• Dominique Masson nous éclaire aujourd'hui sur une guerre d'Algérie...qui eut lieu en 1870.

    Déjà à cette époque, alors que le second Empire venait de s'effondrer, des mutineries d'indigènes eurent lieu...un prélude à n'en pas douter à ce qui allait se passer au XXème siècle...

    Merci à Dominique Masson pour ce passionnant notule d'histoire.

     Notule d’histoire :

    une autre guerre en 1871 : la guerre d’Algérie

     

    Le 4 août 1870, devant Wissembourg, le général Douay, sous les ordres de Mac Mahon, surpris par l’armée du prince impérial de Prusse, dut livrer combat.

    Les régiments algériens montèrent à l’assaut et les Turcos firent des prodiges, couvrant la ville pendant la défaite et sauvant du désastre le gros de l’armée française.

    Le 6, pour couvrir la retraite de Mac Mahon, 1700 tirailleurs algériens attaquèrent à la baïonnette et reprirent des zones perdues.

    Quand ils se retirèrent sous la mitraille ennemie, ils laissèrent sur le terrain 800 hommes.

    Leur résistance acharnée permit la retraite sur Reichshoffen.

    Mais, lorsque fin décembre, Gambetta, ministre de la Guerre, donne l’ordre de mobiliser les spahis d’Algérie et de les embarquer aussitôt à destination de Marseille, ceux d’Aïn Guétar, près de la frontière tunisienne, se mutinèrent.

    Ils refusaient d’aller combattre en Europe, où nombre d’entre eux avait laissé leur vie.

    Ces mutineries sont le prélude à la révolte qui éclata en janvier 1871 en Algérie.

    La conquête de l’Algérie par la France a commencé à partir du 14 juin 1830, date à laquelle les Français débarquent en Algérie, suite à un incident diplomatique, le coup d’éventail.

    En 1848, après la reddition d’Abd El Kader, l’Algérie est officiellement proclamée territoire français.

    Du Ier septembre 1864 au 4 septembre 1870, le maréchal Mac Mahon y est gouverneur général.

    La guerre d'Algérie

    (figure 1 : Voyage de Napoléon III à Mostaganem le 20 mai 1865)

     Napoléon III, assez idéaliste, voulait préparer l’égalité pour les indigènes et endiguer les ambitions des colons ; il permettra aux indigènes d’acquérir des terres et le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 fixe les conditions d’accession des musulmans et des juifs à la citoyenneté française.

    L’empereur lui-même fait deux séjours en Algérie, en septembre 1860 et du 3 mai au 7 juin 1865.

    En 1866, on dénombre 22 600 immigrés contre 265 070 indigènes.     

     Dès 1830, des unités d’infanterie de zouaves sont créées au sein de l’armée d’Afrique.

    En 1841, se crée en Algérie des bataillons de tirailleurs indigènes, surnommés Turcos après la guerre de Crimée, et qui intégreront la Garde impériale en 1863.

    Dans le même temps, un corps de cavaliers indigènes est créé sous la dénomination de spahis.

    Au début de la guerre contre la Prusse, trois régiments de tirailleurs algériens sont envoyés en France où ils combattent vaillamment, tandis que d’autres bataillons, présents au sein de la Garde impériale, rejoignent directement le front.

    La guerre d'Algérie

     (Figure 2 : Exemple de dépêche envoyée aux Préfets et au Gouverneur d'Algérie AMC 4H11)

    Avec la proclamation de la République en France, la situation va être confuse en Algérie.

    L’annonce de la chute de l’Empire, le 4 septembre, va provoquer des manifestations révolutionnaires contre le second Empire, à Oran, Orléansville ou Alger, et les colons vont chercher à en profiter.

    Ceux-ci sont, en partie, des déportés en Algérie après la répression de la Révolution de 1848, ou à la suite du coup d’Etat napoléonien du 2 décembre 1851 ou de l’attentat d’Orsini de 1858.

    Une association républicaine fut créée à Alger, comprenant, entre autres, des proudhoniens, des fouriéristes et des néojacobins ; une section de la Première Internationale y fonctionnait également.

    Mais le rôle dirigeant parmi les colons est assuré par des démocrates petit-bourgeois.

    Des comités révolutionnaires, des clubs démocratiques firent leur apparition dans plusieurs villes d’Algérie.

    Mais ces colons communards réclamaient une administration civile, dont ils seraient les seuls maîtres, rejetant le gouverneur militaire et risquant de faire peser sur les Algériens une domination encore plus dure que celle de l’armée coloniale.

    Pour cette gauche blanche, la République sociale et démocratique devait se faire par les Européens et pour les Européens, en renforçant la domination coloniale qui déshumanisait les colonisés algériens, invisibles à leurs yeux.

    Pour diriger l’Algérie, le Gouvernement de la Défense nationale nomme Jean-Louis Marie Ladislas Esterhazy, à la place de François Louis Alfred Durrieu, gouverneur intérimaire d’Algérie du 27 juillet au 24 octobre 1870.

    Arrivé à Alger le 23 octobre, il subit une insurrection populaire, appuyé par le conseil municipal d’Alger, qui l’empêcha de prendre ses fonctions en envahissant le palais du gouverneur ; il fut obligé de démissionner le 28 octobre.

    Le comité républicain d’Alger avait, en octobre, organisé des élections municipales et c’est Romuald Vuillermoz qui s’était autoproclamé maire ; c’était un avocat, déporté à la suite du coup d’état de 1851.

    Il s’appuie sur une Garde nationale, en fait une milice, composée essentiellement d’Européens.

    Gambetta, depuis Bordeaux, l’accuse de faire le « dictateur » et refuse de reconnaître Vuillermoz comme commissaire civil extraordinaire par intérim.

    La République préfère nommer elle-même des commissaires extraordinaires (Charles du Bouzet d’abord, du 16 novembre 1870 au 8 février 1871, puis Alexis Lambert, du 8 février au 10 avril 1871).

    Alger proclame la Commune le 8 février mais, bien qu’ayant plus tard un représentant à la Commune de Paris, celle-ci n’a pas les mêmes aspirations que les communards de la métropole, et le pouvoir des colons ne dépassait pas le littoral.

    C’est aussi le 8 février que l’Algérie va élire le général Garibaldi comme député (il fut aussi élu à Paris, dans les Alpes Maritimes et en Côte d’Or).

    Victor Hugo intervint à l’Assemblée, Nationale, débattant de la décision d’invalider l’élection de Garibaldi à l’Assemblée d’Alger, le 8 mars 1871, sous prétexte qu’il n’était pas français, bien que né à Nice ; chahuté, il donna sa démission.

    Face à ces européens qui ne regardent que leurs intérêts, existent les invisibles algériens, mais qui recevaient les journaux de la métropole évoquant les défaites françaises et, en outre, des soldats rentraient en Algérie et décrivaient ce qui se passait en France.

    Les musulmans ont connu une sévère crise alimentaire entre 1866 et 1868, qui a laissé des traces, et les insurrections dans les Aurès et en Kabylie ont été réprimées dans le sang.

    La guerre franco-prussienne de 1870 fit souffler un nouveau vent de révolte dans toute l’Algérie et on acheta des armes, des munitions, des chevaux, agissant comme si l’autorité française avait cessé d’exister en Algérie, à une époque où la France avait dégarni de troupes le territoire algérien pour faire face à l’invasion prussienne.   

    Déjà, en 1869, le maréchal Mac Mahon avait alerté le gouvernement : Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays.

    Dès le 15 septembre 1870, le général Durrieu signalait quun mouvement insurrectionnel, impossible à prévenir et susceptible de devenir général, me paraît imminent et, avec le peu de troupes dont je dispose, je ne saurais prévoir la gravité de ses conséquences.

    Après des mouvements d’abord à Moudjebeur, le 20 janvier 1871, puis la mutinerie d’Aïn Guettar, le 23, la révolte des Spahis s’amplifia à partir du 16 mars, quand le Bachaga Mohammed El Mokrani sonna l’heure de la révolte dans la région des Bibans, le 14 mars 1871 : la guerre du Français va commencer.

    Mokrani a été déçu par la France et a subi, de 1853 à 1870, un certain nombre de vexations et d’humiliations.

    Le 15 avril, il écrit : Si j’ai continué à servir la France, c’est parce qu’elle était en guerre avec la Prusse et que je n’ai pas voulu augmenter les difficultés de la situation.

    Aujourd’hui, la paix est faite, et j’entends jouir de ma liberté… Mes serviteurs sont arrêtés… et partout on affirme que je suis insurgé… Je m’apprête à combattre.

    Aussitôt, plus de 250 tribus se soulèvent, soit 1/3 de la population de l’Algérie.

    Afin de donner une assise populaire et religieuse à sa révolte, il envoya une délégation auprès du cheikh El Haddad, qui était à la tête de la grande confrérie soufie de la Rahmaniyya.

    Le 8 avril 1871, ce dernier au marché de Seddouk, proclame le jihad.

    Le 14 avril, les révoltés sont à 60 km d’Alger.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

     Figure 3 :Attaque de Bordj Bou Arreridj par les hommes du Cheikh El Mokrani  (L'Illustration 1871)

    La République réagit en envoyant, le 29 mars, un gouverneur militaire, l’amiral Louis Henri de Gueydon, premier gouverneur militaire en Algérie de la IIIe République et la commune d’Alger va s’effacer face au danger.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

     Figure 4 :Territoires touchés par la révolte de Mokrani

    (Djilali Sari : l'insurrection de 1871 SNED Alger 1972)

     Le ministère de la Guerre décide, suite au désengagement sur le front en Europe, de l’envoi de 17 500 hommes pour réprimer l’insurrection, suivi de 4 000 hommes début avril, portant ainsi le total des soldats français en Algérie à 86 000.

    Le 25 avril, le gouverneur déclare l’état de siège.

    L’insurrection ne prendra fin qu’avec la mort de Mokrani, le 5 mai 1871 et la capture de Bou-Mezrag, frère de Mokrani, le 20 janvier 1872. 

    La répression fut sévère.

    Il y aura des condamnations à mort, des déportations en Nouvelle-Calédonie, le versement d’une contribution de guerre et450 000 ha de terres sont confisquées.

