• Épisode VII

     Un beau matin de janvier 1948, j’arrivai donc, avec armes et bagages, au bord d’une lagune qui me séparait de ma nouvelle mission, Duwa.

    A ma droite l’océan indien grondait. En face, une ligne de cocotiers, de l’autre côté de la lagune. C’était là-bas…  

    Je fis une ardente prière, car on m’avait averti que ces gens-là n’étaient pas faciles à mener, puis montai courageusement dans la pirogue à balancier.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (7)

     

    Le vent soufflait terriblement, je dus attacher la jugulaire de mon casque pour ne pas le voir s’envoler. Le batelier, tout en manœuvrant  la pirogue et en mâchant sa  chique de bétel ,me lorgnait du coin de l’œil.

    Quelques femmes qui étaient allées vendre le poisson avaient pris place également dans la pirogue et, elles aussi, m’étudiaient silencieuses.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (7)

    Avec ces gens à la vie rude, toujours en lutte contre l’océan, plutôt défiants, c’était à moi de faire le premier pas. Je leur adressai quelques mots , leur demandai comment allait la pêche etc…

    Et je compris qu’il me faudrait beaucoup de patience pour les gagner et les conquérir.

    En débarquant et en traversant le pauvre hameau où vivent entassés 2 000 pêcheurs, dans la saleté, dans la misère, l’isolement du reste du monde, je pensai avec joie qu’en fait de vie missionnaire on ne pouvait pas souhaiter mieux et… j’entrai à l’église, ma foi, dédiée à Notre-Dame du Bon Voyage, tout au bord de la mer et veillant sur la flotte de voiles qui croise là-bas.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (7)

    La maison du Père est encore plus proche de la mer et aux jours de tempête, les vagues qui s’écrasent sur les rochers envoient des paquets  jusque dans les vitres.

    Jadis, la moitié du village a été engloutie dans un assaut furieux des flots et la conquête lente continue aujourd’hui.

    La place est mesurée dans la presqu’île étroite. De temps en temps, un cocotier tombe à la mer et je connais telle maison qui en fera bientôt autant en dépit des sacs de sable et des pierres qu’on accumule pour la protéger.

    Le gouvernement a essayé d’arrêter cette érosion et a fait placer par des éléphants de gros blocs de granit sur lesquels viennent se briser les assauts des flots, mais ces blocs disparaissent lentement dans le sable et, à certains points, on ne les voit déjà plus.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (7)

    A certaines époques de l’année, et à certaines heures du jour (je n’ose pas dire la marée, car elle est insignifiante ici) une ligne de rochers sous-marins émerge : c’est l’ancienne limite des terres.

    A d’autres époques, au mois d’août exactement, le mouvement des eaux dans l’immense baie apporte de notre côté des centaines et peut-être des milliers de mètres cubes d’un beau sable blanc.

    C’est ainsi qu’en rentrant de faire ma retraite à Colombo, je me trouvai propriétaire d’une magnifique plage d’une centaine de mètres de long sur 20 à 50 de large. Elle resta là trois semaines, puis disparut en 48 heures.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (7)

     


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  • Épisode VIII

     Pays étrange en vérité. Pays de lutte.

    Les gens portent cela sur leurs traits et dans leurs mœurs  plutôt rudes.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (8)

    Au début plutôt renfermés et soupçonneux, ils finirent par se livrer et devinrent plus communicatifs.

    C’est d’autant plus difficile de les changer qu’ils sont en grande majorité illettrés.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (8)

    Aussi mon principal souci fut de les convaincre d’envoyer leurs enfants à l’école.

    Ce ne fut pas facile, car dès qu’un garçon a 11 ans, on l’enrôle pour la pêche.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (8)

    Dès qu’une petite fille peut aider la maman à préparer le riz, on la retire de l’école.

    Je prêchai, je discutai, j’encourageai, je me mis à aller appeler les enfants dans leurs cabanes, je les attirai en leur donnant des images, en leur montrant des revues que certains d’entre vous m’envoyaient de France.

    Bref, je passai une grande partie de mon temps à changer cette mentalité.

    A la fin de l’année, il y avait un progrès et j’apprends que cela continue.

    Une autre difficulté était la division dans le village.

    Autrefois une partie du village devint schismatique, au temps su schisme de Goa.

    Maintenant tous sont revenus à l’unité, mais les deux factions subsistent  et il faudra beaucoup de temps encore pour faire disparaître les vestiges de ces divisions qui ont été un crève cœur pour tous les Pères qui sont passés par là.

    Mais je n’avais pas seulement à m’occuper de ce village, j’en avais encore trois autres ayant chacun leur église.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (8)

     

    Dans l’un de ces villages peu éloignés, je ne pouvais me rendre qu’à pied dans le sable où l’on n’avance pas et je maudis un jour ce sable qui vous empêche d’avancer, quand en dépit de mes efforts, j’arrivai trop tard pour une extrême-onction.

