• Une intellectuelle Châtillonnaise:Victorine de Chastenay

    Une intellectuelle Châtillonnaise:Victorine de Chastenay

    La maison à Châtillon sur Seine où elle mourut...

    Elle ne réalisa pas la prophétie de Bernardin de Saint-Pierre, qui avait vu en elle un futur grand écrivain.

    Après la publication de De l’Asie, elle rentra dans l’ombre et, de plus en plus souvent, vécut en province, à Châtillon ou à Essarois,et ne fit plus que de brefs séjours dans la capitale.
    Elle se consacra à l’entretien et à l’amélioration des propriétés familiales et aux bonnes oeuvres, laissant dans la région le souvenir de son inépuisable charité.

    C’est au point qu’elle se vit peu à peu oubliée et que certaines notices biographiques la disent décédée peu après le retour des Bourbons.

    C’est qu’elle eut des malheurs, et que les quarante dernières années de sa vie ne lui ménagèrent pas les difficultés. Elle perdit son père , sa mère , son frère , demeurant ainsi la dernière de sa famille.

    Pis encore, elle commença à perdre la vue .

    La musique, la lecture, l’écriture lui furent bientôt interdites.

    Elle continua pourtant à noircir des centaines de pages, souvent illisibles, quand elles ne furent pas recopiées vaille que vaille par un ami. Elle se décida à subir la pénible opération de la cataracte, qui lui valut de vivre quelques mois dans une obscurité absolue, mais lui permit de recouvrer l’usage d’un oeil.

    Deux ans plus tard, elle songea à une seconde opération, mais les médecins la lui déconseillèrent, un échec risquant d’affecter l’oeil déjà traité et il lui fallut se résigner à vivre dans un clair-obscur qui dura jusqu’à sa fin.

    En dépit de ces difficultés, elle poursuivit la rédaction de la seconde partie de ses mémoires, demeurée inédite, et d’un journal où elle suit jour par jour les événements politiques.

    Vieillissante, elle a perdu les illusions libérales de sa
    jeunesse, redoute maintenant la montée des socialismes. Elle a vu s’effondrer la dynastie des Bourbons, puis le règne de Louis-Philippe. La révolution de 1848 la remplit d’effroi : elle y voit l’amorce d’une désastreuse anarchie, encouragée par des hommes ambitieux dont elle dénonce la trahison ou l’arrivisme. Lamartine qui avait salué en vers le sacre de Charles X, lui semble devenu un dangereux démagogue.

    Elle s’indigna du discours où le poète annonce bruyamment
    son virage à gauche et son passage à l’opposition :

    Le mal que produira ce discours n’est pas dans ce qui a été dit, mais en cela qu’il a été dit, en cela que M. de Lamartine, le grand poète, le grand homme du siècle,
    l’honnête homme par excellence, s’est vu forcé de déclarer que le patriotisme et les lumières n’étaient que dans l’opposition ; que l’empire et la restauration n’avaient croulé que faute d’y prendre leurs conseils, et que le régime actuel allait avoir le même sort.

    Émule de M. de Lamennais, M. de Lamartine nous montre une démocratie
    croissante comme l’arrêt du destin, comme le programme, comme le devoir de la révolution de Juillet. Il nous montre, non comme une menace, mais comme belle, une révolution terrible, où toute aristocratie doive être anéantie, où tous les intérêts, où toutes les jouissances de la vie sont étouffés. Mais alors, je le demande, où serait
    la liberté ? Car la société n’a d’autres fins que la conservation des intérêts privés de ceux qui la composent – l’intérêt général, c’est cette conservation.

    M. de Lamartine n’a pas songé à quel point il avait fait l’apologie du terrorisme.
    L’avenir selon Lamartine, c’est à ses yeux l’avènement d’une utopie totalitaire qui épouvante celle qui a vécu la grande Révolution et ses débordements sanglants.

