• "La révolte du Lanturlu", un notule d'Histoire de Dominique Masson

    Un passionnant "Notule d’histoire" de Dominique Masson sur :

    La révolte du lanturlu de Dijon

    En 1630 La revue « Les Annales de Bourgogne »a consacré son tome 91 (3-4 2019) à cette révolte qui a marqué profondément les esprits au XVIIe siècle, à Dijon, car étant l’une des plus importantes révoltes populaires sous l’Ancien Régime, même s’il y eut d’autres mouvements urbains dans la première moitié du XVIIIe siècle au royaume de France.

    Comme dans la plupart des cas, le motif principal est d’ordre fiscal.

    Devenu duc de Bourgogne en 1467, Charles le téméraire avait voulu reconstituer l’ancienne Lotharingie en reliant tous ses domaines néerlandais aux domaines bourguignons et il chercha à s’entendre avec l’empereur d’Allemagne en vue d’obtenir une éventuelle couronne.

    Mais les bourguignons étaient mal perçus et s’attirèrent l’hostilité des suisses qui, avec les troupes lorraines, battirent Charles et le tuèrent au siège de Nancy, en 1477.

    La Bourgogne fut alors divisée en deux, avec une partie amenée par la fille héritière du duc, Marie de Bourgogne, mariée à Maximilien d’Autriche, qui apporte aux Habsbourg le comté de Bourgogne (la Franche-Comté) ainsi que les Pays-Bas bourguignons, et de l’autre le duché de Bourgogne, que le roi de France Louis XI rattache définitivement à la France.

    Mais, dans le duché de Bourgogne, à côté du duc, se trouvaient les Etats, institution composée de représentants des trois « ordres », apparue vers 1350.

    Ils étaient chargés d’examiner les demandes d’impositions extraordinaires émises par le duc de Bourgogne, pouvant les accorder, les refuser ou les amender.

    En 1477, après la mort de Charles le Téméraire, ils surent négocier la soumission du duché auprès de Louis XI, et obtinrent le privilège qui subordonnait la levée des impôts à leur consentement.

    Ils devinrent les garants et les défenseurs de ces privilèges.

    Au siècle suivant, ces Etats se transformeront en une commission de gouvernement provincial disposant d’un véritable budget, « consentant » à l’impôt, et capable de s’opposer, pour le bien de la province, aux exigences gouvernementales émises par les ministres ou les intendants.

    Leur rôle essentiel fut, tout au long de l’Ancien Régime, de négocier le montant de l’impôt avec les commissaires ou intendants royaux, d’en assurer la répartition par paroisses et d’en contrôler la collecte.

    La Bourgogne ne fut pas la seule à bénéficier de ce régime ; d’autres provinces, entrées tardivement dans le royaume de France, avaient aussi gardé leurs états provinciaux, et donc un peu d’indépendance.

    Ces provinces furent appelées provinces d’Etat, par opposition à celles où les états avaient été supprimés et où le roi, par l’intermédiaire de son représentant, répartissait les impôts (il existait aussi les pays d’imposition, dépendant de la seule autorité du roi).

    En Bourgogne les états sont réunis tous les trois ans pour voter le tribut au roi.

    Il se nomme le « don gratuit », pléonasme qui marque le caractère volontaire du geste.

    En fait, le marchandage était fictif et la somme était dictée par le roi à travers le contrôleur général des finances.

    Par contre, ce sont les états de Bourgogne qui ont toujours voulu assurer le recouvrement et le maniement de l’impôt.

    Les décisions des Etats étaient exécutées par les élus. Ceux-ci comprenaient sept membres : un représentant du clergé, un de la noblesse et deux du tiers état, plus l’élu du roi et deux de la Chambre des Comptes.

    Ils étaient assistés du personnel des bureaux et du trésorier des états de Bourgogne. A l’échelon inférieur, se trouvait le personnel proprement dédié au maniement de l’argent : les receveurs particuliers dans chaque bailliage.

    Il y avait 34 subdélégations, dont une à Châtillon.

    Au niveau local, la province est divisée en feux, à rapprocher des foyers fiscaux ; la répartition des sommes à payer au niveau de ces feux est faite par des habitants des communautés élus, les asséeurs, responsables sur leurs biens. Ils doivent être au moins 4 et sont défrayés pour le travail fourni.

    "La révolte du Lanturlu", un notule d'Histoire de Dominique Masson

    Le roi Louis XIII, aidé par son ministre, le cardinal de  Richelieu, cherche, en ce début du XVIIe siècle, à assurer l‘autorité royale, la soumission fiscale (il faut assurer les dépenses de la guerre de Trente Ans)  et le renforcement de l’absolutisme, au détriment des libertés provinciales.

    Le roi Henri II avait déjà tenté d’instaurer six élections en 1554 en Bourgogne, en vain.  

    Louis XIII veut refaire une tentative.

    En Dauphiné, les Etats provinciaux furent suspendus en 1628 et, à partir de 1630, un intendant vint représenter directement le pouvoir royal dans la province.          

    La royauté voulut faire la même chose en Bourgogne.

    Par un édit de juin 1629, Richelieu décida d’imposer à la Bourgogne, pays d’Etat, un régime administratif de pays d’élections : « Nous avons par ce présent édit perpétuel et irrévocable, créé, érigé et établi en l’étendue de notre pays et généralité de Bourgogne , dix sièges et bureaux d’élections sur le fait et justice de nos aides, tailles, taillon, subsides, impositions et autres levées généralement quelconques, dont la connaissance appartient à nos officiers des autres élections de notre royaume, et qui leur sont attribués par nos édits, ordonnances, arrêts et règlements depuis intervenus. Lesquels sièges et bureaux d’élections seront établis, à savoir en nos villes Dijon, Chalon, Beaune, Semur, Autun, Avallon, Auxonne, Châtillon, Nuits et Charolles… ».