    Au regard de l’histoire, la révolte de Mokrani est la première grande insurrection contre la colonisation française.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

     Figure 5 : extrait du journal "Le petit moniteur universel" 25 juillet 1871 AMC 4H40

    La France, en Algérie, a porté ses effectifs à 86 000 hommes et a livré 340 combats.

    Si les pertes du côté algérien sont inconnues, elles s’élèvent du côté des soldats français à 2686 morts, dont la moitié de maladie.

    Nous avons relevé deux Châtillonnais décédés lors de cette guerre.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

    Figure 6 : Inscription sur le monument de Sainte Colombe sur Seine (Cliché Dominique Masson)

    Le premier est Pierre Victor Misset, né à Sainte Colombe le 12 février 1850, mort à 21 ans à l’hôpital militaire de Nemours (Ghazouet aujourd’hui).

    Il était soldat au quatrième régiment d’infanterie de marine et mourut le 10 avril 1871 ;la transcription à l’état-civil de Sainte Colombe fut faite le 12 juin 1873 (son nom est orthographié « Missey »).

    Son nom est inscrit, à gauche, sur le monument érigé au cimetière de Sainte Colombe, en 1902, par souscription publique, sous l’initiative de la 1023e section des Vétérans et de la Société de tir de l’Espérance de Sainte Colombe.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

    Figure 7 : Transcription de l'acte de décès de "Missey" à l'état-civil de Sainte-Colombe sur Seine

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

     

    Figure 8 : Monument élevé en l'honneur des soldats morts au cimetière de Sainte-Colombe sur Seine (cliché Dominique Masson)

    Le second est Alexandre Chrétien, né à Verpillières (Aube), soldat de deuxième classe au 27e bataillon de chasseurs à pied, âgé de 21 ans, mais habitant à Riel-les-Eaux.

    Entré à l’hôpital de militaire de Fort-National (aujourd’hui Larbaâ Nath Irathen), il y décéda le 29 juin, par suite de plaie par arme à feu du foie et de l’abdomen.

    Son décès sera retranscrit sur l’état-civil de Riel le 29 juillet 1873.

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

    Figure 9 : Transcription du décès d'Alexandre Chrétien à l'état-civil de Riel les Eaux

    Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie

     Figure 10 : Réponse du Maire de Riel les Eaux à la demande du maire de Châtillon sur Seine pour établir une plaque à l'église Saint-Nicolas AMC 4H42

    (Dominique Masson)

    Remerciements à Michel Massé


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  •  

    Notule d’histoire :

    A propos du livre de Léon Légey :

     « Châtillon-sur-Seine pendant la guerre de 1870-71 ; souvenirs d’un enfant de Châtillon » (Leclerc, 1899)

    A propos du livre de Léon Légey

    Dans le journal Le Figaro, du 30 août 1918, n° 242, on pouvait lire un article de Louis Latzarus :

    Deux historiens 

    Le 23 juillet 1870, un petit garçon de Châtillon-sur-Seine, dans la Côte d’Or, revenant du collège et passant devant la mairie, vit affichée sur la porte une proclamation de l’Empereur.

    Il la lut, la trouva belle et la copia sur son cahier de brouillons.

    Rentré à la maison, il la reporta, d’une écriture appliquée, sur un cahier neuf.

    « Français, il y a dans la vie des peuples des moments solennels… Je vais me mettre à la tête de cette vaillante armée qu’anime l’amour de la patrie… J’emmène mon fils avec moi, malgré son âge… Dieu bénisse nos efforts ! Un grand peuple qui défend une cause juste est invincible. »

    Quel élève de quatrième n’eût pas frémi à de tels mots. !

    En ce temps-là, les élèves de quatrième n’avaient pas de bicyclette, ne jouaient pas au foot-ball, n’allaient pas au cinéma, et quelques-uns d’entre eux seulement avaient une collection de timbres.

    Si c’était mieux ainsi, je n’en déciderai pas.

    Le fait est que celui-là, qui s’appelait Léon Légey, se mit en tête de copier désormais, aussi longtemps du moins que durerait la guerre, tout ce qu’il trouverait affiché sur la porte de la mairie.

    Les enfants, aujourd’hui encore, ont des idées singulières.

    Tout d’abord, Léon Légey ne trouva pas grand-chose.

    Et même rien du tout.

    Au bout de dix jours, son cahier ne s’était enrichi que d’une toute petite dépêche de Sarrebrück.

    Le 7 août, enfin, une autre dépêche, datée de Metz, celle-là :«...L’épreuve qui nous est imposée est dure… ».

    Mais ensuite, il ne se passa guère de jour où l’élève Légey n’eût un grand travail.

    Le ministre de l’Intérieur s’était mis à télégraphier sans relâche au sous-préfet des appels, des encouragements, des conseils et des ordres.

    Et le collégien copiait tout, sans rien mépriser, ni l’adresse, ni le « pour copie conforme ».

    C’est ainsi qu’il ne trouva pas indigne d’être conservée intégralement la dépêche suivante :

    Paris, le 9 août 1870, 3h15 du soir

    Le Ministre de l’Intérieur à MM les Préfets, Sous-Préfets et et à M le Gouverneur Général de l’Algérie

    Je reçois du Quartier Général la dépêche suivante :

    « Metz, 9 août 1h45 soir
    Rien de nouveau à signaler »

    Pour copie conforme :

    CHEVALIER de VALDRÔME

    Pour copie conforme :

    Le Sous-Préfet
    A GÉRARD

    Je ne vous cite cette vaine nouvelle que pour vous montrer par un exemple la méthode dont usait le jeune garçon.

    Rien de ce qui était affiché ne lui semblait négligeable.

    Il eût copié le Coran, si M. Chevalier de Valdrôme avait jugé opportun d’en télégraphier les versets.

    Mais déjà M. Chevalier de Valdrôme s’évanouissait.

    Avec indifférence, l’écolier copia la signature de son successeur.

    Et bientôt les odes de Gambetta remplacèrent la prose de M. Henri Chevreau.

    Vers le 13 novembre, le style changea plus encore.

    Trente dragons badois venaient d’entrer dans la petite ville, au grand galop et pistolet au poing.

    Léon Légey, qui les vit passer, écrivit aussitôt cette nouvelle sur son cahier, et puis courut à la mairie copier les barbarismes de la Commandantur :    

     « Renouvelé à la mairie de laisser réguler toute en suite tous les horloges de la ville sur celui de la gare… L’employé qui sera chargé avec cette commission est responsable à nous et sera puni qui ne fait pas son devoir.

    Ils sont déjà arrivé très souvent inconvénients ».

    Les évènements qui se bousculent viennent tous s’inscrire au jour le jour sur le mur de la mairie.

    Petits ou grands, qu’ils ne puisent émouvoir personne hors des limites de la petite ville, ou bien qu’ils fassent frémir la France entière, ils viennent s’aligner dans le cahier de l’élève Légey.

    Bazaine s’est rendu et on a arrêté la père Maupin, un septuagénaire infirme.

    Blois et Dieppe sont pris, et le major allemand a coupé d’un coup de sabre la main d’un habitant qui tendait une bouteille de vin à un prisonnier.

    Garibaldi se retire sur Autun et la commune de Châtillon doit fournir cent cinquante paires de bottes.

    Le collégien inscrit tout jusqu’au 26 février, où il copie des fautes de français qui ne donnent à rire à personne :

    "A l’impératrice-Reine, à Berlin,

    D’un cœur très mouvé, avec reconnaissance pour la grâce de Dieu, je t’annonce que sont signés au moment les préliminaires de la paix.

    A présent est encore d’attendre le consentement de l’Assemblée nationale de Bordeaux.  

    GUILLAUME"

    Le cahier était à peu près rempli. Léon Légey le ferma et retourna au collège.

                                                                 +++

    A quelque trente ans de là, comme il était devenu un honorable bonnetier, pourvu de fortes moustaches déjà grisonnantes et d’un petit ventre, on ne sait quelle idée le prit.

    Il tira de l’armoire son vieux cahier d’écolier et le porta chez l’imprimeur.

    Je crois bien qu’à cette occasion ses compatriotes firent grande dépense de cette malice narquoise qui est la marque de leur terroir, établi entre deux vignobles glorieux, et alliant la finesse champenoise à la saveur forte et drue de la Bourgogne maternelle.

    Ils ne pouvaient imaginer que des affiches mises bout à bout par un enfant puissent former un livre.

    Et c’était un livre pourtant, un vrai livre, que M. Taine eût manié avec respect.

    Il y eût sans effort, derrière l’histoire précise de la petite ville, enregistrée avec un soin vétilleux, aperçu l’histoire entière de la France, dessinée en traits espacés, mais larges et nets.

    Dieu nous donne, pour faire le récit de la guerre présente, Dieu nous donne, en quelque coin, un collégien sans présomption, copiant les affiches d’un crayon ingénu.

    Car il faut des Dangeau pour que les Saint-Simon n’oublient rien.

    Je suis d’ailleurs persuadé que beaucoup de gens dépourvus de littérature et d’esprit critique, c’est-à-dire qualifiés pour rédiger une histoire documentaire, se sont mis à l’ouvrage au premier jour de la guerre.

    Mais j’ai grand ’peur aussi que leur travail ne demeure éternellement caché et ne s’en aille finalement aux vieux papiers.

    Aucun éditeur ne l’accueillerait aujourd’hui, les événements étant trop neufs encore et trop présents à l’esprit de chacun pour que leur récit pût allécher des lecteurs.

    C’est dans quelques lustres seulement que leurs mémoires pourront briller parmi les cendres de l’oubli.

    Ainsi, on m’a conté que dans l’avenue d’Orléans vit un vieil employé retraité qui, chaque jour, après son déjeuner, prend sa canne et s’en va baguenauder par les rues.

    Il s’appelle M. L’Esprit, ce qui est un fort beau nom.

    Il s’arrête ici et là, parlant avec les petites gens, recueillant les bruits de la ville et récoltant cent petits faits qu’il épingle, le soir, sur un cahier.

    J’ai pu lire quelques pages de ce curieux ouvrage.

    Vous ne sauriez croire ce que M. L’Esprit a pu noter, à propos seulement de la crise du tabac.

    Il a copié les avis narquois ou mécontents, ou autoritaires, que les marchands placardent sur leur porte.

