• Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon, un notule historique passionnant de Dominique Masson.

    Il y a quelque temps, deux éminents professeurs allemands m'ont écrit pour me demander des renseignements au sujet de la fameuse "surprise de Châtillon" qui vit  les francs-tireurs de Garibaldi attaquer les soldats prussiens à Châtillon sur Seine.

    Il s'agissait de monsieur Günter Wiesendahl, historien à Hamm, et  de monsieur Rainer Bendick, docteur en histoire de Brunswick.

    J'ai transmis aussitôt ces demandes à Dominique Masson.

    Ce dernier s'est mis en relation épistolaire avec ces historiens, et ces derniers lui ont transmis des textes allemands rédigés à cette époque  par l' Etat-Major Prussien de Hamm et de Brunswick, mais aussi des articles, des livres, et des lettres que les soldats prussiens écrivaient à leur famille.

    Rainer Bendick est même venu à Châtillon sur Seine nous rencontrer et voir tous les souvenirs qui restent de cette fameuse surprise (monuments , tombes etc...)

    http://www.christaldesaintmarc.com/rainer-bendick-historien-allemand-a-fait-des-recherches-sur-la-campagn-a209630478

    Dominique Masson a pu rédiger l'article qui suit en compilant les récits de l'Etat-Major prussien, de ceux des soldats de Hamm, de ceux des soldats de Brunswick, et de ceux des habitants de Châtillon.

    Un article superbe qui nous montre  cette "surprise de Châtillon", vue de façon, oh combien différente,  par les  allemands et les français.

    Merci à Dominique Masson pour ce travail magnifique !

     

     LES CONSÉQUENCES DE L’ATTAQUE DU 19 NOVEMBRE 1870 A CHÂTILLON :

    LES JOURNÉES DES 22, 23 ET 24 NOVEMBRE

     La IIe armée allemande, le 15 novembre 1870, a, pour commandant en chef, S.A.R le Feld-maréchal-général, le prince Frédéric Charles de Prusse.                                                            

    Ses effectifs sont constitués par :

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Le IIIe corps d’armée a, pour commandant en chef, le lieutenant-général von Alvensleben II ; le IXe corps d’armée a, pour commandant en chef, le général d’infanterie von Manstein ; le Xe corps d’armée a, pour commandant en chef, le général d’infanterie von Voigts-Rhetz.

    Ce corps comprend la 1ere division de cavalerie, la 19e division d’infanterie et la 20e division d’infanterie.

    Pour celle-ci, le commandant est le général-major von Kraatz-Koschlau.

    Cette division comprend, outre de l’artillerie, la 39e brigade d’infanterie, avec le général-major von Woyna, et la 40e brigade d’infanterie, dirigée par le général-major von Diringshofen. 

                                             Cette dernière comprend :

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Le 10 novembre, le commandant en chef est à Troyes, ainsi que le IXe corps d’armée ; le IIIe corps est à Vendeuvre et le Xe corps à Chaumont.

    Le général von Kraatz-Koschlau effectua la sécurité dans la direction de Langres, au nord et à l’ouest de cette place forte, tandis que le XIVe corps d’armée était établi à Dijon.                                                                                                             L’inspecteur général d’étapes de la IIe armée, suivant la marche de cette armée vers la Loire, n’avait pu détacher que vers le milieu de novembre une partie de ses troupes de la ligne d’étapes et les pousser vers Châtillon.

    C’est ainsi que, le 18 novembre, l’inspection générale d’étapes était à Troyes ; la 3ecompagnie de Unna à Bar-sur-Seine ; les 1ere, 2e et 4e à Châtillon, avec le 2eescadron du 5e de hussards de réserve, arrivés le 17 novembre, sous le commandement du colonel Lettgau  ; à Châteauvillain, la 6ecompagnie de Unna et la 5e à Chaumont ; sur les routes de Bologne-Saint-Dizier et Bologne-Colombey, le bataillon de Soest et le 1er escadron du 5e hussard de réserve ; et, vers Pont-à-Mousson, les bataillons de Detmold et de Paderborn.

    La « surprise » de Châtillon, opposant garibaldiens et prussiens, eut lieu le 19 novembre 1870.

    Selon le récit officiel du grand état-major prussien :

    En apprenant que l’ennemi préparait une nouvelle attaque avec des forces supérieures, le colonel Lettgau se retira le lendemain sur Châteauvillain.

    Dans sa marche vers la Loire, le général de Kraatz (il avait laissé devant Langres 2 bataillons, 1 escadron et 1 batterie), arriva dans cette localité le 21 novembre et ramena le détachement à Châtillon (la 6e Unna restait à Châteauvillain). 

    Le 23, quatre compagnies du bataillon de landwehr de Soest et un demi-escadron (1ere, 2e, 5e et 6e de Soest- qui s’était portée le 21 sur Bar-sur-Seine- et la moitié du 1er escadron du 5e de hussards de réserve), vinrent l’y rejoindre.

    La première de ces troupes avait eu près de Plaines une légère rencontre avec une bande de francs-tireurs.

    Le 24, le général von Kraatz continua sa marche sur Joigny.   

    Dans ce récit, il n’est nullement mention de représailles exercées à Châtillon, mais simplement de la marche des troupes prussiennes et de l’occupation progressive de la France.     

    Cependant, plusieurs témoignages existent, soit du côté allemand, soit du côté français, sur les événements qui se passèrent à Châtillon, lors de ces journées du 22 au 24 novembre 1870.

     Côté allemand, existent d’abord les lettres qu’un soldat allemand, servant dans le 92e régiment d’infanterie du Brunswick, Albert Böhme, écrivit à sa femme, et qui ont été publiées [i].

    Böhme était charpentier, âgé de 23 ans et écrivait un allemand assez basique.

    Sa lettre du 23 novembre 1870 est datée de « Chattilon » :

    Chère Friedericke, cela me fait très mal de savoir comment tu dois vivre maintenant, alors que tu pourrais avoir une meilleure vie si j'étais près de toi.