    Une autre église (c’était plutôt une école-chapelle si pauvre, si abandonnée) ne pouvait être abordée qu’en pirogue.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (8)

    J’y suis allé bien des fois dire la messe, faire le catéchisme, voir les gens etc…

    Les enfants étaient si heureux de me lorgner du rivage et de me regarder ramer, car il m’arrivait souvent de manœuvrer la pirogue moi-même.

    Puis quand j’abordais, les plus grands sautaient dans l’eau et entraînaient la barque pour l’attacher.

    La quatrième de mes églises était beaucoup plus distante.

    Je m’y rendais sur mon vieux clou de vélo qu’il fallait d’ailleurs  que je porte à certains endroits, par des chemins de terre couverts d’eau à la saison des pluies.

    A Pâques, il avait plu pendant des jours entiers, et comme il sait pleuvoir à Ceylan.

    Après une Semaine-Sainte épuisante, j’étais parti le Samedi-Saint à trois heures de l’après-midi pour entendre les confessions de ces pauvres gens si abandonnés.

    Je quittai le confessionnal à 7h15 et il faisait nuit noire déjà.

    J’avais promis aux trois Sœurs de l’école qui résident là-bas sans messe, sans consolation, d’aller bénir leur petite habitation.

    J’allai donc la bénir, puis je repartis vers huit heures du soir sans lampe (que j’avais oubliée), sans une étoile au ciel.

    Rien que des ornières, de la boue et d’immenses flaques d’eau jaunâtres, grandes comme des mares.

    Je roulais lentement, cherchant le chemin et me guidant d’après les troncs de cocotiers. L’eau giclait de tous les côtés et m’inondait jusqu’aux genoux. La pluie recommença et soudain, me voilà à terre, ou plutôt pataugeant dans l’eau.

    Que s’était-t-il passé ? Je pense que j’avais dû heurter une souche de cocotier invisible sous l’eau. J’étais frais, je vous assure. Ma pauvre soutane blanche ! mon pauvre vieux vélo !

    Mais à quoi bon se lamenter ? Et puis il n’y avait vraiment pas de quoi. Il fallait bien payer tant de joies pascales et missionnaires, tant de confessions, de communions….

    Je repartis donc, mais n’eus pas à aller loin. Une grande lumière, celle de deux phares puissants balaya l’étendue d’eau qui couvrait le chemin.

    C’était une camionnette militaire qui faisait le service des voyageurs dans cette région. Mais je n’en avais jamais su l’horaire, car il n’y en a pas. On  la prend quand elle passe.

    N’empêche que le conducteur était un brave homme et, quand il me vit en si piteux état, il m’embarqua avec mon vélo et un quart d’heure après j’étais au terminus, c'est-à-dire pas très loin de Duwa.

    J’ai toujours  cru que c’étaient vos bonnes prières qui m’avaient envoyé à point cette aide inattendue.


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  • Épisode IX, le dernier...

     Je passai donc l’année à circuler dans mes quatre stations, deux mois ici, trois semaines là, quinze jours ailleurs pour les fêtes patronales, les Premières Communions etc….une vraie vie de romanichel…

    Je m’étais habitué à cette vie errante et à tous les moyens de locomotion.

    Je connaissais les gens et nous commencions à nous estimer mutuellement quand, le 14 décembre (décidemment c’est toujours en décembre !) Monseigneur m’envoyait une nouvelle  feuille de route.

    C’est ça, la vie en missions.

    On n’a pas commencé à s’habituer qu’il faut filer.

    Cette fois, c’était pour la banlieue nord de Colombo.

    Mais cette partie de la ville n’a rien de commun avec les beaux quartiers que j’essayais de vous décrire au début de ma lettre.

    C’est la banlieue orientale dans toute sa misère : rues sales où grouillent des centaines d’enfants nus et sous-alimentés.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (9)

    Toutes les épaves de la grande ville viennent échouer là, tous ceux qui sont venus de tous les coins de l’île attirés par la civilisation, la vie qu’ils croient facile, par les cinémas, par tant d’attractions de la vie moderne…

    Pauvres gens qui ne savent pas ce qu’ils mangeront, ni où ils dormiront ce soir.

    Ma nouvelle mission est tout près du port et en comprend même une partie : les ateliers de réparation, les cales sèches etc…

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (9)

    Nous en recevons copieusement toutes les fumées.

    Autrefois, l’église de la mission Saint-André dominait le port.

    Malheureusement elle était trop proche des batteries qui devaient défendre le port et dont les détonations la faisait vibrer.

    En 1941, avant l’attaque japonaise, les autorités militaires la firent détruire ainsi que la maison des missionnaires et les deux écoles pour une compensation de 60 000 roupies.

    Et Monseigneur m’envoyait à Saint-André pour rebâtir une église qui coûtera quelques 200 000 roupies maintenant.

    J’ai 600 enfants dans les écoles et 3 000 catholiques, je ne sais pas combien de païens.

    Nous célébrons les offices dans une chapelle provisoire où l’on s’entasse et où l’on étouffe.