    Il  aregardé les fumeurs attroupés devant la boutique et entendu l’agent leur dire : « Préparez d’avance vos sous ! ».

    Enfin, il a tâché de tout voir et de tout noter, pensant que tout serait intéressant plus tard, comme Léon Légey, copiant sans ennui : « Il n’y a rien de nouveau à signaler ».

    Hélas ! que deviendront toutes les notes que nos petits-neveux consulteraient avec tant de joie ?

    Un bon conseil aux mémorialistes obscurs : qu’ils aient soin de léguer leur manuscrit, par un bon testament, aux Archives ou à la Bibliothèque Nationale.

    Plus tard viendront des historiens patentés, qui tireront de ces documents leur moelle, dessineront des portraits, brosseront des tableaux ingénieux, construiront des thèses, commenteront et philosopheront.

    Jusque-là, ce qui importe, c’est de tout garder, le plus petit fait, la plus mince réflexion, le moindre débris d’affiche.

    Le temps fera son choix, non sans récompenser d’une couronne l’observateur modeste, garçon de bureau de l’Histoire.

    Marie Louis Joseph, dit Louis Latzarus, né à Vitry-le-François le 7 août 1878, a fréquenté le collège de Châtillon et s’y est marié en 1904.

    Journaliste et romancier, il est décédé à Paris le Ier janvier 1942.Il était commandeur de la Légion d’honneur.

    Eugène Charles Léon Légey est né à Châtillon le 4 mars 1854, et décédé dans cette même ville le 8 décembre 1932.

    Il était officier de l’instruction publique.


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  • Dominique Masson nous offre aujourd'hui un superbe notule  recensant  les monuments élevés dans notre ville, en souvenir de la bataille entre Garibaldiens et Allemands en 1870, bataille devenue célèbre sous l'appellation de "Surprise de Châtillon.

     http://www.christaldesaintmarc.com/la-surprise-de-chatillon-garibaldi-un-notule-d-histoire-de-dominique-m-a204217938

    Notule d’histoire :

    Les monuments élevés aux morts de la « surprise » de Châtillon

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 1 : le monument élevé pour les garibaldiens et le monument élevé pour les allemands, cimetière Saint-Jean)

    Le 18 novembre 1889, M. Steenackers, un parisien, envoyait une lettre à la mairie de Châtillon :    

     Mon excellent ami,

    M. Fernand Xau, me demande de jeter sur le papier, pour les lecteurs de l’Echo de Paris, mes souvenirs sur le rapide et sanglant épisode de Châtillon.

    J’ai le plus grand désir de le faire ; il me semble que je m’acquitterais d’’un devoir sacré et je serais heureux de rendre hommage à votre cité si patriotique et si éprouvée en ces temps funestes.

    Mais, si le souvenir est vif de ces choses vécues, je revois tout cela un peu confusément, comme à travers la lueur crépusculaire d’un mauvais rêve.

    Surtout, ce qui s’est passé après la marche de nuit, après que nous nous fûmes séparés, près d’Ampilly, des francs-tireurs de Nice et Savoie, qui devaient attaquer d’un autre côté.

     Dès mon entrée en ville, tout se mêle un peu et je ne sais ni le nom d’une route, d’une rue, d’une place.

    Ainsi, au moment où nous pénétrions dans la ville, je me retrouvais à la dernière escouade des chasseurs du Havre (chemises rouges), et je touchais la tête de colonne des éclaireurs du Doubs en capotes grises de lignards.

    C’est en ce moment qu’une trombe de feu et de plomb passa devant nous, ricochant contre les murailles et jetant le désordre dans nos rangs surpris.

    La fusillade partit du sommet d’un haut mur à gauche et je me trouvais à cette minute précise devant une maison-à droite- qu’on me dit être celle du receveur d’octroi.

    Tandis que les éclaireurs du Doubs essayaient d’enfoncer la porte de la propriété d’où étaient partie la fusillade (je vois encore le capitaine de Gladyez, un blond à lunettes, frappant la porte à coups furieux de la hampe de son drapeau), nous entrions au pas de course, échangeant des coups de fusil avec les allemands surpris, qui se sauvaient pour rallier le quartier général à l’Hôtel de ville ou à la sous-préfecture.

    Les balles pleuvaient dru ; mon pauvre Charles était tombé et son sang m’avait éclaboussé la figure.

    Sur le trottoir, gisait, mort, un éclaireur, tombé les jambes un peu repliées, la tunique légèrement retroussée.

    On allait de l’avant.

    Dans une rue, à notre droite, on se battait dans les maisons !

    C’est là que mon ami le caporal Parnin, eût le poignet fracassé par une balle.

    Mon colonel, M. le comte de Houdetot, m’appela près de lui et nous rejoignîmes le général Ricciotti, très pâle, très calme, la moustache nerveusement tortillée, criant de toutes ses forces : Avanti !

    A un moment, sur une place ou à un carrefour, où il y avait, autant que je puis me le rappeler, une pompe ou une fontaine, une décharge nous arriva, le cheval de Ricciotti se cabra et faillit manquer des quatre pieds ; mais le général le ramassa et partit au galop avec mon commandant M. de Amone, plusieurs officiers italiens et M. de Houdetot.

    J’avais reçu dans mon képi et dans ma couverture deux projectiles-mais, plus heureux que mon malheureux jeune frère, je n’avais aucune blessure.      

    Le bruit de la fusillade avait cessé, on sonnait la retraite et de partout débouchaient des soldats amenant des prisonniers et des chevaux.

    Nous reprenions vivement la route de Coulmiers le Sec.

    On disait qu’une forte colonne du corps du général Werder, allant de Langres à Chaumont, allait arriver : nous nous attendions à être rattrapés.

    A partir de ce moment, mes souvenirs sont très précis.

    J’ai même gardé mémoire du texte de la lettre adressée au nom de Ricciotti par M. de Houdetot au chef de la colonne allemande, qui menaçait Châtillon de représailles.

    Les choses vues, vécues, m’ont beaucoup frappé au milieu du tohu bohu effrayant de cette surprise rapide comme un coup de foudre…[i]

    Après cette « surprise », le commandant allemand Lettgau s’était retiré sur Châteauvillain, tandis que les garibaldiens se dépêchaient de partir vers Dijon.

    Lorsqu’il revint, il fallut relever et enterrer les morts.

    Le 20 novembre, le colonel Lettgau, commandant de place, donnait comme ordre :

    1°, enlèvement des corps des francs-tireurs en présence d’une commission composée partie d’officiers allemands, partie de membres du conseil municipal, à l’effet de reconnaître l’identité des morts…9°, les habitants qui ont des francs-tireurs blessés chez eux devront les porter à l’hospice[ii].

     Le commissaire de police, Adolphe Edme Fauchon, et le receveur de l’hospice, Jean-Baptiste Joseph Mariotte, parcoururent les rues pour recueillir les corps et établir la fiche d’état-civil.

    [i] Archives Municipales de Châtillon sur Seine (AMC), 4 H 16

    [ii] AMC, 4 H 16

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 2 : Garibaldiens tués lors de la "surprise" de Châtillon)

    Il est difficile de connaître les noms des garibaldiens tués lors de cette bataille et on ne peut qu’avoir quelques indices.

    Le premier concerne Barral, des francs-tireurs de l’Isère, né à Chirens, en Isère [i].

     [i]Pour M. Molis, il est originaire de Saint-Geoire en Valdaine, mais peut-être que c’était son lieu de résidence.

    Il cite également parmi les morts, Raphaël, de Tullins (38210), mais le franc-tireur Barnoud indique qu’il n’a été que blessé.

    Outre les Dauphinois, il indique deux francs-tireurs des Vosges, un du Havre et un de Dôle parmi les tués.

    M. Blanchard parle de trois francs-tireurs du Havre tués, selon des sources des archives militaires françaises.

    Dormoy avait indiqué : 2 Dauphinois, 2 Vosgiens, 1 Dolois, 1 Havrais (« Souvenirs d’avant-garde », Paris, 1887)

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 3 : le journal "l'Impartial" dauphinois décembre 1870)

    La lettre de M. Steenackers donne aussi des renseignements :

     il y a juste aujourd’hui dix neuf ans que mon pauvre jeune frère Charles Pierre Steenackers tombait à côté de moi, frappé par une balle allemande, en même temps que mon brave camarade François Favré et un de nos compagnons d’armes de la compagnie des éclaireurs du Doubs, commandés par Nicolaï.

    Le médecin major Ellendorf, dans une lettre datée du 21 novembre et publiée dans le Westfälicher Anzeiger le 29, déclarait qu’il y avait eu 4 francs-tireurs tués et 12 blessés, la plupart se trouvent dans les maisons.

    En fait, il y eut en tout 8 garibaldiens tués le 19 novembre.

    Pour les prussiens, c’est ce médecin major qui s’occupa de les faire enterrer dans les jours suivants.

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (figure 4 :billet du médecin-major Ellendorf   AMC 4H42)

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 5 :tableau des morts allemands lors de l'attaque du 19 novembre 1870 , établi par Günter Wiesendahl)

    Le lieu choisi pour enterrer garibaldiens et allemands fut le cimetière Saint-Jean de Châtillon.

    Il avait été agrandi, au nord, par la vente, en 1866, d’un terrain de 133 ares 70 centiares appartenant à M. Achille Maître ; aussi, y avait-il de l’espace pour de nouvelles tombes.

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    (Figure 6 :Le cimetière Saint-Jean en 1810, cadastre napoléonien)

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    (Figure 7 :Le cimetière Saint-Jean aujourd'hui, cadastre de Châtillon sur Seine)

     Le 22 novembre 1870, il fut dû, par la commune, à MM. Coquet et Laurain, la somme de 10,50f.  pour avoir enlevé 7 cadavres, et à Coquet pour deux journées au cimetière.

    Il fallut aussi enlever les chevaux morts : il y en eut un devant la grille de M. Maître ; à l’hôtel de la Couronne ; devant chez madame Faillot ; à la Charme ; chez Lebois, marchand de faïence ; chez Malgras ; à Courcelotte ; route de Massingy ; à Massingy ; au château de M. Maître (soit 10 chevaux, à raison de trois francs par cheval, sans s’occuper de la fosse) [i].