    Je travaillerais pour toi autant que je le pourrais, jour et nuit.

    Cela ne m'aigrirait certainement pas autant que maintenant, toutes ces marches fatigantes chaque jour.

    Nous devons toujours marcher 7 à 8 heures. Cela fait maintenant plus de 14 jours que nous marchons, et nous en aurons probablement encore 14 avant d'arriver à Paris.  

    Chère Gretchen [ii], ici, dans cette ville de Châttoillon [iii], il y a eu des meurtres.

    Il y a quelques jours, 2 compagnies d'infanterie de la Landwehr et 2 escadrons de cavalerie de la Landwehr se trouvaient ici en cantonnement d'étape.

    Ils ont presque tous été assassinés, blessés et tués par les Francs-tireurs dirigés par Garibaldi.

    Nous avons dû entrer avec des mesures de sécurité, en avant les dragons, les sabres tirés, et nous les fusils chargés.

    La ville a dû payer pour ça.

    Toutes les boutiques ont été pillées et démolies.

    Plusieurs maisons ont été incendiées là où la plupart des meurtres avaient eu lieu.

    Elles brûlaient encore l'autre matin quand nous sommes repartis… 

    Ce soldat n’indique pas spécialement quelles troupes ont perpétué les pillages et les incendies.

    Le deuxième témoignage est celui d’Heinrich Oppermann, un jeune paysan, ayant aussi servi comme sous-officier dans le 92e régiment d’infanterie de Brunswick [iv].

    Le 22 novembre 1870, il a participé au pillage de Châtillon et il en a fait le récit à ses parents :       

    De Langres, nous avons fait route vers Châtillon, où nous avons fait de terribles ravages pendant une journée ; car ici, deux jours auparavant, pendant la nuit, les Français avaient attaqué 300 de nos soldats de la Landwehr et en avaient aussi tué quelques-uns.

    En retour, nous, nous avons pris notre revanche, nous avons pillé, nous avons un peu brûlé, ici ou là, et cela brûlait encore lorsque nous quittâmes ce lieu.                                                                                                                                               Le 24 novembre, au matin, le régiment de Brunswick quittait Châtillon et continuait sa marche vers la Loire..                                                                                                                     Pour Oppermann, ce sont les troupes venues à Châtillon, en particulier celles de Brunswick,qui ont pillé et mis le feu à certains endroits.

    [i]Albert Böhme venait de se marier le 24 juillet 1870 ; ses lettres ont été publiées par Isa Schikorsky :« Wenn doch dies Elendein Ende hätte”(« Si seulement cette misère avait une fin »)- Ein Briefwechsel aus dem Deutsch-Französichen Krieg 1870/71 » ; Cologne, Weimar, Vienne, 1999.

    [ii] Petit nom de sa femme, pour Friedericke

    iii] Albert Böhme écrit le nom de Châtillon de façon fantaisiste

    [iv] Heinrich Opperman est mort de dysenterie, le 5 mars 1871, à Château-du-Loir (Sarthe). Ses parents ont publié des lettres qu’il a écrites de France, selon les sources du docteur Bendick.

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

     

    Renning Ribbentrop, officier dans le régiment de Brunswick, a publié en 1901 ses mémoires, « Mit den Schwarzen nach Frankreich hinein. Erinnerungen eines Braunschweigischen Offiziers aus dem Krieg 1870/71 » (« En France avec les Noirs. Mémoires d’un officier de Brunswick pendant la guerre de 1870/71 »[i]) ; il a, en particulier, raconté son passage à Châtillon : 

    Lorsque le détachement est rassemblé sous le commandement du général von Kraatz-Koschlau, l'avance sur Châtillon sur Seine est ordonnée

    Notre tâche était d'obtenir l'expiation de cette horrible atrocité.

    Les hommes avaient été avertis au préalable de ne pas exercer de représailles.

    Le Maire a reçu l'ordre de fournir des rations pour 10.000 hommes, et 10.000 autres devaient arriver le jour suivant.

    Ces nombres excessifs ont été donnés afin d’impressionner les Garibaldiens, sur lesquels la Landwehr avait donné des indications de force très importantes, et pour assurer notre très longue colonne qui était en train de venir, car il était certain pour nous que Garibaldi recevrait des nouvelles de tout ce qui se passait dans la ville.

    En outre, la ville devait payer une pénalité d'un million de francs [ii].

    Afin de garantir toutes ces demandes et de décourager la population de participer à nouveau à un raid, des ordres ont été donnés pour que chaque compagnie prenne 40 otages masculins et les amène en détention.

    Afin d'accomplir cette tâche pas tout à fait facile de la manière la plus simple, puisqu'une grande partie de la population masculine avait quitté la ville, notre capitaine von Vernewitz a pris les chefs de patrouille de sa compagnie et leur a dit, avec sa manière courte et lapidaire :

    « Messieurs, nous devons saisir 40 otages ; maintenant chacun de vous prend quelques hommes et vous patrouillez dans les tavernes, où la bande se trouve et bavarde. Vous en prenez autant que vous pouvez. »

    En à peine 10 minutes, la 3ème compagnie avait ses 40 otages, et pouvait même donner un surplus à d'autres.  

    À Châtillon, nous avons eu une journée de repos.

    On m'a donné un cantonnement dans une maison de maître.

    J'ai forcé les domestiques, qui étaient seuls, à m'ouvrir l'élégante chambre de Madame, où je me suis installé confortablement malgré les protestations véhémentes des domestiques.

    La nourriture était bonne, mais le vin était mauvais.

    Après quelques mots intelligibles, nous nous sommes mis en possession des clés de la cave.

    La cave semblait complètement vide et a été une grande déception !

    Mais voilà, il y a eu un éclair de lumière argentée et soudain, dans un tas de sable d'apparence innocente, on a découvert une magnifique réserve de champagne et de vin rouge.                                

