• "L'exécution de Léon Vigneron, le 19 décembre 1870" , un notule d'histoire de Dominique Masson

    Voici un notule d’histoire de Dominique Masson, historien du Châtillonnais , sur un épisode peu connu qui s'est passé à Châtillon sur Seine en décembre 1870.

    Merci à lui de nous éclairer avec tant de précision sur cette exécution de Léon Vigneron par les Prussiens, exaspérés par l'attaque contre eux, des francs-tireurs de Riciotti Garibaldi.


    L’exécution de Léon Vigneron, le 19 décembre 1870

    Le 19 juillet 1870, l’empire français, dirigé par Napoléon III, entrait en guerre contre la Prusse de Guillaume Ier et ses alliés allemands.

    Après la défaite française à Sedan et l’abdication de l’empereur français, la troisième République fut proclamée deux jours après, le 4 septembre, mais la guerre va continuer.

    Giuseppe Garibaldi, avec ses fils, vint se mettre au service de la jeune République et rejoignit Tours, siège de la délégation gouvernementale hors de Paris assiégé.

    Gambetta lui confie alors le commandement de tous les corps francs de la zone des Vosges, de Strasbourg à Paris. Ces francs-tireurs sont des corps de volontaires, plus ou moins organisés et plus ou moins importants, qui se lèvent contre les troupes prussiennes et qui combattent parallèlement à l’armée régulière.

    Le 31 juillet 1870, une circulaire ministérielle française admit le principe de compagnies de francs-tireurs, engagées pour la durée de la guerre.

    Mais, du côté prussien, on juge qu’ils font une guerre déloyale, organisant des embuscades, des surprises ou des coups de main, et ces attaques inquiètent l’état-major.

    Aussi le commandement prussien leur refusera toujours la qualité de belligérant : Tout franc-tireur sera assimilé à un malfaiteur ; il sera passible du conseil de guerre immédiat qui peut prononcer la peine de mort.

    S’il est établi que dans un village un tireur non identifié a attaqué des soldats, celui-ci sera déclaré responsable et subira des représailles

    .
    Le 19 novembre 1870, Ricciotti Garibaldi, avec les francs-tireurs de Dôle, des Vosges et du Dauphiné, ainsi que les chasseurs du Havre et de Savoie et le bataillon Nicolaï, opéraient une surprise à Châtillon, tuant neuf prussiens, et surtout récupéraient des armes, la caisse du régiment et des chevaux .

    Mais les francs-tireurs n’étaient pas assez nombreux pour occuper la ville et l’évacuèrent le soir.

    Les prussiens prirent une quarantaine d’otages et les emmenèrent sur la route de Langres, où ils passèrent la nuit, avant d’être peu à peu libérés.

    Mais six otages, dont le maire, furent emmenés à Châteauvillain.

    Le 22, les prussiens revinrent en force à Châtillon, pillèrent la ville et imposèrent une contribution financière.

    C’est dans ce contexte qu’arriva l’exécution de Léon Vigneron.

    On a beaucoup dit sur lui, mais certains points sont à corriger.


    Edme Vigneron est né le 13 avril 1834, à Marac, en Haute-Marne, fils de Pierre Vigneron, pâtre, et de  Nicole Garnier ; son acte de naissance ne porte qu’un seul prénom, celui d’Edme, et on ne sait pourquoi il fut appelé par la suite Léon.

    Il se maria le 22 février 1857 avec Eugénie Gachet, à Neuilly-sur-Suize ; il est à ce moment déclaré habiter à Neuilly et est déclaré «  domestique » et il signe : Léon Vigneron.

    Achille Maitre écrira, en 1870, qu’il « n’était marié que depuis quelques jours » .    

    Il revint habiter à Marac ensuite, mais on ne sait quand, et il ne semble pas avoir eu de descendance.