    Hugo, qui lui aussi se mêle de politique, n’est pas mieux traité. Ses oeuvres, son théâtre surtout, ont corrompu une jeunesse exaltée. Elle note :

    « M. Victor Hugo aspire ouvertement à la survivance de M. Ledru-Rollin. Il ne
    l’obtiendra pas, car il n’est qu’un acteur qui parle sur des planches. On l’honore du
    titre de poète. On a tort, il n’a point de verve. On a prétendu que Napoléon aurait
    fait de Corneille un ministre. Je crois qu’il eût été surpris de voir combien
    l’élévation du génie, à l’appel de l’imagination, est de l’élévation d’âme, ou de
    pensée, qui doit planer au-dessus de la sphère d’action. […] Je n’approche
    d’aucune manière Corneille de M. Victor Hugo. Le théâtre de M. Victor Hugo
    est, d’un bout à l’autre, détestable. Les moeurs, les goûts, les sentiments, la
    versification même, tout y est perverti, corrompu, faux enfin, et ainsi odieux. Il a
    tout abaissé ; il n’est aujourd’hui qu’un courtisan de la Montagne. »

    On ne s’étonnera donc pas de la voir saluer comme un bienfait l’arrivée de
    Louis-Napoléon Bonaparte à une présidence qui n’était pour lui qu’un marchepied
    vers l’empire. Elle dit à propos de l’élection présidentielle au suffrage universel :

    « On veut Napoléon, parce que ce nom a été grand pour la
    France, et que la France a été grande avec celui qui le portait. Le nom de
    Napoléon était sur les chapeaux. On a même entendu crier vive l’empereur. Les
    campagnes ne veulent point de république. […] Les campagnes n’ont point voté
    contre le général Cavaignac, elles ont voté pour Napoléon et l’empire. »

    Elle le voit comme un rempart contre la montée d’une gauche niveleuse dont elle dit :

    « Je considère les meneurs socialistes comme des traîtres à leur pays. » Puis elle écrit :

    « Que d’événements en si peu de jours ! Mais ne craignons point de le dire, l’ordre social entier était bloqué par le socialisme et la plus désastreuse anarchie. Le complot existait. »

    Elle vivra pourtant assez longtemps pour prévoir que l’empire à son tour ne répondrait pas à ses voeux. Du fond de sa province, elle suit avec anxiété les péripéties de la guerre de Crimée, où l’Angleterre, l’ennemie héréditaire qu’elle déteste, lui paraît avoir entraîné la France.

    Elle lui consacrera les dernière lignes de son journal:


    « On ne peut comprendre une guerre sans but et sans objet. La mer Noire détruit
    nos vaisseaux. Chaque jour, il faut y envoyer des milliers d’hommes. »


    Victorine de Chastenay, qui avait eu son heure de gloire dans les salons du
    Directoire, du Consulat, de l’Empire et de la Restauration, s’éteignit, oubliée, à
    Châtillon sur Seine.

    Elle avait depuis longtemps renoncé à ses rêves de réussite
    sociale et littéraire, se bornant à faire la charité autour d’elle et heureuse d’être
    pour les paysans la bonne dame d’Essarois.

    C’est pourquoi elle souhaitait que l’on grava seulement sur sa tombe : Transiit bene faciendo — elle a passé en faisant le bien.


    [Copyright Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

    Auteur que je remercie :Raymond Trousson, Une mémorialiste oubliée : Victorine de Chastenay ]

    Marmont,Carco,Nisard et Cailletet ont donné leurs noms à des Ecoles de la ville de Châtillon...
    Quel dommage que l'on ait pas pensé à cette si charmante Victorine de Chastenay,pour nommer une école Maternelle par exemple...
    Elle aurait pourtant bien mérité cet honneur posthume que je me suis permis de lui rendre,avec l'aide précieuse de Raymond Trousson....


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  • Commentaires

    3
    Dorival
    Dimanche 22 Août 2010 à 19:28

    Excellent article. Trouve-t-on à Chatillon des papiers privés de Mme de Chastenay (correspondance)? Je cherche aussi des renseignements sur Edme François Miel.

    2
    Christian Bay
    Samedi 13 Décembre 2008 à 12:00
    Notre fameux ermite d'Aignay fut enfermé pendant la révolution avec Honorine de Chastenay à la prison de Châtillon sur Seine. Je ne sais ce qu'il est devenu ensuite. Si quelqu'un sait où il est décédé, je le remercie par avance de bien vouloir m'en indiquer le lieu.
    1
    carli
    Samedi 26 Juillet 2008 à 12:00
    bravo et merci pour l'ensemble de votre blog .
    faisant parti des amis du chatillonnais , je ne peux qu'apprecier autant de passions pour notre chatillonnais
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