     Comme je l'ai dit, le pillage était interdit à Châtillon.

    Néanmoins, les biens de l'ennemi, notamment dans les maisons où les troupes allemandes ont été victimes d'assassinats, n’étaient pas exactement traités avec douceur.

    Dans une cave à vin, deux hommes de la Landwehr ont été retrouvés égorgés.

    Une partie des tonneaux avait déjà été percée et vidée par les Français.

    Les tonneaux restants furent vidés par un tonnelier et leur contenu distribué aux soldats, qui emportaient la noble boisson dans des marmites de campagne.                                                                                                                                

    Dans un autre bâtiment, il y avait une grande papeterie.

    Lorsque je suis entré dans la boutique pour acheter des feuilles de papier, j'ai vu un de nos mousquetaires derrière le comptoir avec une grosse paire de lunettes bleues sur le nez.

    La conversation suivante s'est alors engagée entre lui et un soldat [iii] qui était entré devant moi :                                                                                           

    « Que voulez vous ? »                                                                                                       « Vendez-moi quelques feuilles de papier et quelques plumes »                                                       

    Le vendeur disparaît à la vitesse de l'éclair et revient immédiatement avec une rame de papier à lettres, un paquet d'enveloppes, une boîte de plumes d'acier, de porte-plumes, de cire à cacheter, de crayons et autres ; il jeta le tout sur la table et se tourna à nouveau vers l'acheteur avec l'expression d'un garçon de boutique complètement voué à sa tâche :  

                                                                         « Tenez, monsieur, vous avez ce que vous voulez. »                                                           « Je n'en veux pas tant. Après tout, je ne peux pas payer du tout. » 

    « Ça n'a pas d'importance, ça ne coûte pas grand-chose du tout »   

    « Oui, combien ça coûte ? »                                                                           « Je m’en fais un plaisir pour une fois, ça ne coûte rien », fut la réponse du vendeur, s'inclinant poliment avec des salutations amicales.   

                                                                    Lorsque j'ai demandé ce qui se passait ici, on m'a également répondu, en s'inclinant adroitement:« Nous faisons une vente ici, mon Lieutenant »  

    J'étais sur le point de commencer à tonner quand un sergent est entré et a signalé qu'un assassinat de troupes allemandes avait été commis ici et que tout était donc vendu gratuitement.          

    Tard dans la soirée, je m’allongeai confortablement dans mon lit, béat.

    Mais il n'a pas fallu longtemps avant que l'appel ne retentisse : « Il y a un incendie ! »

    Je devais sortir du lit, même si je n'avais pas envie de me lever.

    Il y a eu un incendie dans le centre de la ville - mais sur ordre - et c'est dans ces quartiers que les hommes de la Landwehr avaient été assassinés.

    La compagnie de sapeurs a occupé le lieu de l'incendie ; des extincteurs étaient disponibles, mais on n’a pas éteint le feu.

    Le capitaine qui était présent a expliqué : « nous allons boucler la zone et nous assurer que le nid brûle proprement ».

    Rassuré, je suis rentré chez moi et, après avoir fait mon rapport, je me suis glissé dans le « rabat » [iv], comme dit le soldat.    

                                                                                             Tôt le matin du 24 novembre, le détachement quitta Châtillon au son de la musique et marcha jusqu'à Laignes et Nicey, où il prit ses quartiers.

    Ainsi, si Ribbentrop indique que le pillage était interdit, il y avait beaucoup d’exceptions.

    Selon le maire de Châtillon, c’est surtout le quartier de la rue de Chaumont qui fut particulièrement touché, car habité surtout par les pauvres.

    L’ennemi avait supposé, bien à tort, que cette partie de la population était sympathique aux Garibaldiens et avait favorisé l’attaque du 19 novembre.

    Une autre source est celle que l’on trouve dans l’histoire du 92erégiment royal d’infanterie du Brunswick, rédigée par Werner Otto, chef de compagnie, qui donne un autre point de vue des événements [v] :  

    [i] « Les Noirs », car les soldats du 92èmerégiment d’infanterie s’appelaient « die Schwarzen – les Noirs » en raison des uniformes noirs

    [ii] En fait, il fut impossible de fournir 1 00 000 F et les prussiens durent se contenter de 61 503 F en numéraire et des billets souscrits pour 92 000 F ; selon le maire, on prétendait que cette somme de 61 503 F « représentait celle trouvée par les francs-tireurs dans la caisse du régiment ». Par suite du traité de Francfort, les traites ne furent pas payées et annulées.

    [iii] Les propos des soldats allemands sont écrits dans le patois parlé à Brunswick. M. le docteur Bendick en a fait la transcription en allemand courant, puis en français

    [iv] Mot qui signifie « lit » dans l’argot des soldats

    [v] Werner Otto: “Geschichte des Herzoglich Braunschweigischen Infanterie-Regiments Nr 92” ; Braunschweig, 1878 ; c’est l’histoire officielle, la façon dont le régiment veut que l’histoire soit présentée.

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Figure 2 : Geschichte des Braunschweig Infanterie-Regiments n°92 Brunswick 1903

    Le 21 novembre au matin, le détachement du général von Diringshofen se réunit à une demi-heure à l’ouest d’Arc-en-Barrois et continua sa marche jusqu’à Boudreville ; l’état-major du régiment et le premier bataillon étaient cantonnés à Dancevoir, les 6e et 7e compagnies à Boudreville et le bataillon de fusiliers à Veuxhaulles.

    Le soir même, eut lieu la réunification entre les deux compagnies du régiment, qui avaient été précédemment détachées à Chaumont, avec la batterie de Brunswick et plusieurs colonnes qui s’étaient mises en marche le matin, depuis Chaumont, et dirigées directement vers Boudreville.

