• Une étude passionnante de Pierre Potherat sur les inondations en pays Châtillonnais

    Pierre Potherat a rédigé une passionnante étude comparative entre les crues du Pays Châtillonnais de 1955 et celles de 2018.

    Merci à lui de me l'avoir envoyée pour la faire connaître aux lecteurs du blog !

    Les crues de janvier 2018 dans le Pays Châtillonnais Comparaison avec celle de janvier 1955

     
     Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.
     
    Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés   (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.
    Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.
    Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.
    Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.
    Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?


     La crue de janvier 1955  


     Comme celle de cette année, elle s’est produite en janvier. Après un automne moyennement arrosé, les pluies de décembre 1954 avaient amorcé un regain d’activité pour atteindre un excédent  de 10 à 15% à Langres, soit 100 à 110 mm. La première semaine de janvier 1955 a été caractérisée par d’abondantes chutes de neige sur le plateau de Langres et sur le Morvan. A partir du 10 janvier la température est remontée d’une dizaine de degrés en raison du passage d’un cortège de dépressions ayant parcouru la région Centre / Ile de France jusqu’au plateau de Langres où le cumul des précipitations sur une semaine s’est inscrit entre 100 et 200 mm dans le Châtillonnais et entre 150 et  250 mm dans le Morvan. La figure 1 montre que les précipitations (en jaune et orange) ont été particulièrement abondantes sur le plateau de Langres, qui, adossé aux reliefs du Morvan, justifie sa réputation de château d’eau de la France puisque la Seine et ses principaux affluents y prennent naissance (Laignes, Ource, Aube et Marne, de même qu’un important affluent de l’Yonne : l’Armançon). Le plateau de Langres, petit chaînon calcaire aux couches inclinées vers le centre du Bassin Parisien, assure la liaison entre les massifs cristallins des Vosges et du Morvan, et, malgré une altitude dépassant rarement 500 m, est capable de stopper une bonne partie des perturbations atlantiques qui le traversent. Les cours d’eau de la région ont donc dû évacuer l’importante lame d’eau de mi-janvier à laquelle s’est ajoutée l’eau de fonte des neiges du début du mois (30 à 60 mm équivalent pluie).

    Le pic de crue à Paris a été atteint le 23 janvier après un dernier épisode pluvieux d’une quinzaine de millimètres le 21.

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    Document Météo-France ; avril 2016
    On notera 211 mm à Brion et 193 mm à Châtillon
     
     La crue de janvier 2018


     Après sept premiers mois 2017 plutôt secs, l’automne a connu des pluies plus abondantes, à hauteur de 350 mm de septembre à décembre. Les mois de décembre 2017 et surtout  janvier 2018, ont été extrêmement pluvieux aussi bien à Langres que dans le Châtillonnais avec près de 370 mm (fig. 2). La crue de janvier 2018 a fait suite à une première montée des eaux consécutive à un cumul de précipitations de 110 mm à cheval sur la dernière semaine de 2017 et sur la première semaine de  2018. Un premier pic de crue a été atteint le 6 janvier à Chatillon, sans faire de gros dégâts. La RD 965 a cependant déjà été coupée à Brion pendant trois jours.
    Après une accalmie de 8 jours accompagnée d’une nette décrue, de nouvelles précipitations représentant 106 mm cumulés sont enregistrées à Thoires,  à 10km de Chatillon, du 15 au 22 janvier.  Du 1er au 22 janvier, 212 mm  de pluie sont tombés à Langres et 184 mm à Thoires.  C’est l’épisode pluvieux du 15 au 22 janvier qui a causé le débordement rapide du cours amont de la Seine et de ses affluents puisque le pic de crue à Chatillon a été atteint le 23 janvier. La décrue s’est amorcée dès le lendemain, soit aussi rapidement que la montée des eaux
     

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    On note 444 mm  à Saulieu et 369 mm à Langres sur cette période. Entre ces deux villes nous observons l’alignement NE-SW des sources des principaux affluents de la Seine qui prennent naissance sur le Plateau de Langres (PL)
     
    A Paris la Seine a lentement atteint son pic de crue (5,84 m) le 29 janvier et a amorcé une lente décrue à partir du 30.  
    Les phénomènes de crue et décrue de la Seine se sont donc faits à Paris plus lentement que sur son cours  amont, notamment en raison de la crue de la Marne qui a duré jusqu’au 6 février, probablement étalée grâce au réservoir du Der.