    On trouve également dans les comptes la somme de 107, 25 f. à M. Maillé, sabotier, pour le creusement de 51 fosses pour enterrer les prussiens, les francs-tireurs et quelques pauvres, ainsi que 6 journées pour mettre de la chaux sur les tombes, ainsi que 60,75 f. à M. Barrachin, pour le creusement de 27 fosses au cimetière Saint-Jean [ii].

    [i] AMC, 4 H 18

    [ii] Etat des quittances empruntées pendant l’invasion ; AMC, 4 H 18

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    (Figure 8 : plan du cimetière Saint-Jean, établi le 20 octobre 1873, indiquant en bleu les tombes françaises et en rouge les tombes allemandes ; AMC 2M11)

    Pendant cette guerre, d’autres soldats allemands décédèrent à Châtillon et furent enterrés au cimetière Saint Jean.

    A la fin de la guerre, il y avait les tombes de 84 militaires allemands disséminées dans le cimetière : 6 tombes se trouvaient dans la partie sud, mais, au nord, à côté de 3 tombes individuelles (B, D, E), un espace d’environ 15 m sur 13, 75 m (soit une surface de 198, 59 m2) était occupé par des sépultures allemandes (A).

    L’armistice entre la France et l’Allemagne avait été signé le 15 février 1871, un traité de paix préliminaire le 26 février, confirmé au traité de Francfort le 10 mai 1871 ; la Côte d’Or est alors libérée de l’occupation allemande.

    L’article 16 du traité de Francfort stipulait que

    les deux Gouvernements, Français et allemand, s’engagent réciproquement à faire respecter et entretenir les tombeaux des soldats ensevelis sur leurs territoires respectifs.

    Une concession de 25 ans fut donnée pour les tombes des soldats prussiens, le 22 juin 1871 (emplacements n° 99-100, Nord).                                                                     

    Deux tombes cependant se démarquent.

    La première est celle du major Richard von Alvensleben, tué lors de la « surprise » de Châtillon.

    Ayant reçu une blessure mortelle alors qu’il cherchait à s’enfuir, l’empereur refusa son transfert en Allemagne.

    Le 14 avril 1871, fut prise une concession de 50 ans ; sa tombe était en pierre, couverte en lierre(emplacement n° 352, dans la partie sud).

    La deuxième est celle du lieutenant Erick Griepenkert, décédé le 6 mars 1871 ; une concession pour 25 ans fut prise le 21 mars 1871 (tombe droite à entourage de pierre, emplacement n°351, partie sud) [i], sur la demande de son père, par l’intermédiaire du major de place et adjudant de la commandantur de Châtillon.

    Pour deux tombes, marquées F et G sur le plan de 1873, il est indiqué qu’elles portent des inscriptions en allemand ; ce sont peut-être les tombes d’Alvensleben et de Griepenkert [ii].

    [i] AMC, 1 M 36

    [ii] Il y aurait eu écrit sur la tombe du major Alvensleben : « Hier richt Richard von Alvensleben major in Regiment garde du corbsgeb. 10 novembre 1828, gefallen für Koënig und Vaterland am 19 novembre 1870 bei Châtillon », selon Ponsignon Jean, « le général Riu ou la vie étonnante d’un militaire hors normes » ; Cahiers du Châtillonnais, n° 225

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (figure 9 :Billet du major de la commandantur de Châtillon  AMC 2M11)

    Le plan de 1873 indique également, à la lettre C, une colonne en pierre, en forme d’obélisque, surmontée d’un aigle.

    Ce monument est installé sur deux gradins en pierre (l’ensemble a 2,10 mètres de côté).  

    Dès le 23 mai 1871, la commandantur d’étape de Châtillon, selon le journal allemand Westfälicher Anzeiger, avait eu l’intention d’ériger un mémorial aux soldats prussiens reposant au cimetière

    constitué d’un socle carré avec les noms des disparus, sur lequel est posé un obélisque, avec des inscriptions correspondantes. Le coût serait d’environ 250 thalers, pour lesquels la 19e division d’infanterie a déjà réuni 108 thalers...

    Le commandement du district demande aux officiers, sous-officiers et soldats du bataillon d’occupation Unna de lui envoyer le plus vite possible la somme manquante pour compléter la somme requise.

    Mais, à Unna, des voix discordantes se firent entendre, certaines étant contre l’érection d’un monument en territoire ennemi, d’autres au contraire souhaitant un monument à Châtillon et un autre à Unna.

    Le 19 juillet 1871, le journal Helleweger Anzeiger und Bote déplorait que l’érection du monument ne pourrait sans doute pas se faire, à cause du départ de la commandantur.

    Une loterie fut aussi organisée à Unna, mais, à la fin de l’année, rien, semble-t-il, n’avait vu le jour [i].

    Cependant, le monument fut réalisé avant 1873, date du plan confectionné par la mairie de Châtillon.

    Pour les francs-tireurs garibaldiens, il y avait une tombe dans la partie sud, et deux autres dans la partie nord, aux emplacements 139 et 140, avec une tombe droite et un entourage de pierre et de fer (l’ensemble occupant 17, 17 m2).

    Parmi celles-ci, il doit y avoir la tombe de Victor Melnotte, franc-tireur décédé le 9 décembre 1870, dont une concession fut accordée le 25 mai 1875, pour 15 ans (croix de fer dessus ; n° 157, nord).

     Le Ier novembre 1871, une commission de citoyens s’adressa au Conseil municipal :« se croyant, avec juste titre, les interprètes de la majorité de leurs concitoyens, considérant que le Conseil municipal, par une omission involontaire sans doute, n’a rien proposé qui ait pour but de rappeler aux habitants le souvenir du fait de guerre du 19 novembre 1870 », se proposaient d’élever, par souscription publique, un monument funéraire à la mémoire de ces patriotes.

    Ils demandaient à la mairie de leur accorder une concession gratuite et définitive de 3 mètres de côté au cimetière Saint Jean, ce qui leur fut accordé.

    Mais le Conseil demanda que les pétitionnaires leur soumettent le projet du plan du monument qu’ils se proposaient d’ériger sur le terrain concédé [ii].

    Dans la séance du 13 janvier 1872, le Conseil examina le plan du monument et rappela qu’il avait concédé un terrain de 3 mètres de côté, mais il pensa qu’il serait plus convenable de modifier l’inscription et les emblèmes du projet.

    Il voulait soumettre le projet au préfet et lui soumettre l’autorisation de la concession.  Le projet dut alors traîner un peu.

    [i] Extraits des journaux communiqués par M. Wiesendahl

    [ii] AMC, 1 M 36 ; délibération du 16/11 /1871 et 12/01/1872

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 10 :Premier projet du monument aux garibaldiens  AMC 1M36)

    Mais, le 4 avril 1873, fut votée la loi sur les tombes militaires et c’est l’Etat qui prit les choses en main.

    En exécution de cette loi, un plan fut dressé par la mairie de Châtillon, le 20 octobre 1873, afin de connaître exactement l’emplacement de toutes les tombes militaires du cimetière Saint Jean et la superficie occupée, et envoyé à Paris.

    Les gouvernements des deux pays avaient aussi convenu que l’exhumation des soldats morts dans toute la France ne pouvait avoir lieu qu’après une période de décomposition d’au moins six ans [i].              

    C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur, par une lettre du 18 mars 1876, adressée au préfet de Côte d’Or et transmise au maire de Châtillon, décida que « les restes mortels des français seraient réunis dans une tombe de 4 mètres et ceux des allemands dans une autre de 15 mètres », et on demandait au maire d’indiquer sur le plan « les emplacements qui vous paraissent devoir être choisis, ainsi que le nombre de militaires de chaque nation et le prix du m2 des concessions perpétuelles ».

    Le préfet autorisa, le 16 août 1876, de traiter à forfait la réinhumation des restes de 8 français et de 84 allemands pour la somme de 1332 francs, y compris les entourages et la mise en place des monuments commémoratifs.

    [i] Renseignement fourni par M. Wiesendahl

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 11 : emplacement des monuments allemand et français à la place des tombes militaires françaises et allemandes , Archives Nationales)

    Le même jour, l’Etat décide d’acquérir 19 mètres de terrain pour les sépultures perpétuelles des français et allemands, soit, pour les allemands, un rectangle de 5,55 m X 2,70 m ; et un carré de 4 m X 4 m, pour les français.

    Ces espaces sont en partie pris sur des tombes françaises et allemandes déjà existantes.

    Le 18 novembre 1876, le commissaire de police, Alexandre Laville, qui avait été chargé, sur instruction du maire, de procéder à l’exhumation et à la réinhumation des militaires prussiens au cimetière Saint Jean, près du monument élevé par les soins de l’armée allemande, fit son rapport.

    Du 3 au 11 novembre, les fossoyeurs exhumèrent, des trois carrés dans la zone sud [i], 9 corps et, des fosses communes, 45 autres corps ; l’ensemble fut porté dans une fosse, du côté nord du monument prussien, où fut trouvé un militaire de cette nation … dans une bière que nous avons laissée intacte (qui correspond à la tombe C du plan) [ii].

    Du 13 au 17 novembre, dans une fosse creusée cette fois au sud du monument, furent réinhumés 21corps qui se trouvaient dans des fosses communes [iii].

     [i] Il y a 6 tombes indiquées sur le plan ; si l’on enlève les tombes d’Alvensleben et de Grienpenkert, il reste encore une tombe.

    [ii] Selon Emile Dehayes de Marcère, « les tombes de 84 militaires allemands disséminées dans le cimetière ont été réunies dans une concession de 15 mètres, sur laquelle l’Etat a fait transporter les pierres tombales et une colonne surmontée d’un aigle, élevée par l’armée d’occupation » (« Tombes des militaires morts pendant la guerre de 70 », ministère de l’Intérieur, Paris, 1878).

    Au total, pendant toute la guerre, ce sont environ 120 allemands qui décédèrent à Châtillon, pour diverses causes, à l’hôpital de campagne installé à Châtillon ; selon M. Blanchard, une quarantaine de corps (souvent des officiers supérieurs) furent exhumés à la fin de la guerre et rapatriés en Allemagne.

    [iii] Archives nationales ; document communiqué par M. Blanchard.