    Ce détachement, qui comprenait le commandant de division, a rencontré à Châteauvillain quatre compagnies du bataillon de la Landwehr Unna, un escadron du 5e régiment de hussards de réserve et une division de convalescents du XeCorps, qui avaient été mis en garnison à Châtillon, mais qui avaient été attaqués le matin du 19 novembre par des francs-tireurs et, comme les habitants apportaient une aide active aux colonnes d’invasion, ils furent contraints d’évacuer avec de grandes pertes.

    La garnison avait repris possession de la ville l’après-midi même, après l’arrivée du détachement de convalescents et elle avait également reçu des renforts bienvenus d’une nouvelle compagnie de secours, mais la nouvelle qu’il y avait des forces ennemies importantes en marche sur Châtillon a décidé le commandant du bataillon à déménager à Châteauvillain, le 20 novembre.

    Les récits de capture et d’assassinat d’un grand nombre d’officiers dans leurs quartiers ne laissait aucun doute sur le fait que les francs-tireurs avaient agi en plein accord avec les habitants [i]

    Le but de la marche du 22 novembre était, pour toutes ces divisions, Châtillon.                                           

    Le commandant de la division a réuni à 10 heures du matin à Courban les troupes de la Landwehr et l'ensemble du détachement, qui devait suivre le Xe corps d'armée.

    Il s'agissait d'un escadron du 16e régiment de Dragons, d'une compagnie du génie, du 2e bataillon du 17e Régiment du Brunswick (4 batteries) et d'un détachement médical.

    Y sont attachées une colonne de munitions d'infanterie et d'artillerie, une colonne de provisions et une colonne d'avoine (plusieurs centaines de chariots).

    De Courban, la marche s’est poursuivie vers Châtillon, avec des mesures de sécurité pour tout le détachement, sans que l'ennemi ait été aperçu, et cette ville fut atteinte à 3 heures de l'après-midi.

    De fortes sentinelles ont été immédiatement postées de tous les côtés, et les détachements se sont regroupés étroitement.

    La ville était désertée par un grand nombre de ses habitants, de nombreuses maisons étaient complètement vides, et les propriétaires avaient dû fuir en toute hâte peu avant l'arrivée du détachement.

    Si la conscience de culpabilité parlait déjà, les traces des atrocités commises dans les quartiers contre les citoyens, qui n'avaient pas encore été effacées, parlaient encore plus clairement.

    On a trouvé des flaques de sang dans les lits, des cadavres cachés sous la paille dans les écuries, partout dans les logements des officiers, où les francs-tireurs avaient pénétré ou s’étaient mis en embuscade dans la ville, signes des combats les plus acharnés.

    Le commandant de la division, ayant constaté les faits, a immédiatement décrété les punitions les plus vigoureuses.

    Un tribut d'un million de francs fut imposé à la ville, le maire et un grand nombre de citoyens respectables de Châtillon furent pris et gardés comme otages par les troupes.

                                                           Malheureusement, cependant, à la suite des impressions qu'ils avaient reçues à Châtillon, le moral des soldats de la Landwehr s'était tellement échauffé, de sorte que des excès n'ont pu être entièrement évités et que des châtiments ont été infligés à la ville, ce qui n’était pas intentionnel.

    Des incendies se sont déclarés en plusieurs endroits, brûlant les maisons des habitants soupçonnés de collaboration ; les volets, les portes et les fenêtres ont été brisés, et ce n'est que grâce à l'intervention énergique du commandant de la division que les excès n'ont pas pris des dimensions encore plus grandes.

    Le 23 novembre, le détachement reste à Châtillon, car le général von Kraatz doit prendre les dispositions nécessaires pour protéger à l'avenir la garnison, qui doit être réinstallée, contre des incidents similaires à ceux du 19 novembre.

    Le châtiment subi, les représailles, l'avertissement catégorique adressé à la ville ont vraisemblablement été suffisants pour dissuader les habitants de participer à nouveau.  

    Cependant, le hasard qui a conduit les troupes de la Landwehr, destinées à occuper Ravières, à Châtillon dans l'après-midi du 23 novembre a été la bienvenue.

    Le commandant de la division lui a ordonné qu'elle renforce d'abord la garnison de Châtillon et ne se rende pas à sa destination initiale, mesure qui semblait d'autant plus nécessaire que cette troupe avait, elle aussi, rencontré des francs-tireurs ennemis lors de la marche de Bar sur Seine à Châtillon, près de Plaines ; ceux-ci, cependant, furent très vite obligés de dégager la route, mais apportèrent néanmoins une nouvelle fois la preuve de la proximité de nombreuses patrouilles ennemies.

    La nouvelle de la bataille a entraîné la mise en alerte de l'ensemble du détachement à Châtillon vers 2 heures de l'après-midi, mais peu de temps après, le commandant de la division a ordonné aux troupes de rentrer dans leurs quartiers et n'a autorisé que deux compagnies de fusiliers de Brunswick à se joindre aux troupes de la Landwehr.

    Grâce à ces renforts, lorsque le détachement du général von Kraatz se dirige vers la Loire le 24 novembre, 7 compagnies de Landwehr et 1 ½ escadron de réserve de Hussards restèrent en garnison à Châtillon.

    Le détachement de convalescence était attaché au 1er bataillon du régiment de Brunswick et devait être transféré au Xe Corps.    

    Dans ce récit, selon Otto, ce sont les troupes de la Landwehr, de Unna en particulier, qui, revenues à Châtillon, veulent venger leurs camarades morts le 19, alors que le général von Kraatz a cherché à discipliner la Landwehr de Hamm.

     Enfin, le sous-officier Haslind, du 16e régiment de Landwehr, bataillon Unna, 1ere compagnie (et donc qui se trouvait à Châtillon le 19), fit parvenir au journal, le « Westfälischer Anzeiger », une lettre datée du 25 novembre, publiée dans l’édition du 3 décembre 1870 [ii] :

    Comme il était clair à l'évidence que beaucoup de citoyens de Châtillon, ou du moins une partie d'entre eux, avaient fait cause commune avec les Francs-tireurs, une contribution de guerre d'un million de francs fut imposée à la ville par notre commandant de régiment, somme énorme pour une ville de 5 à 6 000 habitants.