     
     Bilan et comparaison des deux phénomènes


     Dans les zones karstiques, comme celles caractérisant le sous-bassement du plateau de Langres, la nappe phréatique est connectée à la nappe alluviale en période de hautes eaux. Si bien que la position de celle-ci en profondeur conditionne la montée plus ou moins rapide des eaux en cas de pluies abondantes.
    Les pluies des mois précédant les inondations de 1955 et 2018 ont contribué à réalimenter les nappes phréatiques, leur conférant une grande réactivité aux épisodes pluvieux de janvier.  
    En 1955, les apports hydriques pré-crues ont été supérieurs à ceux de 2018 :
    - En 1955, aux cumuls de pluies du 10 au 17 janvier se sont ajoutées les eaux de fonte de la neige du début du mois, soit 150 à 200 mm en une semaine dans le Châtillonnais.  - En janvier 2018, nous avons observé, après l’épisode pluvieux du 15 au 22 janvier (106 mm) une montée très rapide des eaux, le pic de crue du 23 janvier ayant été, en certains endroits, plus élevé que celui de 1955. Dans les deux cas les pluies de la fin de l’année précédente avaient contribué à la remontée de la nappe phréatique, la rendant plus sensible aux nouveaux apports hydriques.
    La ville de Chatillon et plusieurs villages du Châtillonnais (Griselles sur la Laignes, Saint Marc, Aisey, Chamesson, Chatillon, Etrochey, Vix et Gomméville sur la Seine, Brion, Belan et Autricourt sur l’Ource et Veuxhaulles sur l’Aube) ont été durement impactés par cette soudaine montée des eaux en raison d’une configuration topographique particulière caractérisée par un net rétrécissement du lit majeur du cours d’eau au niveau de ces localités (fig.3).
    Par exemple, à Chatillon la largeur du lit majeur, coincé entre les coteaux de la Douix et le quartier de la porte de Paris, est d’à peine 250 m dans le centre-ville, entre les deux bras de Seine.  
    A partir de Charrey, la Seine entre dans le « défilé » de la Côte des Bars et son lit majeur y est très étroit, de  l’ordre de 400 à 500 m de large (fig.4).
    Les villages de Gomméville, Mussy et Plaines-Saint-Langes, construits sur le lit de la rivière, sont très vulnérables en cas d’inondations.
    Le village de Charrey, en revanche, installé 200 m à l’écart de la Seine n’est jamais inondé.

    Une étude passionnante de Pierre Potherat sur les inondations en pays Châtillonnais

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     En dépit de cumuls de pluies plus importants le niveau des inondations de 1955 a parfois été dépassé par celui de janvier dernier. Pour quelles raisons?
    Le principal moteur de la montée des eaux  réside dans la force du débit des cours d’eau,  luimême lié à l’intensité et à la durée des précipitations. Les paramètres qui influent sur le débit d’un cours d’eau sont en général la vitesse du courant et la surface mouillée de la section d’étude (fonction de la hauteur d’eau et de la largeur du lit).  
    Le profil en long dudit cours d’eau influence également son débit : outre la pente naturelle, une chenalisation artificielle par curage exagéré, recalibrage et suppression des méandres induit, selon les experts, une accélération des flux, donc l’augmentation des risques de crues en aval.
    Les rivières de nos régions sont caractérisées par un lit mineur, occupé par le courant en période de basses et moyennes eaux et par un lit majeur, ou plaine inondable, occupée par les prairies de fauche et  les prairies pâturées. En cas de fortes crues, les eaux envahissent  la plaine inondable qui  joue un rôle de stockage naturel car la vitesse des courants y est faible.
    Si le débit du cours d’eau est modifié artificiellement par les pratiques citées précédemment, il y aura moins de possibilité d’épandage de l’eau dans le lit majeur, et peu ou pas d’écrêtage des crues.
    Le stockage des eaux de crues peut encore être facilité et amplifié par des retenues d’eau associées à des vannages et des biefs, autrefois très nombreux dans la région en raison de l’utilisation, depuis le moyen âge, de la force hydraulique pour actionner moulins, scieries, forges et fonderies. Sur la Seine, entre Saint Marc et Gomméville, il y aurait eu 21 ouvrages de ce type à la fin du XIXème siècle.   


     Que s’est-il passé depuis 1955 ?

     

     Si l’on met à part les remembrements successifs depuis la fin des années 60 avec leur cortège de suppressions de vergers et de haies ainsi que de mise en place de drainages artificiels, autant d’actions qui auront accéléré la rapidité de transfert des eaux de pluie vers les ruisseaux et rivières, les principales causes de modification des débits de ces deniers sont à mettre au crédit des pratiques suivantes :
    - Entre 1960 et 1970  le profil des cours d’eau  ont subi des aménagements visant à accélérer l’écoulement par surdimensionnement et simplification de la géométrie des lits mineurs en les rendant plus rectilignes par suppression des méandres (fig. 5) et plus profonds par curage. Ces travaux ont été entrepris dans le but, pensais-t-on à l’époque, de contrôler, voire juguler les crues majeures.   -  Les conséquences écologiques de ces pratiques sont en général importantes et irréversibles. Nous avons observé une baisse de la diversité des caractéristiques physiques du lit de la rivière, c’est à dire une baisse de la variabilité des habitats, ce qui n’a pas manqué d’affecter à terme les peuplements aquatiques.  - Les effets sur l’accélération des écoulements n’ont pas été immédiats car nombre de meuniers encore en activité dans les années 60 entretenaient des ouvrages qui continuaient à jouer leur rôle dans l’écrêtage des crues (fig. 6).  - Jusqu’à la fin du siècle dernier, quelques retenues (vannages, biefs d’anciens moulins, forges, scieries…) et les ouvrages associés, ont été progressivement abandonnés en raison de l’arrêt des activités traditionnelles dû à l’émergence de nouvelles techniques industrielles et artisanales, mais les effacements de vannages ont été relativement peu nombreux car les moulins et autres forges ont été rachetés par de nouveaux
    propriétaires qui ont continué à les entretenir et ont parfois installé des micro turbines électriques. - A partir du début du XXIème siècle une campagne de suppression massive de ces ouvrages a été orchestrée par les pouvoirs publics (fig. 7), allant au-delà des recommandations de la directive européenne relative à la continuité écologique des cours d’eau.  Cette campagne intervient au moment où les gouvernements successifs du XXIème siècle naissant mettent l’accent sur la nécessité d’augmenter la part d’énergies renouvelables dans l’offre globale d’électricité ???   
     