    Si l’on fait le calcul total, le commissaire affirme que « quatre vingt quatre corps ayant appartenu à l’armée allemande et décédés à Châtillon pendant la guerre 1870-1871 ont été exhumés des fosses communes et réinhumés près du monument ».

    Mais le total ne donne que 76 corps. Est-ce que le commissaire ne comprend-t-il pas les 8 garibaldiens tués ?

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 12 : face ouest de l'obélisque dédié aux morts allemands)

    Sur les faces nord et sud, sont inscrits 54 noms ; sur la face est, se trouve une phrase de l’Apocalypse :

    Soit fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie éternelle, et, sur la face ouest, une dédicace :aux guerriers prussiens qui reposent ici, de la part de leurs camarades [i]                        

    Aujourd’hui, l’entourage de plots et de chaînes a disparu (il n’en reste qu’un) et l’ensemble n’occupe plus qu’un espace de 2 m2(les extensions au nord et au sud ont disparu).

    Sur deux marches en pierre, est érigé un obélisque, de 0,88 mètres de côté (n° 85 du plan actuel du cimetière, section B ; l’aigle a disparu).

     Les tombes du major Richard von Alvensleben et d’Erick Griepenkert ont été réunies en un seul espace, entouré par un rebord en pierre, rempli de gravier à l’intérieur ; elles furent restaurées en 1991, les croix en bois ayant été remplacées par des croix en grès rose, à l’initiative du Souvenir Français (2,10 m X 2,90 m ; n° 57 et 58 du plan, section E)

    [i] Si 54 noms sont inscrits sur l’obélisque, ce sont 84 corps qui ont été déplacés en 1876.

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    (Figure 13 :le monument élevé aux morts allemands lors de la guerre de 1870-1871)

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    (Figure 14 :Le remplacement des croix en bois sur les tombes de Griepenkert et Von Alvensleben par des croix en grès rose (journal les Dépêches 16-03-1991)

    En ce qui concerne le monument à élever pour les garibaldiens, le monument était déjà fait, mais la mairie n’avait pas approuvé les sculptures et les inscriptions.

    La Commission châtillonnaise de souscription, dans sa séance du 26 août 1876, approuva les modifications à effectuer et lui présenta un nouveau croquis.

    Il fut alors convenu, avec M. Hubert Copin, entrepreneur, que le bonnet phrygien surmontant le faisceau serait supprimé et remplacé par une lance, que le niveau au-dessous serait effacé et que l’inscription actuelle serait effacée et une autre refaite ; enfin que le monument serait entièrement regréé.

    M. Copin s’engageait à ce que le monument soit entièrement terminé et mis en place, moyennant 120 francs.

     Il n’existe aucun rapport sur l’exhumation et la réinhumation des restes des francs-tireurs.

    La seule mention est celle de Léon Vigneron, faite en même temps que celle des allemands :

    en novembre 1876, le commissaire de police ordonna

    d’avoir, sans retard aucun, à se rendre au cimetière St Vorles, avec un cercueil propre à recevoir les restes mortels du garde national Vigneron, que les Allemands fusillèrent durant la guerre 1870-1871 près du cimetière de ce nom, et qu’ils déposèrent dans l’intérieur au pied d’un pin à gauche de la porte d’entrée, que nous exhumerions ce corps et que nous l’apporterions au cimetière St Jean pour être déposé avec les francs-tireurs au pied du monument qui est destiné à perpétuer leur mémoire [i].

    Aujourd’hui, le monument se présente sous forme d’un parallélépipède de 0,72 X 1,50 m, et de 2,20 m de hauteur, lequel se trouve à l’intérieur d’une bordure en pierre d’environ 2 m2, avec des plots en pierre surmontés de boules en fer, le tout relié par des chaînes.

    [i] Archives nationales ; communiqué par M. Blanchard.

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 15 :croquis du deuxième projet du monument aux garibaldiens  AMC 1M36)

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 16 :Le monument aux garibaldiens aujourd'hui)

    Les monuments élevés aux morts de  la "surprise" de Châtillon

    (Figure 17 :Plan actuel du cimetière Saint-Jean (mairie de Châtillon)

    Lors de sa séance du 25 janvier 1877, la Commission, estimant que son rôle était achevé, se déclare dissoute ; avant de se séparer, une collecte est faite parmi les membres pour l’achat de couronnes funéraires qui seront placées sur le monument par les soins de M. Pelletier.

    (Dominique Masson)

    Remerciements à M. Günter Wiesendahl, historien allemand de Hamm, et à M. Jean-Paul Blanchard, historien icaunais, pour la communication de leurs recherches.

     


    1 commentaire
  • Après  "La surprise de Châtillon", voici "l'escarmouche d'Autricourt", un passionnant notule de Dominique Masson, sur une guerre totalement oubliée, celle de 1870...

     

    Notule d’histoire :

    L’ « escarmouche » d’Autricourt, le 29 novembre 1870, et ses conséquences

    L’ « escarmouche », c’est le terme qui fut employé par les allemands [i].

    Après l’attaque de Ricciotti Garibaldi sur Châtillon, le 19 novembre 1870, le colonel Lettgau, pensant que les garibaldiens allaient revenir en nombre, se retira le lendemain sur Châteauvillain.

    Dans sa marche sur la Loire, le général von Kraatz arriva dans cette localité le 21 novembre et ramena le détachement à Châtillon.

    Le 18 novembre, quatre compagnies de Landwehr de Soest (1er, 5e et 6e) et  un demi-escadron du 5e hussard de réserve se trouvaient sur les routes de Bologne-Saint Dizier et Bologne-Colombey.

    Le 23, ces troupes vinrent rejoindre le général von Kraatz.

    La première de ces troupes avait eu une légère rencontre avec une bande de francs-tireurs, près de Plaines (Aube) ; en fait, il semble qu’il y eut deux hommes tués.

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 1 : Décès du 23 novembre 1870 "la guerre franco-allemande de 1870-1871" rédigée par la section historique du Grand Etat-Major prussien en 1882

     Mais la troisième compagnie de Soest eut plus de problèmes.

                Voici ce qu’écrivit l’instituteur Onésime Gallimard, en 1888 [ii] :             

    Pendant la guerre de 1870, une compagnie de francs-tireurs du Var, commandée par Verdanet eut connaissance qu'une colonne d'Allemands avait quitté Bar sur Seine et remontait le cours de l'Ource [iii].

    Dans la matinée du 29 novembre de ladite année le chef de la troupe fit placer ses hommes dans les vignes des Frasses, près du bois de ce nom dominant la route départementale n° 16 et à 400 mètres du village d'Autricourt.

    Lorsque la tête de la colonne ennemie arriva au pont établi sur l'Ource proche des habitations, une vive fusillade s'ouvrit sur eux (au lieu-dit « la folie », petit bois surplombant le petit bois le virage et l’ancien pont sur l’Ource, selon madame Pluyaut [iv]).

    Les Allemands ripostèrent et le combat dura une demi-heure.

    Pendant l'action les balles sifflaient dru sur le village.

    La compagnie franche se retira dans les bois emportant un blessé.

    Les Prussiens ramassèrent leurs morts et leurs blessés qui étaient relativement nombreux, 50 à 60 ; ils les placèrent dans des fourgons et rétrogradèrent.                                                                          

    Côté garibaldien, c’étaient les  tirailleurs garibaldiens du Var sous les ordres du commandant Danilo, faisant partie de la première brigade, sous le commandement du général Jozef  Bossak-Hauké.

    Côté allemand, ils faisaient partie des troupes d’étapes de la IIe armée ; c’était la troisième compagnie du bataillon de Soest du troisième régiment de Lanwher de Westphalie.

    En fait, il n’y eut que deux soldats morts et trois blessés.                                                

    On ne sait si les deux soldats morts, Anton Schürmann, de Waltringen, et Johann Kleine, d’Essen ont été tués le 23 novembre ou le 29.

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 2 : décès du 29 novembre 1870 "la guerre franco-allemande" opus cité

    Puis les ennemis continuèrent leur chemin, mais l’un d’eux devait être trop sérieusement atteint.

    En passant à Grancey-sur-Ource, le régiment le laissa  au château et le commandant déclara que, s’il mourait, le village serait brûlé en représailles. Puis le régiment continua sa route et fut de nouveau attaqué à la Grosse Borne.

    A la suite de ce combat, le général prussien von Werder qui commandait à Troyes, fit amener à Bar sur Seine M. Simon, maire d'Autricourt, et voulut lui imposer pour la commune une contribution de 50.000 frs.

    M. Simon, par sa fermeté parvint à faite abaisser ce chiffre à 10.000 frs, qui furent payés peu de temps après pour éviter une occupation militaire et soustraire les habitants à la brutalité des soldats ennemis.

    Quant à Grancey, le soldat blessé, François Hölter, fut accueilli humainement et reçut les soins de la sage-femme du pays, Marie Elisabeth Eicher, mariée dans le village à Nicolas Garnier.

    Cette personne était d’origine suisse et parlait allemand, ce qui lui permit de converser avec le blessé.

    Tout en s’occupant de son état, elle lui parla de la grande angoisse des habitants qui s’attendaient à l’incendie annoncé, bien qu’ils ne soient pour rien dans les embuscades des Garibaldiens qui se déplaçaient continuellement dans la région.

    Le jeune soldat, qui avait trente ans, se sentait faiblir et parla de son épouse et de ses jeunes  enfants restés dans son village de Prusse.

    Il était originaire de Uelde, près de Lippstadt ; c’est une ville de l’arrondissement de Soest, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie [v].

    Sa fin approchait, mais madame Eicher fut assez éloquente ; il s’émut et décida de faire grâce au village de Grancey.

    Il mourut le 2 décembre 1870. 

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 3 : Décès de François Hölter. Etat-Civil de Grancey sur Ource

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

                                                                                                  Selon la loi du 4 avril 1873 relative aux tombes des militaires morts pendant cette guerre, aussi bien français qu’allemands, sur la demande du préfet, les terrains où se trouvaient des tombes militaires devaient être cédés à l’Etat au prix du tarif en vigueur pour les concessions perpétuelles ; les terrains et les tombes  concédés à l’Etat  devaient être conservés par la commune en bon état d’entretien.