     

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 1 : signature de "Léon"Vigneron sur son acte de mariage en 1857 et de sa femme

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 2 :Acte de naissance d'"Edme" Vigneron, état-civil de Marac (52)

    Suivons maintenant le récit fait par Gaudelette [i] 

    Le jeudi 11 décembre 1870, des troupes de la garnison de Langres étaient sorties pour essayer de surprendre un fort détachement de Prussiens qui se trouvait à Châteauvillain, mais l’ennemi ayant été averti, la tentative échoua, et les troupes rentraient deux jours après à Langres, laissant deux compagnies à Marac et deux autres compagnies dans un village voisin.

    Le dimanche 14, on signala les Prussiens, au nombre de 3 à 4 000, à peu de distance du village.

    Aussitôt les deux compagnies, auxquelles s’étaient joints quelques gardes nationaux de la localité, se déploient en tirailleurs dans les jardins, font une vigoureuse résistance ; mais, n’étant pas en nombre, ils durent se replier sur Langres.                                                             

    Louis Vigneron ne se trouvait pas en ce moment au village ; il était dans un moulin situé à un kilomètre de là, où il s’occupait tranquillement des soins du moulin où il était simple domestique.

    Il apprend tout à coup que l’ennemi est à Marac, qu’on lui oppose de la résistance ; alors, n’écoutant que son ardent patriotisme, faisant taire ses sentiments de père et d’époux, il n’hésite pas un instant ; il prend un fusil de chasse chez son maître, court à Marac, se met en embuscade derrière un mur de jardin et, sans s’occuper de ce qui peut advenir, décharge ses deux coups de fusil sur des Prussiens qui passaient à distance.

    Aussitôt il est poursuivi par les uhlans qui, après quelques minutes, s’en emparent.

    Dans sa fureur, l’ennemi pille les premières maisons du village et s’empare des notables qui sont emmenés à Arc-en-Barrois.                                                                                         

    Quant à Louis Vigneron, il fut emmené à Châtillon avec d’autres prisonniers.

    Accusé d’avoir protégé les francs-tireurs et d’avoir agi de complot avec eux, quoique cela n’ait pas été prouvé, il fut condamné sommairement à être fusillé.

                                                                        Gaudelette l’appelle Louis, alors que son prénom est Edme, et, plus tard, il sera gravé qu’il se prénommait Léon.

    Par contre, Gaudelette dit bien qu’il n’était que domestique au moulin de Marac.

    Mais, comme il fut pris au moulin, le commandant en chef prussien le qualifia de « meunier », et c’est aussi ce qui sera gravé par la suite.        

     

    [i] Gaudelette Michel : histoire de la guerre de 1870 en Bourgogne ; Paris, 1895

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 3 : condamnation de Vigneron par Von Delitz (archives Municipales Châtillon sur Seine)

    Léon Vigneron fut emmené à Châtillon et enfermé dans la même prison que les dix habitants de Thoires arrêtés le 14 décembre ; ce sont eux qui eurent la douleur de lui donner la dernière accolade[i].

     On possède deux récits concernant ses derniers moments, à la maison d’arrêt.

    Voici celui relaté par son directeur, M. Jamet :

    J’avais arboré le drapeau de la convention de Genève pour protéger et faire respecter la maison ; cela fut inutile.

    Les prussiens au nombre de 180 envahirent et prirent possession de l’établissement sans autre préoccupation…..

    Quelques jours après cette prise de possession les allemands amenèrent maire et notables des environ pris en otages et m’enjoignirent de les nourrir … j’ai répondu au chef que n’avais pas assez de provision.

    Il me répondit par un effroyable coup de poing qui me renversa et au même moment ma femme qui faisait la même réflexion fut frappée violemment d’un coup de la crosse de fusil sur la poitrine…

    Le 21 décembre[ii]à 7 heures du matin on m’intima l’ordre d’aller chercher un nommé Léon Vigneron qui avait été arrêté le 30 novembre[iii]

    Le malheureux avait été accusé d’avoir tiré sur eux.

    J’allai le chercher dans la salle des passagers ou il couchait et l’emmenai chez moi où on lui lut sa sentence de mort et un quart d’heure plus tard il n’était plus…[iv] .