    Jusqu'à ce que cette somme soit payée, 6 des citoyens les plus distingués ont été arrêtés comme otages, et la ville a été menacée d'être incendiée si des scènes telles que celles du 19 novembre se répétaient.

    Jusqu'à présent, nous n'avons pas été inquiétés, car Menotti Garibaldi a été informé que nous avions reçu des renforts [iii]

    Le pauvre Châtillon a entre-temps terriblement payé pour avoir été le théâtre des tristes scènes du 19 novembre.

    Le 21 novembre, les bataillons de Brunswick, qui s'appellent fièrement "la brigade noire" (probablement à cause des jupes noires avec des ficelles foncées), sont passés par ici ; ils étaient cantonnés dans la ville tandis que les nôtres étaient sur des postes de campagne.

    Ces gens auraient eu une réputation redoutable parmi les habitants de Châtillon par suite d’actes de vengeance…

    Parmi les maisons incendiées, on trouve une charmante villa appartenant au maire de la ville, qui, avec sa collection de tableaux et autres meubles, valait certainement 1 million de francs.

    Le pauvre Maire était notre prisonnier pendant l'incendie et il est en libéré depuis hier, après qu'aucun fait suspect n'a pu être retenu contre lui, malgré toutes les enquêtes.  

    Cette dévastation est d'autant plus regrettable qu'au moins la quatrième partie de notre équipage a été sauvée le 19 novembre par des citoyens locaux qui ont sacrifié leur propre vie ; Schlottmann (de la fabrique de crayons de Hobrecker) fait partie de ces derniers.

    Il est touchant d'entendre la peur que les citoyens locaux ont endurée pour nos soldats cachés.

    On a le cœur qui se retourne quand on se promène dans les rues du quartier.

    La plupart des habitants ont fui et la ville, par ailleurs belle et certainement riche, présente maintenant un tableau terrible.           

     Ici, c’est un soldat de la Landwehr qui n’a pas participé aux incendies et aux pillages et semble accuser les hussards noirs de Brunswick, alors que la Landwehr n’était pas cantonnée en ville.

     Il existe également des témoignages de Châtillonnais sur ces journées.

    En 1885, l’inspecteur primaire Lucien Gaudelette, à partir des témoignages envoyés par les instituteurs du département de Côte d’Or, édita un petit livre intitulé : « histoire de la guerre de 1870-1871 dans la Côte d’Or » [iv] :   

     Le 22 novembre, Châtillon fut de nouveau envahi par un régiment de soudards de Brunswick  qui pillèrent la ville pendant plusieurs heures, forçant les habitants à illuminer leurs maisons, s’emparant à titre d’otages des principaux citoyens pour répondre de la vie de leurs officiers faits prisonniers, enfin menaçant la ville d’un bombardement si une somme considérable ne leur était pas versée et si leurs officiers ne leur étaient pas rendus.

    Le Maire, M. Achille Maître, fut durement maltraité, puis emmené sous escorte dans la direction de Chaumont, enfin ramené à Châtillon, non sans avoir reçu force coups de plat de sabre et de crosse de fusil ; son château, construit par le maréchal Marmont, fut en partie incendié ; ses troupeaux devinrent la proie du vainqueur qui, néanmoins se décida à les lui payer ultérieurement quand il fut établi que ce magistrat n’avait point préparé l’attaque des francs-tireurs.

    Le premier témoignage direct est celui d’un adolescent, Léon Légey (âgé de 16 ans en 1870), qui a tenu son journal et l’a publié longtemps après [v].

     

    [i] Pour Otto Werner, selon le récit fait par les soldats de la Landwehr, il n’y a pas de doute que les habitants de Châtillon ont aidé les garibaldiens

    [ii] Le « Westfälischer Anzeiger » est un journal créé en 1850, à Hamm, en Westphalie (en Allemagne) ; en 1866, paraissaient trois numéros par semaine

    [iii] En fait, il s’agit de Ricciotti Garibaldi

    [iv] « Histoire de la guerre de 1870-1871 dans la Côte d’Or », par Gaudelette ; Ropiteau, Dijon ; il sera fait une autre édition, augmentée et avec gravures (Lecène et Oudin, Paris)

    [v] Légey Léon : « Châtillon-sur-Seine pendant la guerre de 1870-71 ; souvenirs d’un enfant de Châtillon » ; Châtillon, 1899. Il a peut-être eu l’idée de publier son livre après le passage de Dormoy qui, pour écrire ses « Souvenirs d’avant-garde », publiés en 1887, avait réuni les châtillonnais au théâtre et formé un « comité d’études », afin de recueillir un « dossier de l’invasion », aidé par le maire de l’époque, le docteur Boutequoy. Louis Latzarus en fera un compte-rendu dans « le Figaro »

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Figure 3 : Léon Légey : souvenirs d'un enfant de Châtillon 1898

    Voici l’extrait concernant les 22, 23 et 24 novembre :

    22novembre :                                                                                                            Arrivée de l’armée de Brunschvick [i] (Chasseurs et Hussards de la Mort) -Pillage de la ville-prise de 125 citoyens de Châtillon comme otages.  

    L’armée de Brunschvik fut annoncée par 100 dragons envoyés en éclaireurs ; ceux-ci entrèrent à Châtillon la carabine au poing, firent le tour de la ville, l’inspectèrent et retournèrent ensuite rendre compte de leur mission.    

                                                                             Une heure après, une nuée de sauvages, sous le commandement du général de Kraatz, arrivaient en foule sur la place de l’Hôtel-de-Ville en poussant des hurlements semblables à ceux de bêtes féroces et menaçant de leurs sabres tous les citoyens qui les regardaient circuler ; ils étaient suivis de deux batteries d’artillerie et d’une nombreuse cavalerie.