    Dois-je ajouter qu’après la protection de Notre-Dame de Sanka, c’est un peu grâce au sacrifice de la mission de Saint-André que Ceylan a été épargné.

    Les aviateurs japonais qui vinrent bombarder Colombo le jour de Pâques 1942, avaient comme point de repère notre église.

    Ils devaient larguer là leurs bombes, faire taire ainsi les batteries côtières et préparer le terrain au débarquement des  troupes qui attendaient au large.

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (9)

    Les avions tournèrent longtemps en rond et ne découvrirent jamais l’église en question, et pour cause.

    Ils lâchèrent leurs bombes au hasard et s’en allèrent même tuer des fous dans un asile sur lequel on avait oublié de peindre la Croix-Rouge.

    Les gens sont pauvres, mais ont beaucoup de bonne volonté.

    Priez pour que nous ayons bientôt notre église. Les travaux auraient dû commencer déjà depuis deux mois.

    Malheureusement je suis tombé malade au début de juillet et ai dû entrer à l’hôpital général où j’ai retrouvé les Sœurs Franciscaines et si apprécié leur dévouement.

    En trois ans et demi, j’ai attrapé deux ou trois maladies tropicales dont je suis guéri maintenant.

    Mais le traitement qui a duré jusqu’au 15 août m’a laissé très faible et le docteur  m’a prescrit un mois de repos dans les montagnes.

    J’arrive à la fin de ce séjour et me sens plus fort.

    Dans quelques jours je vais rejoindre ma mission et la chaleur de Colombo.

    Bien chers amis, je vous demande de prier pour ma pauvre mission.

    J’aurais bien évidemment bien d’autres choses à vous décrire, par exemple ma visite à la grande léproserie située à 5 kms environ de chez moi

    La vie du Père Caillet, missionnaire à Ceylan (9)

    ...comment aussi j’ai tué mon premier serpent venimeux au pied de mon lit… et tant d’autres choses.

    J’ai voulu simplement en écrivant à la hâte ces quelques pages, vous demander l’aumône de vos prières, spécialement à l’occasion de la journée des missions.

    Si vous saviez comme la prière peut beaucoup !

    Parfois quelqu’un vient vous voir et vous manifester son désir de devenir catholique, de recevoir le baptême, on ne sait pas vraiment pourquoi.

    Il  n’y a pas d’explication humaine à chercher.

    La seule explication, elle est dans la grâce de Dieu qui s’obtient par la prière.

    Je vous promets en retour que les catholiques et les enfants de Saint-André, avec leur missionnaire,  prieront pour vous, pour tous ceux qui vous sont chers et à toutes vos intentions.

    Je reste bien cordialement vôtre en Notre-Seigneur et Marie Immaculée ;

    Achille Caillet

    Adresse : Reverend Father Achille Caillet

    St Andrew’s Church Mutual

    Colombo 15

    Ceylan

     

    Post-Scriptum

    Plusieurs d’entre vous m’ont demandé de leur faire connaître la façon de venir en aide à ma mission.

    Plusieurs m’ont envoyé des revues, images, médailles, chapelets qui m’ont permis de faire beaucoup d’heureux et je les en remercie bien sincèrement.

    Depuis quelque temps, j’ai un appareil de projections fines qui me rendrait de grands services ….

    Si j’avais des films en nombre suffisant, car vous ne sauriez imaginer combien les enfants raffolent d’images.

    Cela m’aiderait à en attirer davantage et à leur enseigner le catéchisme d’une façon plus vivante.

    Je pourrais même aller montrer ces films aux lépreux ou aux orphelins ou à tant d’autres auditoires qui attendent la Lumière.

    Ceux donc qui voudraient  m’aider à l’occasion de la journée des missions peuvent envoyer leur obole à l’adresse suivante, en mentionnant sur le mandat « pour la mission du Révérent Père Caillet »

    Révérent  Père Leteur, Procureur

    75, rue de l’Assomption

    Paris (16ème)

    Le Révérent Père Leteur se chargera de l’achat et de l’expédition des films. D’avance et du fond du cœur, à tous merci

    R .P. Achille Caillet

    Voici comment se présente le document de 13 pages que madame Nicole Bléret m'a si généreusement envoyé  (cliquer pour mieux lire et utiliser la touche Ctrl))

    Première page :

    Souvenirs de la vie du Père Achille Caillet lors de ses missions à Ceylan (9)

    Dernière page :

    Souvenirs de la vie du Père Achille Caillet lors de ses missions à Ceylan (9)

    Cette magnifique lettre vous pourrez la relire, dans l'ordre des parutions, en cliquant sur le chapitre "Le Père Caillet, missionnaire à Ceylan" dans la colonne de gauche à la rubrique "Personnalités".

    J'ai remis le document original au Père Houdart qui a photocopié toutes ses pages pour lui permettre de laisser une trace dans les archives de la paroisse.

    Le Père Houdart l'a ensuite emporté et remis aux archives diocésaines à Dijon.

    Merci encore à Nicole Bléret de me l'avoir offert !


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