste et la CGL (syndicat CGT italien) sont divisés entre réformistes et révolutionnaires.  Le patronat profite de cette division, promet de reconnaitre le principe du contrôle ouvrier, mais ne met pas en œuvre les réformes promises. 

    En revanche, le patronat commence à soutenir les mouvements fascistes qui, dans la rue, tiennent tête aux manifestations syndicales.

      L’alliance de la grande bourgeoisie et du fascisme est en route. 

    Par ailleurs le pays traverse une crise morale profonde : il est déçu par le traité de Versailles qui n’a pas tenu les promesses de l’accord de Londres (avril 1915). 

    Bien que du côté des vainqueurs, les Italiens parlent d’une « victoire mutilée » (D’Annunzio).  

    Fiume et une partie de la Dalmatie devaient revenir à l’Italie.  Wilson s’y est opposé ; il propose pour Fiume [7] un statut de ville libre. 

    Clemenceau n’a pas fait grand-chose pour soutenir Orlando [8].  Les 11 et 12 septembre 1919, D’Annunzio, à la tête d’un corps de 20.000 légionnaires occupe la ville de Fiume et proclame son rattachement à l’Italie :

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     Le problème de Fiume sera réglé en 1924, par la force, l’Italie, entre les mains de Mussolini, annexant Fiume après avoir fait main basse sur Corfou.

    Mussolini (1883-1945) est là avec son mouvement fasciste (fasci di combattimento) qui compte 300.000 membres en 1921 ses squadre (escouades de combat) armés et motorisés qui s’opposent violemment aux syndicats fauteurs de grèves et aux organisations socialistes. 

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    Le mouvement est soutenu par les classes dirigeantes qui voient dans Mussolini un rempart contre les bolcheviks.

      En 1921 le Parti national fasciste est créé.  Les élections de 1921 ne lui sont pas favorables : 32 élus alors que les socialistes ont 122 élus et les « populaires » 107.

    Les violences des groupes fascistes redoublent.  

    A l’issue du congrès du parti à Naples, Mussolini décide d’organiser une marche sur Rome (27-29 octobre 1922)

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    Le Roi, Victor-Emmanuel III...

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    ...refuse de déclarer l’état de siège ce qui aurait permis d’arrêter la marche sur Rome.

      Au contraire il nomme Mussolini chef du gouvernement. 

    Habilement ce dernier met en place un cabinet de coalition, où les fascistes ne sont pas majoritaires.

      En même temps, il se fait donner les pleins pouvoirs et surtout modifie la loi électorale (la liste recueillant la majorité relative des voix obtient les 2/3 des sièges).

      Après un coup de force relativement peu violent, avec la complicité des classes dirigeantes, puis, par des voies légales, Mussolini réussit à instaurer un nouveau régime, relevant uniquement de lui et de son parti.

    L’opposition est éliminée, la presse étroitement contrôlée, les syndicats remplacés par une organisation corporative (par métier), l’Université et la jeunesse sont enrégimentées, le parti pénètre dans l’intimité des familles en organisant des services de protection de la mère et de l’enfant.

      Mais les mesures autoritaires du fascisme italien n’ont jamais eu la violence des dictatures nazie et communiste.

    Jouant le jeu des démocraties, Mussolini adopte un comportement « genevois » fondé sur le principe de sécurité collective. 

    En 1924, la question de Fiume est réglée à l’amiable avec la Yougoslavie. 

    L’Italie en 1925 participe au congrès de Locarno et garantit les frontières occidentales de l’Allemagne. 

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    Mussolini apparait comme un chef d’Etat fréquentable. 

    En 1926, le contexte change.  Mussolini veut jouer un rôle sur la scène internationale et se mêler des affaires des Balkans et des puissances d’Europe centrale.

      En 1926 et 1927, deux traités de Tirana font de l’Albanie un protectorat italien. 