    Les officiers placèrent d’abord leurs soldats dans les habitations selon leur apparence et leur donnèrent ensuite la liberté de faire ce qu’ils voudraient, ce dont ils usèrent avec beaucoup de rigueur.  

                                                                                 Alors commença le pillage qui dura jusqu’au lendemain, à midi, heure fixée par le chef de ces bandits ; enfin, pour remercier les habitants de la bonne réception qu’ils leur faisaient (non par affection, mais par crainte), ils les emmenèrent le soir dans les casernements, leur disant que le capitaine de leur compagnie les demandait et qu’ils reviendraient aussitôt après ; mais, arrivés là, ils ne virent que des soldats qui étaient ivres et irrités.

    Jeunes et vieux, riches et pauvres, passèrent ainsi entre les mains de ces brutes et furent obligés de coucher sur des planches qui se ressentaient encore de leurs orgies ; ils usèrent du même stratagème pendant la plus grande partie de la nuit et firent même lever de leur lit des vieillards à qui ils ne donnèrent seulement pas le temps de se vêtir convenablement.                     

    Ce même jour, retour de M. A. Maître.  

    23 novembre :                                                                                                                        Les Prussiens amènent leurs prisonniers à la sous-préfecture et, sur l’ordre du colonel, les conduisent dans les maisons situées près de la gare, où ils mettent des sentinelles à chaque porte, avec la consigne de ne laisser sortir personne et donnent seulement aux femmes de la ville la faculté d’apporter la nourriture des prisonniers ; ceux parmi eux qui obtiennent la permission de sortir pour satisfaire leurs besoins sont même gardés par des soldats qui les empêchent de s’éloigner à plus de dix mètres.                                                                                                                 

    Dans cette journée, les Prussiens mettent le feu à trois maisons situées à l’angle de la rue de Chaumont et de la rue de l’Abbaye, dans lesquelles trois de leurs soldats et un officier avaient été tués en essayant de se défendre.  

    Le pillage qui a duré jusqu’à midi et qui a causé de grandes pertes à la ville, a été encore suivi de la capture d’une partie des habitants…

    24 novembre : 

                                                                                                                                     Prise de vingt-cinq autres habitants que les Prussiens conduisent vers les autres otages…

    Les femmes allèrent trouver le colonel, les unes pour réclamer leur mari et les autres leur père ou leur frère, mais ce véritable soudard fut inébranlable, il les renvoya toutes avec brutalité et alla trouver ensuite les prisonniers qu’il accusa d’avoir assassiné ses soldats et qu’il traita de la façon la plus infame.                                                                                                        Le même soir, incendie du château Marmont…

    25 novembre :                                                                                                           Journée triste et cruelle pour les otages qu’on menace de fusiller, les rues de la ville sont désertes, on ne voit que quelques femmes affolées qui portent des vivres aux leurs, et des pleurs en fait de consolation ; on n’aperçoit aucun homme, car ceux qui restent, et ils sont peu nombreux, se cachent le mieux possible et évitent de se montrer.  

    Le tantôt, départ de l’armée de Brunschvik et installation d’une nouvelle garnison…

    Si intéressante soit-il, ce récit semble comporter quelques inexactitudes ; les troupes de Brunswick sont reparties le 24 au matin, et les incendies n’ont pas été allumés le même jour.

     

    Le deuxième récit est celui d’Achille Maître, le maire de Châtillon (âgé de 52 ans en 1870) [ii] :

    Vers trois heures de l’après-midi (le 20 novembre), l’ennemi, se croyant probablement trop faible pour résister à une nouvelle attaque, quitta Châtillon pour se rendre à Châteauvillain.

    Tous les otages avaient été rendus à la liberté, sauf le maire, Maupin et quatre autres habitants.

    Ces six prisonniers furent emmenés par les Prussiens.     

                                     Pendant deux jours, je m’attendis à être fusillé ; mais, ne voulant rien laisser aux ennemis, j’avais donné ma bourse, mon portefeuille et mes clefs à M. Terrillon, l’un des otages.

    Arrivés à Châteauvillain, les officiers me firent manger avec eux et coucher à l’hôtel, dans une chambre à côté de la leur.                                                                                                          Le 21 novembre, il y eut à Châteauvillain une grande concentration de troupes de toutes armes, avec une nombreuse artillerie.

    On partit dans l’après-midi pour aller coucher à Latrecey.

    Le maire, monté dans une charrette, traversait les rangs des soldats.

    Ceux-ci, qui avaient été excités par leurs officiers, criaient : Capout Châtillon! et, se montrant le maire, lui disaient : Canaille ! Chassepot! etc.

    Je croyais, en effet, à la fin de la bonne ville de Châtillon.

    Elle ne pensait guère à se défendre pourtant, et n’était certes pas de force à résister à l’avalanche humaine qui allait fondre sur elle.

    Quant aux officiers, ils étaient polis vis-à-vis de moi et me faisaient dîner avec eux à Latrecey.

    Inquiet sur le sort dont Châtillon était menacé, je mangeais peu.

    Les officiers me demandèrent pourquoi : C’est, leur dis-je, parce que vos soldats veulent détruire Châtillon !

    L’un d’eux, me prenant à part, me dit : Rassurez-vous, notre intention n’est pas de détruire Châtillon ; seulement, si les Garibaldiens occupent la ville, nous ne ferons pas tuer nos soldats dans une guerre de rues.

    Nous bombarderons la ville, et nous la brûlerons, si c’est nécessaire, pour chasser l’ennemi.

    Cette perspective m’effrayait peu, attendu qu’il était certain que Ricciotti Garibaldi n’oserait pas se mesurer avec des troupes trente fois plus nombreuses que les siennes.