    En 1872, Emile Montégut [v] recueillit le témoignage de la femme du directeur :

    Les Prussiens l’accusaient d’avoir protégé les francs-tireurs et d’avoir agi de complot avec eux, quoique cela n’ait pas été prouvé.

    C’est celui-là qu’ils choisirent pour se venger.

    J’entends encore, j’entendrai toujours, je crois, le cri que poussa ce malheureux lorsqu’on lui annonça qu’il allait être fusillé.

    Il demanda qu’on lui laissa le temps d’écrire au moins à sa femme, ce qui lui fut accordé avec beaucoup de difficulté.

    Il écrivait tout en tremblant, comme vous pouvez le croire, en sorte que cela ne marchait pas bien vite ; alors un officier s’avança et lui dit brusquement :

    « Un mot, rien qu’un mot, vous m’entendez bien, et dépêchons-nous, nous avons autre chose à faire qu’à vous expédier ».

    Puis ils l’ont amené contre le mur du cimetière et ils l’ont fusillé.

    Gaudelette ajoute :

    Puis il écouta les exhortations de l’abbé Lecœur, aumônier de l’hospice, fut aussitôt amené contre le mur du cimetière et fusillé.

    Il se trouva dans le peloton d’exécution des soldats qui ne voulurent pas prêter les mains à cet acte odieux ; leurs balles furent ramassées le lendemain au pied du mur, contre lequel elles s’étaient aplaties, dans un rayon assez éloigné. 

    Et madame Jamet poursuit :

    Il a été enterré à cette place même où il est tombé, avec les habits qu’il portait, sans qu’on ait pu le mettre dans une bière.

    En fait, selon Gaudelette :

    le corps de Vigneron fut ensuite littéralement traîné dans la neige jusqu’à l’entrée du cimetière.

    Comme aucune fosse n’avait été préparée, on le recouvrit seulement de quelques pelletées de terre, avec défense expresse de toucher au corps.

    Quelques jours après, en raison de la mauvaise odeur répandue par le cadavre, la municipalité obtint l’autorisation de le faire disparaître sous un monticule de terre

     Il dut être enterré au cimetière Saint-Vorles mais, le 23 novembre 1876, il fut exhumé et ses restes transférés au cimetière Saint-Jean pour y être enterrés avec ceux des francs-tireurs tués lors de l’attaque garibaldienne [vi].                                                                                                                       A l’endroit où Léon Vigneron fut fusillé, M. des Etangs, membre du conseil municipal et président du tribunal civil de première instance, fit ériger une croix en pierre, sur laquelle on peut lire une inscription qu’il rédigea lui-même :

                A Léon Vigneron/sa/veuve                                                                                                                                                                                                                   Garde Nata lpris à Marac le 11 /  X bre 1870 fusillé ici / le 19 par les prussiens il est /mort en chrétien et pour la /patrie                                                                                                                                                      

     Que Dieu / préserve / à jamais / la France / de frapper /le vaincu / désarmé et / de punir le / patriotisme comme un / crime[vii]

     En 1915, lors d’une manifestation patriotique organisée par le Souvenir Français et les blessés valides des hôpitaux, des palmes furent posées sur cette croix. Ce n’est que par la suite qu’une balustrade fut ajoutée, lui donnant l’apparence d’une tombe.

     [i] Lors de l’attaque de Châtillon par les Garibaldiens, plusieurs prussiens affolés s’enfuirent au hasard dans la campagne ; trois se laissèrent capturer par les habitants de Thoires ; le 14 décembre, le village fut cerné par un détachement prussien qui les récupéra et emmena en retour dix habitants de Thoires comme prisonniers, à Châtillon ; Diey Michel : 1870-1871, la guerre oubliée dans le Châtillonnais, Cahiers du Châtillonnais, n° 151

    [ii] Erreur de date ; de même pour l’horaire

    [iii] Von Delitz, dans sa pancarte, indique 6h 1/2 ; Achille Maitre écrit : « Le 19 décembre, à 6 heures ½ du matin, on entendait un feu de peloton du côté du cimetière de Saint-Vorles ».