    A Grancey, selon le rapport d’Emile de Marcère, en 1878, une concession de 2 mètres fut accordée, le, 30 juillet 1876 [vi].

    D’abord enterrés derrière l’église, les restes de François Hölter furent déplacés dans un carré militaire au cimetière (même si un doute peut persister sur cette tombe) [vii].

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 4 : tombe de François Hölter, cimetière de Grancey sur Ource, Cliché Dominique Masson

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 5 : tombe de François Hölter au cimetière de Grancey sur Ource, cliché Dominique Masson

    Les Grancéens virent là une intervention du ciel et de la sainte Vierge, à qui ils avaient dédié leur nouvelle église en 1833.

    Ils décidèrent d’élever sur le coteau de Beauregard, au cœur du vignoble, une chapelle d’action de grâce au moyen d’une souscription  et de placer le village à jamais sous la protection de la Vierge. 

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 6 : La chapelle de Beauregard et l'église Notre Dame de l'Assomption de Grancey sur Ource, cliché Dominique Masson

    La chapelle fut rehaussée d’une statue de la Vierge, œuvre du sculpteur châtillonnais Lefort.

    Elle tient le blé et le raisin, emblèmes des paysans vignerons grancéens.

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 7 : la Vierge dominant la chapelle de Beauregard, cliché Dominique Masson

    Elle surmonte une inscription : « A la Vierge Immaculée-Ils m’ont établie gardienne-les habitants de Grancey-1870 ».

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 8 : inscription de remerciement , chapelle de Beauregard, cliché Dominique Masson

    Chaque année, le 15 août, date de l’Assomption de la Vierge, une procession se rendait de l’église à la chapelle en chantant les cantiques de Lourdes.

    Puis le prêtre faisait un court office et l’on redescendait à l’église où était encore célébré un salut, suivi de la bénédiction des enfants du village.

    Cette procession cessa vers les années 1955 environ.

    Le curé Roch Delamaison, décédé en 1874, se fit enterrer au chevet de la chapelle.

    "L'escarmouche d'Autricourt" le 29 novembre 1870 et ses conséquences, un notule d'histoire de Dominique Masson

    Figure 9 : la chapelle de Beauregard à Grancey sur Ource, cliché Dominique Masson

    Bâtie sur un terrain privé, la chapelle devint la propriété de madame et monsieur Le Charpentier, qui eurent à cœur de l’entretenir et de la protéger.

    Finalement, en 1978, madame Le Charpentier en fit don à la commune.

     (Dominique Masson)

     Remerciements à monsieur Günter Wiesendahl, historien à Hamm, en Allemagne, et à monsieur Michel Massé.

     [i] « La guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du grand état-major prussien », traduction par E.Costa de Serda ; tome V, 1882

    [ii]Gallimard Onésime : « Monographie de la commune d’Autricourt », Cahiers du Châtillonnais, n° 64

    [iii] Selon l’ouvrage « la guerre franco-allemande » (op. cit.)…, « une bande se composant de plusieurs centaines d’hommes, réussit à barrer le chemin, près d’Autricourt, à la 3e compagnie de Soest, qui se dirigeait de Bar-sur-Aube vers Châtillon ».

    [iv] Goyard-Pluyaut Christiane : « C’est un village de France ; il a nom : Grancey-sur-Ource » ; Cahiers du Châtillonnais, n° 40

    [v] Uelde fait aujourd’hui partie de la ville d’Anröchte ; dans le « Westfälischer Anzeiger » du 6 décembre 1870, il est indiqué que le bataillon de Soest avait perdu deux hommes dans une bataille près de Plaines, le 28 novembre. Le militaire Anton Schürmann était porté disparu et le militaire Johann Kleine d’Essen  avait été tué. Renseignements fournis par monsieur Günter Wiesendahl

    [vi] « Exécution de la loi du 4 avril 1873, rapport d’Emile de Marcère », 1878. Il est écrit (p. 68 et p. 351) : «  concession de 2 mètres pour un Français », mais aucun français n’a été signalé mort à Grancey.

    [vii]« Dossier : 150e anniversaire de la guerre de 1870 », Ministère des Armées ; 2020

     


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  •  Dominique Masson continue de nous conter ce qui se passa dans le Châtillonnais  durant la guerre de 1870.

    Après la fameuse "surprise de Châtillon", les villages voisins ne furent pas épargnés...

    Merci à lui pour ses passionnantes recherches historiques.

    Notule d’histoire

    Prussiens et francs-tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871

     

    Le 14 octobre 1870, Giuseppe Garibaldi installait son état-major à Dôle et organisait l’armée des Vosges en quatre brigades.

    Du 4 au 7 novembre, s’organisait la quatrième brigade, sous le commandement de Ricciotti Garibaldi.

    Mais, selon l’instituteurd’Ampilly, L. Goutey,[1]le 5 novembre, une trentaine de « garibaldiens » passa à Ampilly, se dirigeant vers Semur ; peut-être était-ce un groupe qui voulait se joindre à Garibaldi (Ricciotti sera à Semur le 17).

     Le 19 novembre, de 6 heures à 10 heures du matin, la quatrième brigade de l’armée des Vosges, commandée par Ricciotti Garibaldi effectuait une « surprise » sur Châtillon.

                                                                              Le général prussien Eugène Antoine Théophile von Podbielski, quartier-maître à l’état-major prussien, dans la 96e dépêche (Berlin, 22 novembre) datée du 21 novembre, de Versailles, relatait le fait :

    Les gardes mobiles battus à Dreux et Châteauneuf ont pris la fuite vers l’ouest et le nord-ouest.                                                                        

    Le 19, le bataillon de la Landwehr Unna et deux escadrons  du 5e régiment des hussards de réserve ont été attaqués à Châtillon ; ils se sont retirés avec une perte de 120 hommes et de 70 chevaux, sur Châteauvillain.                            

    Des autres armées, il n’y a pas de communications marquantes.

    A Châtillon, stationnaient les 1re, 2e et 4e compagnies d’Unna (soit 460 hommes) .

    Unna est une ville dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie), et la 2e compagnie du 5e hussard de réserve (avec 94 chevaux), sous le commandement du colonel Lettgau.

    C’étaient des troupes reléguées en deuxième ligne.  

     Les pertes subies par l’armée prussienne furent largement surestimées.

    Encore après-guerre, dans le rapport de la section historique du grand état-major prussien, celui-ci comptabilise, pour le bataillon Unna, 2 officiers ou sous-officiers blessés et 5 disparus et, pour les hommes, 12 tués et 8 blessés.

    Pour le régiment de hussards, il y avait un officier tué, ainsi qu’un homme et un autre blessé, mais 44 disparus (plus 74 chevaux disparus).

    Il faut y ajouter un payeur, Schmidt (Ricciotti s’était emparé de la caisse du régiment), et un médecin aide-major, le docteur Hensgen[2].

     "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

     

    figure 1 :Grenest "l'armée de l'Est-Relation anecdotique de la campagne de 1870-1871. paris 1895

     

    "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

    Figure 2 : 96ème dépêche allemande annonçant la "surprise de Châtillon"

    "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

    figure 3 :tableau des pertes subies selon l'armée prussienne "à la guerre franco-allemande" op cité

    Selon Garibaldi, il y eut 164 soldats et 13 officiers prisonniers, 72 chevaux et 6 voitures de matériel, notamment celle de la poste (plus deux cantinières « très laides »).

    A Tours, on annonça que :

    l’ennemi a été surpris à Châtillon (département de la Côte d’Or) par les troupes garibaldiennes sous le commandement de Ricciotti. Tout a été tué ou fait prisonnier : 7 à 800 hommes environ[3].                                                                                             

    En fait, il semble qu’il n’y ait eu que 14 soldats tués du côté prussien et 6 pour les garibaldiens.

    Après son attaque, Garibaldi et ses hommes repartirent vers Coulmier:        

    il est superflu de dire combien nos hommes étaient joyeux de se voir réunis après une telle expédition.

    Il en résulta une fête improvisée d’un bel élan et qui avait ses côtés comiques.

    Les casques à paratonnerre coiffaient maintenant nos francs-tireurs qui paraissaient transformés en autant de prussiens.

    Et, en effet, la seule manière de porter un peu commodément ce très incommode couvre-chef était de s’en coiffer.

    Une société musicale fut improvisée, où manquait une seule chose : la connaissance de la musique.

    On chercha à suppléer à l’absence de mélodie par l’emploi de tambours, et vous pouvez imaginer le concert qui en résulta.

    Ils semblaient tous devenus des écoliers auxquels une fête imprévue est accordée.

    Le commandement ferma un œil sur le relâchement de la discipline et il arriva que les prisonniers eux-mêmes furent gagnés par la joyeuse humeur de nos hommes[4].

    "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

    Figure 4 : Grenest "l'armée de l'Est-relation anecdotique de la campagne de 1870-1871. Paris 1895

    Edmond Thiébaut raconte aussi [5]:

    Les prisonniers marchaient au centre de la colonne entre les deux files des compagnies.

    La garde des officiers était confiée aux chasseurs des alpes ; l’attitude de ces Allemands était fière et résignée.

    Ils semblaient considérer avec étonnement la franche gaîté de nos francs-tireurs.

    Parmi les soldats, on remarquait un mélange singulier de toutes les armes.

    On y trouvait les costumes de la landwehr, des chasseurs, à pied, de divers régiments d’infanterie de ligne, des hussards, des chasseurs à cheval, des soldats de l’intendance, de l’ambulance, des postes ; des musiciens, des tambours, des fifres et un splendide canne-major.

    La plupart d’entre eux étaient tremblants et désolés, protestant dans une langue impossible de leur amitié pour les francs-tireurs, et proférant contre Guillaume et Bismarck les plus dures imprécations …

    Sur toute notre route, nous recevions les ovations des habitants des villages que nous traversions…

    La cavalerie fermait la marche ; ce n’était pas le côté le moins curieux du cortège.

    On avait hissé sur les chevaux les hommes blessés ou fatigués qui ne pouvaient suivre la colonne.

    Ces cavaliers de circonstance étaient comme leurs camarades coiffés du paratonnerre ou du colback des hussards ; cet ensemble formait un escadron de l’effet le plus grotesque.

    Sur leur route, ils passèrent par Ampilly.