     

    [i] Dans le texte ; Léon Légey écrit toujours Brunsvick, en non Brunswick

    [ii]  Maître Achille : « Châtillon pendant la guerre, souvenirs de M. Achille Maître » ; Châtillon, 1888

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Figure 4 : Achille Maître : Châtillon-sur-Seine pendant la guerre ; Tours, 1902 (2e édition)


    Le 22 novembre, les colonnes prussiennes reprirent leur marche ; les soldats, de plus en plus animés à la haine et à la vengeance, se montraient menaçants.  

    De nouvelles troupes, arrivant par la route de Bar-sur-Aube, rejoignirent la colonne principale avant d’entrer à Courban.  

    Toute cette multitude arriva à Châtillon dans l’après-midi.

    L’entrée en ville fut sinistre et effrayante.

    Tous les magasins et beaucoup d’habitations privées furent livrées au pillage, principalement dans la rue Saint-Jean et le quartier haut de Chaumont, habité surtout par des pauvres.

    L’ennemi avait supposé, bien à tort, que cette partie de la population était sympathique aux Garibaldiens et avait favorisé l’attaque du 19 novembre.

    Or personne, en ville, n’avait eu connaissance des projets des francs-tireurs.               

    Les Prussiens mirent le feu à deux maisons situées à l’angle des rues de Chaumont et de l’Abbaye, et dans lesquelles avaient été tués des soldats et un officier, qui avaient voulu se défendre.

    Le feu se communiqua à une maison voisine et la détruisit également, mais contre le gré de nos ennemis, qui travaillèrent eux-mêmes à éteindre l’incendie…          

     Le 24 novembre, je passai devant un conseil de guerre.

    Il me fut facile de prouver que l’attaque des francs-tireurs, qui ne pouvait manquer d’avoir pour la ville les conséquences les plus funestes, n’était pas de mon fait, et je fus renvoyé absout…


    Le maire rapporte aussi la déclaration de M. Barrachin, propriétaire d’une importante maison en haut de la rue du Bourg-à-Mont :  

     Un des faits qui avait particulièrement irrité les Prussiens dans le combat de Châtillon, avait été la mort du major d’Alvensleben (installé chez moi depuis le 16).

    Vers onze heures (le 19), six cavaliers prussiens s’introduisent dans ma cour.

    Le sous-officier qui les dirige s’avance vers moi et, me menaçant de son sabre, s’écrie : Monsieur, mon officier vient d’être tué à votre porte.

    Nous ne l’oublierons pas !

    Il y a des maisons à Châtillon qui seront en cendre demain.

    Dans la nuit, deux soldats prussiens viennent faire une perquisition chez moi.

    Le 22, cinquante soldats des chasseurs de la mort enfoncent la porte par laquelle le major était sorti et envahissent mon jardin, exigeant qu’on les loge, et déclarant qu’ils étaient envoyés à Châtillon exprès pour brûler la ville et ma maison en particulier.

    Tout s’est borné chez moi au pillage de ma cave et au vol de quelques objets.     

    Il n’en fut pas de même pour les maisons à l’angle de la rue de Chaumont (rue Docteur Robert) et de la rue de l’Abbaye.

    Le sous-préfet Arthur Leroy a pris des notes, rédigées en style télégraphique, pour en faire probablement un rapport plus tard, mais sans date précise   :

    …La ville est consternée ; des menaces d’incendie ont été faites à plusieurs reprises par les officiers et les soldats ; de nombreuses scènes de violence ont eu lieu contre les particuliers ; une partie des habitants émigrent, malgré les efforts des autorités pour les retenir ; le mobilier et les bureaux de la sous-préfecture ont été saccagés, les archives dispersées, les serrures forcées, les portes, les meubles, brisés.

    Tels sont les actes de vandalisme qu’il importe de faire connaître à la honte des armées prussiennes…

                    Incendie : maison Massua .

    Un chef, sur le balcon Chapuis, interpelle quelques citoyens se rendant au feu ; l’un, qui criait « au feu », est arrêté par la patrouille.

    Les autres (M. Leroy, M. Bognier, M. Munier), obligés de rebrousser chemin. « Rentrez chez vous, rebroussez chemin, criait le chef au balcon, vous troublez la tranquillité publique ».

    Seconde nuit d’incendie : la maison Millot-Gradot était brûlée ; il s’agissait de protéger maison Dusseuil ; les soldats allemands faisaient manœuvre pompe.

    Un de leurs chefs paraissait mettre bonne volonté à éteindre, mais les soldats se sont débandés, l’incendie incomplètement éteint…

    Cinq citoyens châtillonnais étaient seuls présents.

    Terreur des arrestations empêchait les citoyens de porter aide, on ne pouvait d’ailleurs ni crier au feu, ni battre la caisse, ni sonner tocsin.

    Maison Dusseuil, qui pouvait être parfaitement garantie, a brûlé.

    Ce n’est que le 24 dans la matinée, que l’incendie a été complétement éteint .


        Si les troupes du général von Kraatz-Koschlau partirent le matin du 24 novembre, un nouvel incendie eut lieu le soir, celui du château Marmont, habité par le maire, M. Achille Maître.

    Léon Légey écrivit à ce sujet:                          

     Le même soir (le 24), les Prussiens, non encore satisfaits de leurs exploits, mirent soi-disant par accident le feu au château de M. A. Maître et firent même prisonniers une partie de ceux qui vinrent pour l’éteindre.

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon, un notule historique passionnant de Dominique Masson.

    Figure 5 : les prussiens posant devant le "château Marmont" incendié (collection Dominique Masson)

     Le maire en fit un récit différent :                                                                                     

    Lors du retour de Châteauvillain,250 soldats et 12 officiers s’étaient installés pendant 40 heures au château.

    Ils pillèrent toutes les réserves et provisions de bouche et brisèrent plusieurs glaces.

    Ils détériorèrent aussi les tentures et les boiseries derrière lesquelles ils pensaient trouver des cachettes.