    [iv] M le préfet, 1er Août : « M. le gardien chef de la maison d’arrêt de Châtillon sur Seine vient de m’adresser, que j’ai l’honneur de vous transmettre, son rapport au sujet des faits qui se sont passés dans son établissement sous l’occupation prussienne, des dégâts de toute nature qui y ont été commis et des exactions….dont il a été témoin personnellement ainsi que sa famille. M. l’architecte du département a visité l’établissement depuis son évacuation…. J’ai eu l’honneur de vous adresser ainsi qu’à M. le ministre de l’intérieur des propositions pour qu’il fût alloué au directeur de la maison d’arrêt une indemnité de 200 francs en raison des pertes et mauvais traitements qu’il a subis…. Je vous prie d’agréer monsieur le préfet l’assurance de mon respect » ; signé le directeur.

    [v] Montégut Emile : Impressions de voyage et d’art, souvenirs de Bourgogne ; in « Revue des deux mondes », premier mars 1872

    [vi] Diey Michel : chronique : à propos de la tombe de Léon Vigneron, Cahiers du Châtillonnais, 2004, n°189 

    [vii] «… sa veuve… » : ces mots sont souvent oubliés dans les livres rapportant cette inscription

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 4 : le "monument" de Léon Vigneron, carte postale Parisot

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 5 : le "monument" de Léon Vigneron, cliché Dominique Masson

    Le peintre Victor Didier, en 1882, raviva le souvenir de cette exécution en faisant une peinture représentant l’exécution de Vigneron [i].

    Sur ce tableau, les soldats prussiens attendent un peu plus loin que la sentence soit lue et on distingue au loin un mur.

     [i] Victor Didier (1837-1889), est un peintre châtillonnais ; il fut professeur de dessin au lycée de Châtillon

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 6 : Reproduction du tableau de Victor Didier, photo-carte

    Mais il semble que, la même année,  ce même peintre fit un deuxième tableau, avec des variantes par rapport au premier ; il rajouta l’abbé Lecœur, à genoux, et disposa différemment le peloton d’exécution ; celui-ci est face à Vigneron et un officier se tient devant, prêt à sortir son sabre pour commander le feu [i].

    C’est cette version que reprit, en carte postale, l’éditeur châtillonnais H.Bogureau.

     [i] Ces deux tableaux semblent avoir disparu

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 7 : Dessin de L.Breuil dans l'ouvrage de Gaudelette

    Ceci permit également, par l’intermédiaire des cartes postales, d’entretenir un certain patriotisme.

    "L'execution de Leon Vigneron

    Ce tableau de l’exécution de Vigneron fut repris dans le livre de Gaudelette, paru en 1895 ; L.Breuil en fit un dessin,à partir du tableau de Victor Didier, en modifiant un peu l’arbre derrière Vigneron et en ajoutant au fond un hangar.

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 8 : L'exécution de Léon Vigneron, carte postale , H.Bogureau

    Si Vigneron avait été fusillé à Châtillon, son décès ne fut pas porté sur les registres de l’état-civil.

    Le maire de la commune de Marac, au nom de la veuve de Vigneron, intervint, tendant à obtenir un jugement auprès du tribunal de Châtillon, pour suppléer à l’acte de décès de son mari qui n’a pas été rédigé.

    Après audition des témoins, le tribunal, le 25 avril 1871, constata qu’il fallait réparer cette omission ; le jugement rendu indiqua qu’il tenait lieu de l’acte de décès qui n’a pu être dressé en raison des circonstances, et qu’il serait transcrit dans les registres de l’état-civil de l’année courante ; le maire s’exécuta le 4 mai 1871 ; l’acte porte le numéro 93.

    "L'execution de Leon Vigneron

    Figure 10 : jugement inséré dans les actes de l'état-civil de la Commune de Châtillon sur Seine (1871)

    Dominique Masson

    (remerciements à MM. Massé et Millot)

     


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