    Pour Châtillon, il était prévu l’installation : «  d’un conseiller président élu, aux gages de quatre cents livres, cinquante livres de taxation ordinaires, cinquante livres de droits et chevauchées ; d’un conseiller lieutenant élu ; d’un conseiller lieutenant élu ; d’un conseiller premier élu assesseur civil et criminel ; de quatre autres conseillers élus et trois conseillers contrôleurs élus, aux gages de trois cents livres chacun, et mêmes droits que le président en ladite élection ; d’un conseiller avocat, aux gages de cent cinquante livres, cinquante livres de taxations ordinaires ; d’un conseiller et procureur pour nous, aux mêmes gages et droits ; de deux conseillers receveurs alternatifs et triennal des aides , tailles, taillon et autres levées,payeurs des gages et droits des officiers de ladite élection, aux gages chacun de six cents livres, tant en année d’exercice que hors icelui, et de six deniers pour livre de taxations en hérédité de tout le maniement qu’ils auront en l’année de leur exercice ; de trois greffiers héréditaires et trois maîtres clercs ancien, alternatif et triennal ; un greffier des affirmations , un garde des petits sceaux, et deux commissaires des tailles en ladite élection, aux mêmes gages et droits héréditaires et attributions que les quatre officiers de pareille nature en l’élection de Dijon ; de deux huissiers audienciers avec pouvoir d’exploiter tous actes de justice dans l’étendue de notre royaume aux droits ordinaires à gages de vingt livres chacun ; de deux sergents en ladite élection, avec le même pouvoir d’exploiter par tout le royaume, aux gages de dix livres chacun ; de quatre procureurs postulants en ladite élection, sans gages ». 

     Dès novembre 1629, les députés des trois ordres se saisissent de cet édit des élections et vont estimer que le projet était préjudiciable à Dijon et à la province ; le maire de la ville adressa une lettre en ce sens aux échevins.

    Mais la Chambre des Comptes, favorable au pouvoir royal, soutint cette réforme.

    La première décision des élus, sans attendre la réunion à venir des Etats, fut d’user de leur faculté de remontrance au roi, lui montant combien cette décision était désavantageuse à la province et contraire à ses privilèges.

    Ils députent auprès du roi des représentants de trois ordres : Claude de la Magdeleine, évêque d’Autun, avec Blondeau, abbé d’Oigny et Fleutelot, prieur ; Henry de Saulx-Tavannes, avec les seigneurs de Rabutin et de Barnay ; et le maire de Dijon, le vierg d’Autun et le trésorier de France ; mais cette délégation n’aura aucun effet.

    "La révolte du Lanturlu", un notule d'Histoire de Dominique Masson

    Les vignerons estimèrent être les premiers concernés par le nouvel édit, car les éventuels nouveaux impôts porteraient sur le vin ; jusqu’à présent, le vin n’était taxé que lorsqu’il était exporté hors de la Bourgogne, pas à l’intérieur.                                                                          Les événements débutent le 27 février, car le bruit court que la Chambre des Comptes va approuver la réforme.

    Une cinquantaine de personnes défile joyeusement et fait du tapage tard dans la nuit.

    Mais, le lendemain, les vignerons s’attroupent, avec à leur tête Anatoire Changenet.

    Les manifestants défilent en chantant « lanturlelu », mot composé de  « la » + « turelure », onomatopée employée dans certains refrains de chansons populaires, d’après le nom d’un instrument de musique désignant une cornemuse, un flageolet.

    C’était devenu le refrain d’une chanson qui se moquait de Richelieu, indiquant, soit un refus, soit une réponse évasive (on disait : c’est toujours la même turelure : c’est toujours la même chose).

    Ces manifestants brûlent un portrait du roi et vont saccager sept maisons de notables,  appartenant à la Chambre des Comptes ou représentant le pouvoir.

    La rébellion reprend le Ier mars, mais le commandant Mirebeau fait tirer sur les mutins ; il y aura une dizaine de morts (Anatoire Changenet sera jugé en mars 1631).

    Louis XII, alors en visite à Troyes, se rendit à Dijon le 26 avril 1630.

    Les dijonnais ayant fait leur soumission, le roi leur pardonna, mais leur imposa de lourdes sanctions, près de 150 000 livres.

    Le nouveau gouverneur, Henri II de bourbon-Condé, obtint, le 26 mars 1631, la révocation de l’édit d’élection, le rétablissement des privilèges de Dijon et l’élection des échevins dans leur forme antérieure, ainsi que la prééminence des Etats sur la Chambre des Comptes et le Parlement.         

    Cette grâce peut s’expliquer par l’indifférence des bourguignons lors de la chevauchée de Gaston d’Orléans, en mars 1631, en révolte contre son frère le roi.

    Ce dernier vit que  les dirigeants de la Bourgogne étaient en mesure de contrôler la province en sa faveur.

    Il faut aussi évoquer le réseau des relations des échevins, pouvant plaider auprès du roi.

    Enfin, la Bourgogne restait une place avancée devant la Comté, aux mains du roi d’Espagne.

    Et, en France, tout se termine par une chanson :

    Le roy nostre Sir        

    Pour bonnes raisons 

      Que l'on n'ose dire  

        Et que nous taisons

         Nous a fait deffence 

       De chanter Lanturelu   


    Lanturlu, lanturllu, lanturlu, lanturlure 
                                                                                                           (« Lettres et autres œuvres de monsieur de Voiture ; 1687)

     

                                            (Dominique Masson)


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