    On fut constamment obligé de pourvoir à leurs besoins.

    Nuit et jour, on faisait la cuisine.

    C’est ainsi qu’une cheminée, surchauffée, communiqua le feu à des solives et arrière-couvertes non apparentes de l’étage supérieur.

    Tous les officiers et soldats évacuèrent le château le 24 à sept heures du matin.

    Il ne resta qu’une ambulance de dix hommes …

    Aussitôt après le départ des ennemis, on avait balayé toutes les pièces et enlevé les ordures qu’ils y avaient laissées.

    Plusieurs inspections minutieuses furent encore passées par les habitants du château.

    Rien ne faisait soupçonner la présence du feu qui, cependant, couvait sous le plancher.

    On alla se coucher.

    Vers une heure du matin, nous fûmes réveillés par la fumée.

    Le château était en feu.

    Je me précipitai dans l’escalier conduisant aux mansardes pour aller éveiller deux servantes qui se sauvèrent à demi vêtues.

    Il fallait se hâter pour ne pas être asphyxié.

    Je descendis ensuite pour prévenir les soldats de l’ambulance.

    L’incendie avait heureusement éclaté dans l’aile nord du château et le vent soufflait du midi.

    Cette circonstance nous permit de sauver la partie sud.

    On se mit à l’œuvre.

    Quelques hommes accoururent avec une des pompes de la ville, ainsi que beaucoup de femmes qui firent la chaine.

    Les hommes qui voulaient venir étaient arrêtés par les Prussiens.

    On abattit une partie de la toiture de la façade pour faire la part du feu.

    Le jet de la pompe fut dirigé avec adresse et intelligence et, le 25, au petit jour, on était maître du feu.

    Mais les deux-tiers du château et la presque totalité du mobilier furent brûlés…

    Le sous-préfet de Châtillon, Arthur Leroy, ajoute :  

                                                                         Au château, cinq commencements d’incendie éteints.

    On suppose feu exagéré dans cheminée, a gagné poutre.

    On s’étonne que l’incendie ait pris de suite si grandes proportions.

    Citoyens ne pouvaient être prévenus.

    Secours insuffisants.

    Une seule pompe.

    Pas de pompiers.

    Ménard, chef d’équipe, fort dévoué et intelligent, dirige.

    Tuyaux avaient été mis hors de service par coups de sabre prussiens…

    Pendant incendie château, hurlement de joie des malades et blessés de l’hospice [i].

    Une lettre de M. Bourceret, écrite 57 ans plus tard et adressée à M. Lagorgette, relate des événements concernant la bibliothèque publique et le musée :                                         

    Après le passage des Garibaldiens à Châtillon, par une froide nuit de décembre [ii], j’ai conservé le triste souvenir d’avoir été réveillé par de forts coups frappés à notre porte.

    Un détachement des terribles « Hussards de la Mort », venant prendre gîte dans la salle de l’école communale, venaient réquisitionner chez nous des seaux et autres objets divers pour améliorer leur campement.

    Je n’ai pas besoin de vous dire qu’au lever du jour, je suis sorti bien vite dans la rue pour voir ce qui se passait.

    De grands feux étaient allumés, alimentés du bois provenant de l’école et du voisinage ; une grande vitrine, qui contenait des livres, avait été brisée, les livres étaient ou brûlés ou souillés.

    Et, chose plus grave, des soldats s’acharnaient à enfoncer les portes du musée.

    Mon père, sans perde de temps, alla prévenir notre cousin Charles Ronot, conservateur du musée [iii].

    Heureusement, chez ce dernier, se trouvait un officier allemand qui, mis au courant de ce qui se passait rue Docteur Bourée, accompagna Charles Ronot et mon père puis, ayant vu, donna l’ordre de faire réparer les deux portes éventrées (celle du haut de l’escalier conduisant à la bibliothèque n’avait pas encore été ouverte).

    Ce même jour, le commandant de la Place rédigea une lettre en allemand qui fut collée sur la petite porte et un peintre de la ville, le soir même, traçait en grosses lettres, au-dessus de la porte cochère, le mot « Bibliotèque », n’ayant, d’après ce qu’il a toujours dit, trouvé assez de place pour mettre l’h.

    Pendant toute l’occupation allemande, grâce à la pancarte, le musée et la bibliothèque ont été respectés.

    L’école communale a servi de caserne, le collège, pendant quelques semaines, en servit lui aussi.

    Par la suite, il fut converti en ambulance.

    Tous ces témoignages, surtout du côté allemand, révèlent la difficulté de savoir à qui attribuer les pillages et les incendies à Châtillon et montrent que la vérité historique est parfois difficile à établir.

     [i] Ces soldats prussiens étaient soignés par les sœurs, dont l’une mourra à la tâche

    [ii] Il se trompe de quelques jours

    [iii] Charles Ronot (1820-1895), né à Belan-sur-Ource, licencié en droit et artiste peintre, fut conservateur du musée et bibliothécaire, de 1867 à 1873. Il fut nommé inspecteur de l’enseignement des beaux-arts en 1878, puis directeur de l’Ecole nationale des beaux-arts de Dijon en 1880.

    Les conséquences de l'attaque du 19 novembre 1870 à Châtillon

    Figure 6 : proclamation du Maire de Châtillon après le départ des troupes de Brunswick AMC4H11

     (Dominique Masson)

     Remerciements à monsieur Günter Wiesendahl, historien, à Hamm ; à monsieur Rainer Bendick, docteur en histoire, conseiller pédagogique du Service pour l’Entretien des Sépultures Militaires Allemandes, à Brunswick ; et à madame Antoinette Bongard, professeur d’allemand, qui a assuré les traductions.

     


  • Commentaires

    1
    bridget
    Jeudi 4 Novembre 2021 à 11:28

    Merci encore pour tout votre travail avec tous les détails joints.

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