    Une étude passionnante de Pierre Potherat sur les inondations en pays Châtillonnais

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    Une étude passionnante de Pierre Potherat sur les inondations en pays Châtillonnais

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    Résultats


     Les effets négatifs de ces actions se sont rapidement fait sentir dans les domaines suivants : - La chenalisation des cours d’eau des années 60 a eu l’effet inverse de celui escompté en accélérant les courants et en augmentant les risques de crue en aval ; - La récente suppression des anciens ouvrages hydrauliques a amplifié l’accélération des flux si bien que les retenues d’eau naturelles telles que les prairies humides ne jouent plus leur rôle d’écrêteur de crue; - les lames d’eau disponibles circulent très vite jusqu’aux goulets d’étranglements et autres verrous géologiques et provoquent une rapide et forte montée des eaux dans ces points sensibles; - La décrue est aussi rapide que la montée des eaux mais le mal est déjà fait.
    Nous ne parlerons pas ici des modifications de l’habitat qui ont grandement nuit  à la faune et la flore aquatiques mais aussi à la faune spécifique des prairies humides;
    A l’opposé, bien que la pluviométrie du Châtillonnais ait augmenté ces vingt  dernières années (seules 2003 et 2005 ont connu moins de 750 mm de pluie) nous avons pu remarquer que depuis quelques temps le débit des cours d’eau est très faible pendant les mois d’été. Le réchauffement climatique serait-il seul en cause ? La chenalisation du lit mineur des cours d’eau, conséquence des travaux décrits plus haut, ainsi que l’effacement des ouvrages semblent bien en grande partie responsables de l’abaissement de la nappe alluviale et de la dégradation des prairies humides dont la préservation est un des objectifs affichés par les agences de bassin.


     Recommandations

     
     Si la tendance actuelle n’est pas inversée nous craignons que la montée des eaux soit de plus en plus rapide et cause de plus en plus de dégâts dans les secteurs vulnérables
    Outre la réimplantation de haies destinées à favoriser l’infiltration des eaux de pluie, il convient de revenir sur la politique d’aménagement des cours d’eau, au moins dans les parties amont de ces derniers, c’est-à-dire dans nos régions, où la hauteur des ouvrages n’excède pas 2,5 m, en privilégiant  la levée des vannes sur ceux encore existants, comme le recommande la directive européenne  sur la continuité écologique des cours d’eau.
    Il est tout à fait déconseillé de délivrer des permis de construire pour des habitations dans le lit majeur des rivières.  
    Considérant le nombre extrêmement important  d’installations hydrauliques ayant parsemé les cours des rivières et ruisseaux prenant naissance sur le plateau de Langres, le potentiel en énergie hydraulique de cette région  n’est plus à démontrer.
    Est-il incongru d’imaginer qu’à l’avenir les pouvoirs publics se décident à prendre ce potentiel en considération en facilitant, soutenant, voire suscitant des projets de microcentrales hydroélectriques, ce qui permettrait de restaurer les remarquables aménagements que nous ont légués nos ancêtres ?
    Concernant la protection et la sauvegarde des prairies humides, des mesures  urgentes  telles que  la création de seuils artificiels en enrochements s’imposent afin de rehausser quelque peu le niveau de la nappe alluviale.

     
     Fait à Thoires, le 20 mars 2018
     
    Pierre Potherat
    Ingénieur en Chef des Travaux Publics de l’Etat, retraité


  • Commentaires

    1
    Vendredi 6 Avril 2018 à 10:15

    Bonjour Chris

    Merci à Pierre pour cet article.

    Si je peux me permettre une remarque, je dirais qu’un phénomène rarement (jamais) pris en compte n’est pas anodin dans l’écoulement (le ruissellement) des eaux, le remplissage des nappes phréatiques etc…

    Il s’agit bêtement du poids des engins agricoles en général. Le tassement des terres (la compaction) est important et ce ne sont pas les 30cm de labour qui changent quelque chose. Le créneau 1955-2018 est également représentatif de l’évolution du poids (et du nombre) des engins et des dégâts causés. La limitation des effets pourrait-être obtenue par une utilisation optimale de pneus à basse pression mais c’est là une question de culture (sans jeu de mots) et… de coûts.

    Cordialement
    Eulglod

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