    Pendant leur arrêt, un coup de feu frappa dans la région du cœur un franc-tireur suisse, né à Neuchâtel, nommé Louis Perrey.

    "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

    Figur 5 : Décès de Louis Perrey, état-civil d'Ampilly-le-Sec

    Ce n’est que deux mois plus tard qu’il succombait à ses blessures, le 12 janvier 1871, âgé de 43 ans,au domicile de Marie Collin, sœur institutrice.(depuis 1854, un don avait été fait pour la venue des sœurs congréganistes, mais il n’y eut qu’une institutrice en poste, madame Collin, en religion sœur Juliette).

    Selon l’instituteur L. Goutey, le soir du même jour (19 novembre), un autre passage de francs-tireurs eut lieu ; un soldat a été, dit-on, tué par vengeance, par un de ses camarades florentins,  Egiste Cortepassé[6].

    "Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson

    Figure 6 : décès d'Egiste Cortepassé, état-civil d'Ampilly-le-Sec

    Agé de 22 ans,né à Florence, il décéda à l’auberge de Basile Cazet.

     Ces tombes n’existent plus au cimetière d’Ampilly, alors qu’elles auraient dû bénéficier de la loi du 4 avril 1873, relative aux tombes de militaires morts pendant cette guerre, et garantissant leur protection.

                                                                                                  Les garibaldiens partirent vers Coulmier

      Là, on savait déjà notre succès et notre retour était attendu avec impatience…

    Aussitôt notre arrivée au centre du village, les prisonniers furent conduits dans la mairie qui avait été disposée pour les recevoir.

    On s’occupa de les ravitailler et on les laissa sous la garde d’un poste solide.

    Les officiers, libres sur parole, purent entrer à l’auberge où un repas leur avait été préparé.

    Dans la même journée, ils partaient pour Autun, accompagnés seulement de deux officiers choisis pour ce service…

    Dès le jour, les prisonniers confiés à la garde nationale de Montbard se mettaient en route.

    La garde nationale de Semur devait les venir chercher et les remettre entre les mains du détachement envoyé à cet effet à Saulieu[7].                           

     Selon le Progrès de Lyon, du 26 novembre :                                                    

    Avant-hier, 200 ( ?) Prussiens faits prisonniers à Châtillon par les Garibaldiens sont arrivés sous l’escorte de francs-tireurs.

    Parmi eux se trouvent neuf officiers qui sont descendus à l’hôtel d’Angleterre et à l’hôtel des Deux-Mondes.

    Les soldats ont été internés au fort des Charpennes[8]

    (parmi les manquants, la Gazette de Westphalie avait recensé, le premier décembre, les premiers lieutenants de Werthern et Kemper ; le lieutenant Brinkmann ; les vice-feldwebels Mellin et Thiene ; le payeur Schmidt et le docteur Hensgen).                                      

    Quelques francs-tireurs avaient été blessés lors de l’attaque sur Châtillon et faits prisonniers.

    Le 13 janvier 1871, trois francs-tireurs soignés à l’hôpital à la suite de leurs blessures sont conduits en Allemagne (avec Boucquart, meunier à Vix, accusé d’avoir tiré sur une patrouille allemande, le 30 novembre)[9].

    Les prussiens avaient déjà paru à Ampilly le 11 novembre, au nombre de 25.

    Après l’attaque sur Châtillon, ils revinrent le 5 décembre ; les Allées furent occupées par des soldats tandis que d’autres faisaient des perquisitions à la recherche d’armes.

    Jusqu’au 14, il y eut passage d’éclaireurs ennemis.

    Mais il y eut deux grands séjours de l’armée prussienne à Ampilly.

    Le premier fut du 14 au 17 décembre 1870.

    Parmi les officiers, se trouvait  un jeune homme de 18 ans, le prince Hermann de Schambourg-Lippe.

    Le père de ce jeune prince, Adolphe Ier, qui était chef de cohorte et accompagnait le général von Zastrow, stationna à Châtillon, du 14 au 18 décembre.

    Profitant de son séjour à Châtillon, il vint dans la soirée du 16 décembre, visiter Ampilly et voir son fils.

    Le second eut lieu du 11 au 14 janvier 1871.

    Déjà, le 8, arrivèrent pour la nuit, 500 soldats prussiens.

    Le 11, ce fut 1200 chasseurs puis, les trois autres jours, 1500 chasseurs et artilleurs.

    Car c’est à Châtillon que le général de cavalerie, baron von Manteuffel, réunit la nouvelle armée, dite armée du sud, composée des IIeet VIIe corps d’armée (plus le XIVe corps d’armée, totalisant ensemble 118 bataillons, 54 escadrons et 51 batteries), pour attaquer Dijon défendu par Garibaldi et repousser l’armée de Bourbaki. 

    Selon l’instituteur Goutey

    Les habitants eurent à se plaindre des chefs et des soldats ; l’on n’avait pas encore vu chefs plus orgueilleux et plus exigeants, domestiques plus impérieux et grossiers, soldats plus dédaigneux.

    Le pays a eu à souffrir des exigences, des rapines et des excès de vin de cette armée indisciplinée.  

     Et il ajoute une aventure arrivée au maire d’Ampilly :    

     Le 14 janvier, l’heure du départ sonnée, le commandant s’informe si tous les hommes et les ch evaux requis sont partis pour Châtillon. Les notes prises par la poste, n’en constatant que la moitié, le commandant fait emmener aussitôt, comme prisonnier de guerre, M. Montenot, maire, qui, en sabots, est obligé de suivre l’armée par une neige toute verglacée. Ce n’est qu’à Darbois, commune de Buncey, que M. Montenot a pu se procurer des souliers, l’armée ennemie ayant quitté la route 71, pour prendre une voie rurale passant par Darbois, la Grange-Emery, et gagner la route n° 13. Bientôt M. Montenot voit arriver ses voituriers réquisitionnés, ceux-ci ayant passé par des voies détournées pour se rendre à Châtillon ; il en avertit aussitôt le commandant qui, pour toute réponse, lui présenta un cigare.                                                                              Le lendemain, M. Montenot, arrivé à Maisey, pouvait regagner son domicile, fort heureux d’être débarrassé de ses impérieux compagnons de voyage. Quant aux voituriers, la majeure partie n’a été qu’à Leuglay, deux seulement, MM. Mongin et Gillot, sont allés jusqu’à Champlitte

    (le quartier général allemand, parti de Châtillon le 14, s’était établi le soir à Voulaines)

     Dominique Masson  (remerciements à M. Massé)

     

    [1]Goutey L. : monographie de la commune d’Ampilly-le-Sec ; cahiers du Châtillonnais, n° 85

     

    [2] « La guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du grand état-major prussien » ; traduction par E. Costa de Serda ; 1882

    [3] La Bourgogne pendant la guerre et l’occupation allemande (1870-1871), d’après la gazette de Carlsruhe ; traduction du Dr Louis Marchant ; Dijon, 1875

    [4] Garibaldi Ricciotti :« Souvenirs de la campagne de France 1870-71, commandant la 4me brigade de l’Armée des Vosges » ; traduction de Philippe Casimir ; Nice, 1899

    [5] Thiébault Edmond : « Ricciotti Garibaldi et la 4me brigade ; récits de la campagne de 1870-71 » ; Paris, 1872

    [6]Goutey L: op. cit.

    [7] Thiebault ; op. cit.

    [8] Gazette de Carlsruhe, op. cit.

    [9] Légey Léon : Châtillon-sur-Seine pendant la guerre de 1870-71 ; souvenirs d’un enfant de Châtillon ; Châtillon-sur-Seine, Leclerc, 1899


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  • Dominique Masson nous raconte aujourd'hui la vie d'une femme extraordinaire, qui séjourna dans le Châtillonnais durant le fameux épisode de "La surprise de Châtillon". On la vit en action à Châtillon, mais aussi à Aignay le Duc et à Baigneux.

    Une vie passionnante que Dominique Masson nous restitue si bien, merci à lui  de nous la faire connaître !

    Notule  d’histoire :

    Jessie White Mario

    Cette femme fut surnommée « Miss Ouragan », et, pour Mazzini, ce fut la Jeanned’Arc du Risorgimento. 

                                                                          Jessie White est en effet une femme hors du commun, moderne et rebelle. Le poète Giosué Carducci, qui sera prix Nobel de littérature, dira d’elle : C'est une femme formidable, à qui nous, Italiens, devons beaucoup.

     

    "Jessie White Mario", la "Jeanne d'Arc du Risorgimento", un notule d'histoire de Dominique Masson

    (Figure 1 :Jessie White Mario)

    Elle est née le 9 mai 1832,dans un petit village près de Portsmouth, en Angleterre, d’une famille de riches armateurs.

    Après avoir étudié la théologie en Angleterre, elle vint prendre des cours de philosophie à la Sorbonne, de 1852 à 1854.

    C’est là qu’elle fit la connaissance d’Emma Roberts, très proche de Giuseppe Garibaldi et, l’ayant rencontré et frappée par son charme, décida de consacrer le reste de sa vie à la cause de la liberté de l’Italie.                        

    Car, à cette époque, l’Italie est morcelée entre de nombreux territoires, certains sous domination étrangère.

    En 1855, elle retourne en Angleterre, fréquente la faculté de médecine, mais on lui interdit de devenir la première femme médecin d’Angleterre.

    Elle écrira alors:

    "Je suis convaincue que la meilleure façon de faire travailler d’autres femmes est de commencer à décrocher un travail pratique nous-mêmes…

    Mais pour diverses raisons, je suis contente d’avoir vécu cette expérience."

    Elle va également rencontrer Giuseppe Mazzini, révolutionnaire et patriote italien, alors en exil à Londres ; c’est l’un des leaders du Risorgimento (« Résurgence », « Renaissance »),qui prône l'unification italienne.

                                                                                                Jessie va s’engager dans une intense campagne de conférences, rédige des articles de journaux, collecte de fonds, visant à soutenir les patriotes italiens.

    En 1857, elle suit Mazzini en Italie qui veut préparer une expédition dans le sud de l’Italie.

    Arrêtée, elle passera quatre mois en prison ; c’est là qu’elle fera la connaissance d’Alberto Mario, qu’elle épousera cinq mois plus tard, en Angleterre.