    Dans la région du Danube, il s’agit de soutenir les aspirations révisionnistes des pays d’Europe centrale mécontents du traité de Saint Germain (Autriche, Hongrie, Bulgarie, Macédoine yougoslave). 

    La politique de Mussolini s’oppose alors à celle de la France qui soutient la Petite Entente [9] (Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie). 

    Cette compétition d’influence dans la Balkans et la région danubienne est un ferment de conflits. 

    Jusqu’en 1935, l’Italie reste l’alliée de la France et de l’Angleterre.  La situation changera quand Mussolini envahira l’Ethiopie.

     [1]Thomas Masaryk (1850-1937) est né en Moravie, alors administrée par la Hongrie, dans une famille pauvre.  Son père est valet de ferme et sa mère cuisinière.  Il est successivement serrurier puis forgeron.  A l’âge de 15 ans il est précepteur.  Il apprend plusieurs langues, poursuit des études brillantes de philosophie (sociologie) et milite parmi les étudiants nationalistes tchèques et adopte des positions anticatholiques.  Professeur à l’université de Prague, il fuit en Angleterre et crée avec Benes le Comité National Tchécoslovaque.

    [2]Edouard Bénès (1884-1948) né dans une famille paysanne benjamin de 10 enfants.  Il étudie le droit et la sociologie à Prague, Berlin, Londres Paris et Dijon (doctorat).  En 1909, il adhère au parti progressiste de Masaryk.  Réfugié en France, il milite aux côtés de Masaryk.  Il exerce une influence très active pour que les frontières occidentales de la Tchécoslovaquie nouvelle englobent les Allemands des Sudètes qui ne sont pas consultés.  Il en sera de même pour les Slovaques.

    [3]Milan Stefanik (1880-1919) né en Slovaquie à proximité de Bratislava est fils de pasteur.  Très doué pour les mathématiques, il étudie l’astronomie et milite contre la magyarisation de la Slovaquie.  Il est sensible à l’unité des peuples tchèques et slovaques, « deux particules d’une même nation », comme disait Masaryk.  En 1904, il arrive à Paris et travaille pendant 10 ans à l’Observatoire de Meudon.  Il contribue à la création d’un réseau radiotélégraphique liant Paris aux colonies.  En 1915, il s’engage comme pilote.  Il crée le service météorologique de l’Armée française.  Il organise une escadrille formée de Slovaques et de Tchèques.  Après avoir été blessé, il se consacre à la création d’une armée tchécoslovaque qui prend d’abord la forme des Légions tchécoslovaques qui combattent sur tous les fronts alliés.  Il meurt dans un accident d’avion en se rendant à Bratislava.en mai 1919. 

    [4]Le traité répond au souci de Foch de recréer des alliances de revers susceptibles de remplacer l’alliance franco-russe.  Mais le traité prévoit simplement des consultations en cas d’agression.  Il n’est pas complété par une alliance militaire secrète  ainsi que la presse allemande ne manqua pas de le faire croire.

    [5]Entre 1913 et 1919, les prix ont été multipliés par 5,7 et les salaires par 2,47. Lutte ouvrière n° 2179

    [6]Créés en janvier 1919 avec des anciens combattants des troupes de choc de l’armée italienne

    [7]La population de Fiume est italophone ; les faubourgs et l’arrière-pays croates.

    [8]Ce dernier, furieux de ne pas être écouté, quitte en mai 1919 la table des négociations du traité de Versailles.

     

    [9]Cette Entente signée en le 14 août 1920 est une alliance tripartite destinée à se protéger mutuellement contre les visées de reconquête de la Hongrie.  En 1925 et 1926, des accords militaires sont signés entre chacun des trois pays et la France qui garantit leurs frontières contre une agression hongroise.  En fait ces pays ont d’autres adversaires aux quels la France ne se frottera pas : La Russie, L’Allemagne, l’Italie.

    L'Europe avant et après l'Armistice :

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