    Ils feront un voyage à New-York, défendant la cause del’unité italienne, où ils écriront pour le New-York Times,le Herald et le Post.  

    Revenus en Italie en 1860, ils suivront Garibaldi dans son expédition des mille, en 1861, qui verra l’unification presque complète de l’Italie  [i].

    Elle sera infirmière du corps de santé militaire dans quatre campagnes de Garibaldi, se dévouant à lui ; par exemple, lors de la bataille du Volturno, en 1860, elle sortira sous le feu pour sauver Garibaldi et, à la bataille de l’Aspromonte, en 1862, elle assiste le médecin qui soigne sa blessure. 

    Son activité d’infirmière n’a pas interrompu son activité journalistique ; elle est correspondante, en Italie, pour le Morning Star, le Scotsman et aussi le Nacion de Buenos Aires.

    Ainsi, elle va attirer l’attention du public britannique sur les chemises rouges ; elle fut alors la première femme journaliste britannique, envoyée sur le front de la guerre en Italie.

    A l’occasion, elle est aussi espionne pour le compte de Garibaldi. Elle recevra, à la fin de la guerre en Italie, deux médailles d’or des Napolitains, en signe de gratitude.

    L’unité italienne étant réalisée en 1870, Jessie White Mario suivra Garibaldi, qui a offert ses services à la République française,proclamée le 4 septembre 1870,en lutte contre l’envahisseur prussien  [ii].

    Il débarque à Marseille le 7 octobre 1870 et place son état-major à Dole le14 octobre. Le 11 novembre, il organise l’armée des Vosges en quatre brigades sous le commandement, entre autre, de ses deux fils, Ricciotti et Menotti.                      

    Jessie White Mario sera affectée à la quatrième brigade, commandée par Ricciotti Garibaldi, en tant que responsable des ambulances : Hardie comme un soldat et dévouée à nos malades, elle dépensait à leur service beaucoup de son temps et aussi de son argent, dira d’elle Grenest  [iii].

    Un lieutenant de l’état-major de la quatrième brigade rajoute : Mme Mario était douée d’un courage rare. Là où sifflaient les balles, on la voyait toujours paraître pour soigner les blessés.

    Dans cette campagne, elle suppléa à l’insuffisance des ambulances.

    C’est grâce à elle que des jeunes soldats sont encore de ce monde. Grâce à elle aussi, les Anglais envoyèrent pour plus de 25 000 fr. d’instruments de chirurgie et de médicaments.

    Agée d’une quarantaine d’années, elle en paraissait à peine trente. Vivant toujours au milieu des soldats et respectée de tous [iv].

    Lors de la « surprise » de Ricciotti Garibaldi à Châtillon, le 19 novembre 1870, ce dernier avait restitué le personnel d’une ambulance et l’expédia par le plus court chemin ; seulement, lorsque Ricciotti chargea Jessie Mario de réclamer nos médecins, quelques semaines après, les allemands ne les renvoyèrent que par la Suisse, et ce long détour nous en priva pour tout le reste de la campagne.

    C’est à Châtillon que Madame Mario avait conduit cette petite négociation.

    Dame d’origine anglaise, et femme d’un député Italien, madame Mario écrivait des correspondances aux journaux anglais et commandait l’ambulance de la quatrième brigade…

    A Châtillon, elle fit une découverte grave.

    Les Allemands, maîtres de l’hôpital, avaient relégué les francs-tireurs blessés dans une salle basse et humide.

    Jessie Mario ne cachait pas ses sympathies pour les Allemands.

    Mais, ce jour-là, elle leur cingla la figure de quelques bonnes vérités.

    « Vous soignerez nos francs-tireurs comme vos soldats, leur dit-elle, et nous en aurons la preuve. Sinon vos blessés paieront pour les nôtres, tête pour tête ».

    Ce ne fut pas l’incident le moins surprenant de cette surprise que cette rencontre de l’Anglaise, qui montrait les dents, et de l’Allemand qui, rouge de colère, bégayait je ne sais quelle explication banale [v] 

    Cette « visite » avait été suivie par des habitants de Châtillon qui furent fort intrigués par cette dame.

    Nous retrouvons ensuite Jessie Mario à Aignay-le-Duc.

    Après la bataille de Baigneux, le 11 janvier, Ricciotti s’était installé dans ce village.

    Le maire, M. Misset, a fourni une description du passage de Ricciotti :

    "Sur les deux heures du matin arriva tout à coup dans ma cour une voiture de deux chevaux amenant une dame anglaise, Mme White-Marion.

    Elle venait de Châtillon traiter, disait-elle, de l’échange de médecins pris par les allemands, mais plutôt pour savoir ce qui se passait à Châtillon et le rapporter à Ricciotti.

    Cette dame faisait partie de la Brigade en qualité de Directrice des ambulances.

    Elle raconta aux chefs les mouvements des troupes prussiennes qui se dessinaient du côté de l’est, annonçant qu’il y avait à Châtillon et dans les environs une véritable armée de 50 ou 60 000 hommes ; elle donna d’autres renseignements que je n’ai pas entendus  [vi].                                               

    Voici enfin le témoignage de Ricciotti :

    "Vers minuit, je m’étais jeté sur un lit, si fatigué que je n’avais même pas débouclé le ceinturon de mon sabre, et aussitôt je m’étais endormi, lorsque l’officier de service vint m’éveiller en me disant que Madame Mario venait d’arriver et qu’elle voulait me voir tout de suite.

    J’allai à elle. La bonne dame s’était rendue à Langres  [vii] pour l’échange de quelques ambulances et, pendant sa route, les ennemis l’avaient faite prisonnière.

    Maintenant, elle retournait à Dijon avec un sauf-conduit prussien.

    Elle doutait que nous puissions sortir de notre situation dont elle connaissait bien le danger, car elle venait de traverser les lignes prussiennes jusqu’à Aignay.

    Elle m’informa à quel point était occupée la campagne autour de nous, et elle me donna des renseignements :

    « Chaque hameau et chaque village, dit-elle, regorgeaient de troupes. On voyait des lumières dans toutes les maisons et on rencontrait des sentinelles à chaque deux milles  [viii]".

    Repliée sur Dijon, Jessie Mario va participer à la troisième bataille autour de cette ville, du 21 au 23 janvier 1871.

    Là, elle assistera à une scène horrible ;au château de Pouilly, que les Prussiens occupaient, ils prirent un prisonnier légèrement blessé, l’attachèrent et y mirent le feu.

    Lorsque les garibaldiens reprirent le château, ils découvrirent l’horreur.

    L’Anglaise Mario elle-même, qui, jusqu’alors avait tenu pour les Prussiens, et qui l’avoue, écrivit ce soir-là que

    « désormais son âme entière se révoltait contre eux  [ix] ».

    Au combat de Lantenay, Jessie assiste le médecin de la quatrième brigade dans ses soins aux blessés.

    Le 10 mars 1871, le corps des volontaires garibaldiens est dissous et Garibaldi rentre en Italie.

    C’est aussi ce que fera Jessie Mario et elle prendra la nationalité italienne.

    Abandonnant le combat politique elle se tournera vers d’autres formes de combats.

    Elle va se consacrer aux œuvres sociales, en particulier la misère à  Naples ou la condition de travail des mineurs de Sicile.

    En 1879, le président du conseil des ministres italien écrit :

    "La démocratie n’a qu’un seul écrivain social et c’est un Anglais et une femme, madame Jessie Mario, qui ne manque jamais, où il y a de souffrir, d’oser pour une noble cause."        

    Elle écrit aussi sur la condition des femmes en Italie, ce qui ne contribua pas à le rendre populaire dans les milieux conservateurs.

    Un historien réactionnaire s’acharna sur elle en l’accusant de faire tourner la tête de Garibaldi et de ses camarades et en la décrivant comme ayant une conduite sexuelle redoutable pendant qu’elle s’occupait des blessés ; il l’accusait aussi de fréquenter les hôpitaux plutôt pour chercher de beaux jeunes hommes que pour soigner les malades dont ses caresses retardaient la guérison  [x].                               

    Elle se consacrera aussi, à la fin de sa vie, à écrire l’histoire du mouvement national, publiant les écrits de son mari, décédé en 1883, et rédigeant des biographies, en particulier celles de Garibaldi et de Mazzini.   

    Décédée à Florence en 1906, où elle avait obtenu une chaire de littérature anglaise à l’université de cette ville, elle sera enterrée à Lendirana, près de Rovigo, auprès de son mari.Plusieurs rues en Italie portent son nom et celui de son mari.

    "Jessie White Mario", la "Jeanne d'Arc du Risorgimento", un notule d'histoire de Dominique Masson

    (Figure 2 : Alberto Mario, député italien de 1861 à 1865)

     (Dominique Masson)

    "Jessie White Mario", la "Jeanne d'Arc du Risorgimento", un notule d'histoire de Dominique Masson

    (Figure 3 : médecins prussiens à Châtillon en 1870, collection Dominique Masson)

     

     [i]l'unification du royaume d'Italie qui est proclamé le 17 mars 1861

    [ii] La guerre elle-même avait commencé le 19 juillet 1870, entre Napoléon III et le roi Guillaume de Prusse

    [iii] Grenest : «  l’armée de l’Est-relations anecdotiques de la campagne de 1870-1871 » ; Paris, 1895

    [iv] Garibaldi Ricciotti : « souvenirs de la campagne de 1870 », Nice, 1899 ; déjà, lors de «  l’expédition des mille », elle avait réussi à faire organiser une souscription en Angleterre et Victor Hugo fut sollicitépar les habitants de Jersey pour aussi recueillir des fonds

    [v] Dormoy P.A : « souvenirs d’avant-garde » ; Paris, 1887 ; p. 92, 186, 198

    [vi] Molis Robert : «  les Francs-Tireurs et les Garibaldi » ; Editions Tyrésias, 1995

    [vii] Il semble que ce soit Châtillon, comme le dit le maire, M. Misset

    [viii] Garibaldi Ricciotti : op. cit.

    [ix] Article paru dans le Daily-News : « Notes from Dijon », Tuesday, February 7, 1871 ; in “Dormoy”,

    [x] Porciani Ilaria : « les historiennes et le Risorgimento » ; Mélanges de l’école française de Rome, tome 112-1, 2000

     


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